Zone littorale et structures artificielles : fonctionnalité technique contre fonctionnalité écologique ?

cote-estranNécessité d’une hétérogénéité environnementale…

Les études biologiques montrent que c’est  l’hétérogénéité environnementale qui permet et promeut le développement et la coexistence des espèces. Et c’est l’imbrication des biotopes, l’alternance des substrats rocheux, sableux, herbiers qui permettent les multiples fonctionnalités nécessaires au cycle biologique d’espèces diversifiées. Lorsqu’une espèce est installée dans un habitat, sa pérennité est conditionnée par les interactions complexes qui se nouent avec les autres espèces végétales et animales.
Les zones de marnage maritimes comprennent une importante variété d’habitats dont la complexité et l’hétérogénéité spatiale structurent le fonctionnement de cette coexistence d’espèces marines.
Les mares, notamment, qui se maintiennent dans les substrats rocheux émergés à marée basse, jouent à la fois  le rôle de nurseries, de garde-manger et de refuge. Leur  fonctionnement écologique mérite encore d’être approfondi en fonction de la fluctuation de leur température,  de leur volume d’eau, de leur salinité, de leur pH, du dioxyde de carbone ou de l’oxygène dissous. Les espèces qu’elles abritent, de plus, diffèrent selon qu’elles se trouvent en haut ou en bas de l’estran et selon qu’elles sont plus ou moins longtemps découvertes.

beton-mer… Perturbée par l’artificialisation des côtes
Les besoins d’aménagements urbains du littoral et de défense des côtes contre l’érosion marine liée à l’élévation du niveau des mers, ont amené une transformation drastique de la structure des littoraux, si l’on imagine, par exemple, que 50 % de la côte adriatique italienne est défendue par des ouvrages en dur, que 50 % de la baie de Sidney est défendue par des digues et que 45 % des côtes anglaises sont protégées soit par des digues, soit par des plages artificielles.

Il se trouve que ces structures artificielles diffèrent grandement, du point de vue de la colonisation biologique, des zones naturelles, et il est admis que la perte d’hétérogénéité environnementale due à l’environnement artificiel est un facteur explicatif de l’appauvrissement biologique des espaces maritimes considérés.

Au niveau microscopique, l’origine géologique des matériaux de construction et leur texture de surface ont un effet déterminant sur la structure et le fonctionnement des assemblages de colonisation (biofilm). Or la colonisation des supports commence par la mise en place d’un biofilm bactérien, puis d’un biofilm de microalgues, suivi des macroalgues et du zoobenthos qui viennent ensuite s’y fixer.

A petite et moyenne échelle, crevasses, trous et mares du substrat rocheux naturel fournissent des refuges nombreux aux différentes espèces alors que les surfaces artificielles des ouvrages sont totalement dépourvues de ces micro-habitats.
Le matériau des ouvrages, différent de celui du substrat naturel, élimine les espèces locales. Si l’on joint à cela des niveaux élevés de nuisances (lumière, bruit, sédiments…), la porte est alors ouverte à des espèces opportunistes invasives.
De plus, là où les rivages naturels gagnent les profondeurs en pente douce, les surfaces raides ou verticales des structures artificielles réduisent la zone de transition des eaux de surface aux eaux profondes de quelques dizaines ou centaines de mètres à quelques mètres au plus. En réduisant la longueur et la diversité de la zone intertidale d’habitats,  ces structures réduisent par voie de conséquence le nombre d’espèces de ces zones (ne s’acclimateront que celles auxquelles la verticalité convient) mais aussi la composition des associations inter-espèces.

Les biofilms

La formation des biofilms se déroule en plusieurs phases. Quelques minutes après immersion,  les échantillons se couvrent  d’un film organique décrit comme étant homogène : protéines, polysaccharides, glycoprotéines… Les bactéries vont se fixer sur ce support. Les biofilms regroupent des microorganismes dont les  métabolismes sont divers et complémentaires. Certaines d’entre elles  vont produire des substances exopolymériques qui vont d’une part les ancrer solidement au substrat, d’autre part les protéger. Elles vont-elles-mêmes créer un amas rugueux propice à une colonisation hétérogène composant un nouvel écosystème microbien : bactéries, microalgues, éléments organiques et inorganiques. Ce processus prend quelques semaines et se poursuit par la colonisation du substrat par des algues macroscopiques et des coquillages.

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Nécessité de l’éco-conception des  ouvrages
Même si elles n’ont pas été conçues dans cette perspective, certaines infrastructures portuaires (petits ports des côtes sableuses, par exemple) se comportent en nurseries et en viviers de juvéniles d’espèces variées de poissons. L’antinomie entre aménagement et écologie n’est donc pas nécessairement radicale. Les approches contemporaines d’écoconception, informées par les recherches en biologie marine, permettent de réconcilier fonctionnalité technique des ouvrages maritimes et fonctionnalité écologique et peuvent s’appliquer à tous types d’ouvrages, tant côtiers qu’offshore.