Caractérisations et analyses réglementaires sur les sédiments de dragage

La thématique des sédiments est, par nature, en interface avec de nombreux sujets d’ordre environnemental. Les questions que se posent les maîtres d’ouvrage sont notamment :

  • Quelle sera l’incidence des différents modes de gestion des sédiments sur le milieu aquatique ?
  • Sur quels paramètres le sédiment à extraire doit-il être qualifié ?
  • Dans quel type d’installation de traitement ou stockage doivent être gérés les sédiments extraits en fonction de leurs propriétés chimiques et environnementales ?
  • Quelles voies de valorisation sont réglementairement autorisées pour un sédiment ayant des caractéristiques chimiques et environnementales données ?

En raison de ce positionnement des sédiments au carrefour de diverses problématiques, plusieurs domaines de la législation doivent être considérés pour traiter pleinement le sujet. Sont en particulier concernées les législations sur (i) l’eau, (ii) les déchets et (iii) les Installations Classées pour la Protection de l’Environnement (ICPE). Il doit donc être retenu que la gestion des sédiments ne fait pas l’objet d’une législation dédiée et ne peut être abordée au travers d’un prisme législatif unique.

Cet article n’a pas vocation à explorer toutes les facettes du cadre réglementaire relatif à la gestion des sédiments. En revanche, l’accent sera mis sur les procédures de caractérisation et d’analyse des sédiments de dragage en vigueur, à savoir :

  • Les caractérisations physico-chimiques permettant d’évaluer la qualité environnementale du sédiment en amont de sa manipulation (opération de dragage notamment) ;
  • Les analyses inhérentes au statut de déchet, pour des sédiments extraits du milieu aquatique et gérés à terre ;
  • Les analyses complémentaires, propres aux sédiments extraits en domaine continental, dont la liste est établie par l’arrêté du 30 mai 2008.

Il est précisé que le présent document rend compte d’une situation réglementaire et procédurale à un instant t. Or, les textes relatifs aux sédiments et à leur gestion connaissent des mutations fréquentes. D’éventuelles évolutions par rapport au contenu de cet article sont donc susceptibles d’intervenir à court ou moyen terme.

Des niveaux réglementaires pour positionner les sédiments à draguer en fonction de leur qualité physico-chimique

Etablissement de niveaux réglementaires pour les domaines marins et continentaux

L’obligation pour un maître d’ouvrage d’effectuer des analyses avant la réalisation d’opérations de gestion des sédiments est introduite par l’arrêté le 14 juin 2000.

La circulaire interministérielle N°2000-62 complète cet arrêté et lui offre une grille de lecture.

L’objectif du texte du 14 juin 2000 est de fixer des niveaux de contamination dits N1 et N2 permettant d’apprécier l’incidence que peut avoir une opération projetée, notamment sur le milieu aquatique.

Ce référentiel découle des travaux du Groupe d’Etudes et d’Observation sur les Dragages et l’Environnement (abréviation GEODE) bâti au début des années 90 et composé de représentants des Ministères, des Ports Maritimes et d’experts scientifiques. Il est précisé que ces premiers textes réglementaires portaient exclusivement sur les matériaux sédimentaires accumulés dans des environnements marins et estuariens.

Les atterrissements en domaine continental n’étaient donc, à ce stade, pas pris en compte. Ils l’ont été à partir de l’arrêté du 9 août 2006 : ce texte instaure, en sus des niveaux N1 et N2 préexistants pour les sédiments marins et estuariens, un niveau S1 dédié aux sédiments provenant du domaine continental (cours d’eau, canaux et lacs).

Rôle et emploi des niveaux réglementaires

L’objet de ces niveaux de référence (N1/N2 pour les sédiments marins et estuariens ; S1 pour les sédiments fluviaux et de canaux) est de poser des balises permettant d’anticiper l’incidence qu’aura sur l’environnement une opération projetée de manipulation de matériaux sédimentaires, notamment un dragage.

En conséquence, ces valeurs seuils tendent également à orienter le choix dans le mode de gestion des sédiments avec :

• Soit une remise dans le milieu aquatique par clapage en mer pour les sédiments marins ou, pour les opérations en milieu continental, une dilution dans le cours d’eau aval ;
• Soit une gestion à terre si les sédiments ne présentent pas une qualité physico-chimique et environnementale adéquate ou si les conditions locales ne permettent pas une remise dans le milieu aquatique.

De plus, ces niveaux de référence ont vocation, en combinaison avec les volumes dragués, à définir le régime administratif s’appliquant à l’opération de dragage. En fonction du positionnement des sédiments par rapport aux seuils et des volumes à draguer, l’opération d’extraction peut relever du régime de la déclaration ou de l’autorisation. Les conditions d’attribution de l’un ou l’autre des régimes administratifs sont illustrées par les tableaux décisionnels 1 et 2 présentés en annexe (1) au présent article.

Niveaux de référence pour les différents contaminants retenus

Les niveaux N1/N2 et S1 définis dans l’arrêté du 9 août 2006 portent sur les familles de contaminants qui suivent :
1. 8 éléments-traces métalliques : Arsenic, Cadmium, Chrome, Cuivre, Mercure, Nickel, Plomb et Zinc ;
2. Les polychlorobiphényles (PCB) : Les PCB sont des composés dont l’utilisation a été abondante au XXème siècle du fait de leurs excellentes propriétés électriques et de leur caractère ininflammable. Ils sont aujourd’hui réputés écotoxiques et, pour l’Homme, toxiques et reprotoxiques. Ces molécules sont également sujettes à des processus de bioaccumulation en lien avec leur forte affinité pour les tissus lipidiques. 7 congénères PCB sont retenus dans l’arrêté de 2006 ;
3. Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) : Ces composés chimiques hydrophobes sont majoritairement d’origine anthropique et résultent de la combustion incomplète et à haute température de matières carbonées fossiles (notamment pétrole et charbon). Pour ce qui est des sédiments, 16 molécules différentes sont prises en compte ;
4. Tributylétains (pour les sédiments provenant du domaine marin) : Il s’agit d’un groupe de molécules chimiques utilisées dans la deuxième moitié du XXème siècle pour la protection des coques de bateaux, aujourd’hui identifiées comme écotoxiques. La prise en compte de ces composés concerne exclusivement les sédiments marins et estuariens (niveaux N1 et N2).
Plusieurs arrêtés modificatifs (publiés en 2009, 2013 et 2014) ont conduit à faire évoluer les valeurs seuils définies initialement dans l’arrêté du 9 août 2006. Les niveaux aujourd’hui en vigueur sont rappelées dans les tableaux 3 et 4 fