Sédiments marins : dragage, clapage et gestion à terre

Entretien avec Françoise Lévêque, Chargée de projets, chez setec In Vivo.

 Pourriez-vous nous présenter setec In Vivo?

setec In Vivo est un bureau d’études spécialisé en environnement marin. Nous œuvrons sur tous types de projets, depuis des travaux d’aménagement portuaire jusqu’aux parcs éoliens en mer, en passant par la pose de câbles sous-marins, les travaux d’aménagement du littoral, les travaux de dragage, de rechargement de plages…

Nous avons trois types d’activités : l’assistance à maîtrise d’ouvrage (AMO) environnementale et réglementaire avec la réalisation d’études réglementaires liées au code de l’environnement (Loi sur l’eau, étude d’impact, notice Natura 2000…), les études naturalistes sur le milieu marin avec  la réalisation de campagnes de terrain à vocation écologique et l’instrumentation du milieu marin pour des mesures de bathymétrie, de qualité d’eau, de bruit sous-marin…

Pourquoi doit-on draguer les sédiments marins ?

Les dragages sont rendus nécessaires dans les ports, les canaux, les chenaux, du fait de la sédimentation naturelle qui empêche d’exploiter correctement les infrastructures portuaires, et qui réduit notamment leur accessibilité, à savoir l’entrée et la sortie des navires.

Déshydratation de sédiments dragués hydrauliquement par boudins géotextiles © F. LEVEQUE, setec in vivo

Quel est le volume annuel des sédiments marins dragués et à quelle fréquence les drague-t-on ?

Ce volume est très variable selon les ports et dépend de 2 paramètres : l’activité du port et la dynamique sédimentaire du port. A titre d’exemple, dans le port de Rouen, les mouvements sédimentaires sont particulièrement marqués en raison de son positionnement dans la Seine. La Seine engendre le déplacement de quantités importantes de matières solides et des phénomènes d’envasement. L’accueil de gros navires par les grands ports nécessite le maintien de tirants d’eau importants, d’où des opérations d’entretien fréquentes. Pour d’autres ports plus petits, les contraintes de navigation sont généralement moindres car les bateaux accueillis sont plus petits. Ainsi, selon la configuration des ports et selon le type de bateaux accueillis, certains peuvent être amenés à draguer uniquement de manière occasionnelle, certains autres n’ont même jamais été dragués depuis leur création.

Le volume dragué par an peut donc varier entre quelques centaines de mètres cubes pour des petits sites, qui ont seulement besoin de dégager leurs cales d’accès par exemple, ou bien plusieurs dizaines de milliers de mètres cubes. Certains grands ports, comme  le port de Rouen et le port de Dunkerque, peuvent draguer plusieurs millions de mètres cubes par an.

Dragage hydraulique, port de plaisance – © F. LEVEQUE, setec in vivo

Comment le dragage s’effectue-t-il ?

Il existe deux grandes familles de techniques.

Le dragage hydraulique, premièrement, s’effectue par aspiration et consiste à draguer les sédiments en même temps que l’eau est aspirée.

Le dragage mécanique consiste quant à lui en une extraction des sédiments à l’aide d’une pelle mécanique ou d’une benne preneuse positionnées soit à quai, soit sur un ponton flottant. Avec cette seconde technique, la teneur en eau du matériau dragué est plus faible qu’avec le dragage hydraulique.

Plusieurs critères conduisent à privilégier l’une ou l’autre de ces techniques : l’accessibilité du port (certains équipements pouvant être de taille trop importante pour la réalisation de travaux dans des petits ports), la typologie des matériaux extraits selon qu’ils sont consolidés ou peu consolidés, la présence de macrodéchets, et enfin le critère primordial : le choix du devenir des sédiments. Nous décidons au cas par cas la technique qui sera la plus adaptée, ainsi que la filière de destination des sédiments. A noter qu’une combinaison de plusieurs techniques de dragage peut être envisagée dans un même port, selon par exemple la qualité des sédiments variable d’un secteur à une autre, qualité qui détermine la filière de destination, et donc les équipements de dragage.

La durée d’un dragage varie entre quelques jours et plusieurs mois. Il peut se faire en un ou plusieurs temps, si les travaux doivent être interrompus pendant certaines périodes de l’année, par exemple pour tenir compte de contraintes environnementales ou de la saison touristique.

Que deviennent les sédiments dragués ? Peuvent-ils être valorisés ?

  • La gestion la plus courante est le clapage en mer (i.e. l’immersion en mer du matériau sédimentaire extrait), la filière la plus utilisée en France en termes de volumes dragués. Elle est valable pour des sédiments peu et pas contaminés. Quelques variantes existent, telles que le rejet au fil de l’eau, dans un contexte avec présence de fleuve ou rivière, ou le rechargement de plages quand il s’agit de sédiments sableux.
  • La seconde grande destination est la gestion à terre. Le sédiment peut faire l’objet d’un tri granulométrique de manière à séparer les fractions sableuses plus facilement valorisables (notamment dans des travaux de génie civil) de celles qui le sont moins (fines argileuses en particulier). Concernant les matériaux les plus fins, des études préalables en laboratoire peuvent être conduites de manière à vérifier la faisabilité et les conditions de la valorisation.

A titre d’exemple, le lerm étudie actuellement la faisabilité de formulation d’un matériau contenant des sédiments traités au liant pour le remplissage de quais portuaires en Bretagne. Concernant les sédiments contaminés, le dragage étant souvent associé à des travaux d’aménagement portuaire, ils peuvent être utilisés de manière confinée pour créer un terre-plein, remblayer des cavités dans le quai etc. Cependant, en cas de volumes importants, et d’une accumulation de pollution, des plateformes de décantation et de stockage sont créées.

Rejet de sédiment dragué hydrauliquement avant lagunage © F. LEVEQUE, setec in vivo

Si le terme de valorisation est utilisé dans le sens de transformation du sédiment pour en faire un autre produit, nous n’y arrivons pas vraiment aujourd’hui. Pour les sédiments marins, les risques dus aux contaminants sont un frein à ces filières de transformation. La plupart du temps on procède à du tri granulaire par séparation mécanique.

Qu’en est-il de la contamination des sédiments portuaires ?

Les sites de stockage et/ou de valorisation des sédiments sont soumis au régime des ICPE (Installations Classées pour la Protection de l’Environnement). De fortes évolutions réglementaires ont lieu depuis les années 2000. La prise de conscience sur la qualité des sédiments, la présence de contaminants et l’impact sur le milieu naturel a pris forme. Même si le clapage demeure à ce jour la solution la plus utilisée en termes de volumes de sédiments, les contrôles relatifs à la nature des matériaux à draguer, à leur niveau de contamination et aux impacts sur les sites de clapage ont été renforcés.

A quel moment sont faits les contrôles sur les sédiments ?

Réalisés en amont du projet de dragage, ils conditionnent la réflexion sur la destination des sédiments, les études à mener sur l’impact de la solution qui va être choisie… Avant toute intervention, la connaissance et la caractérisation de la nature du sédiment et de sa contamination sont nécessaires. Il existe une grille de comparaison réglementaire relative aux contaminants. Le volume doit ensuite être évalué. Ces deux critères déterminent la procédure administrative à mettre en place vis-à-vis du code de l’environnement (déclaration loi sur l’eau, étude d’impact …).

Que fait-on des macrodéchets ?

Récupérés lors des dragages, ils sont triés par matériaux : il s’agit souvent de ferrailles et aussi de blocs de cailloux d’enrochements. Leur nombre et leur nature dépendent de la fréquence des dragages dans le port et du type de port. Ils sont triés par type et recyclés comme tout déchet dans les filières agréées.

Macro-déchets recueillis lors d’un dragage mécanique © F. LEVEQUE, setec in vivo

Vous avez évoqué le volet instrumentation et mesures dans vos activités. Pouvez-vous nous en dire plus ?

  • Des modèles numériques sont réalisés en amont des travaux, pour comprendre les phénomènes physiques que le dragage va produire, comment il peut générer un panache par remobilisation et, dans le cas d’un clapage, comment les sédiments vont interagir avec le milieu. L’utilisation de ces modèles permet d’évaluer l’impact des sédiments dans le cadre des dossiers réglementaires.
  • Par ailleurs, des programmes de mesures sont de plus en plus souvent mis en place pendant et après le dragage. Ces mesures de suivi en continu permettent d’évaluer le panache d’eaux troubles généré, notamment lorsqu’il y a des habitats naturels sensibles à la turbidité. Nous instrumentons des bouées de mesures pour effectuer le suivi du milieu et alerter l’entreprise qui réalise le dragage lorsque les valeurs dépassent un certain seuil. Cela lui permet d’adapter sa cadence de dragage ou d’interrompre momentanément son intervention. Ce type de suivi est presque systématiquement demandé dès que des sensibilités naturelles sont à préserver.
  • Les données récoltées sur le terrain peuvent, sur certaines opérations importantes de dragage, être incorporées dans le modèle, de manière à mieux comprendre comment le panache se diffuse et ce qui se passe dans la réalité. Utiliser conjointement l’instrumentation et la modélisation numérique est, à ce jour, une pratique encore assez peu répandue.

Quels types d’études setec in vivo mène-t-il précisément ?

Nous répondons aux besoins de l’ensemble du littoral français, nos activités se situant en particulier sur la façade Atlantique, la Manche et la Mer du Nord.

Le groupe GEODE, groupe d’experts scientifiques à l’origine de la détermination des seuils N1 et N2 de contamination qui réglementent le dragage, édite régulièrement des guides de bonnes pratiques. Nous utilisons ces guides pour proposer notre programme d’études sur un site donné.

Chaque programme est adapté aux sensibilités du territoire, il est réalisé sur mesure au cas par cas. Nous évaluons notamment les habitats naturels sur les sites d’immersion et leurs alentours. Nous réalisons des inventaires de la faune et de la flore. Nous utilisons les résultats des modélisations numériques réalisées par des bureaux d’étude spécialisés pour estimer la manière dont les sédiments vont se déplacer dans le milieu, où ils vont se déposer, s’ils vont créer de la turbidité etc.

Les projets de dragage sont quasi systématiquement soumis a minima à des dossiers réglementaires liés à la loi sur l’eau. Nous devons évaluer les incidences du dragage sur l’environnement et justifier que le projet est acceptable au niveau environnemental. Toutes nos études visent à répondre aux exigences techniques et réglementaires.

Certains sites portuaires disposent de zones d’immersion déjà définies et, pour d’autres, nous devons procéder à des études amont pour en trouver. Cela concerne particulièrement des ports n’ayant jamais été dragués ou bien des infrastructures portuaires pour lesquelles le dernier dragage en date est très ancien. Comme pour les sédiments fluviaux et de barrages, nous déversons les sédiments dans leur milieu d’origine, mais la différence est que nous devons étudier les sites d’immersion.

Un exemple de chantier de dragage sur lequel vous avez travaillé et dont vous aimeriez nous parler ?

Nous avons été sollicités pour rédiger le plan de gestion des dragages concertés sur les dix années à venir de 15 sites de dragage situés dans la rade de Lorient et mettre en place le dossier réglementaire associé.

Des rencontres organisées entre les différents acteurs afin de se coordonner et d’explorer en commun les pistes de travail, s’en est suivie une démarche originale où 4 maîtres d’ouvrages, les 3 collectivités (ports de la région Bretagne, ports de Lorient agglomération, ports de la compagnie des ports du Morbihan) et l’entreprise Naval Group se sont regroupés pour avoir une réflexion commune à l’échelle de la rade sur leurs dragages.

Très peu de gestionnaires portuaires s’associent pour une gestion commune et concertée des dragages. Nous préconisons ce type de démarche, car les réflexions et les travaux de recherche communs rendent plus facile le développement de filières de gestion alternatives (en particulier des filières de valorisation matière). De plus, la création de plateformes de gestion et de centres de stockage devient plus rentable lorsque le volume des sédiments est plus important.

Il est très satisfaisant de constater que  trois organismes publics et un organisme privé ont pu s’accorder pour avoir une vision concertée de leurs dragages.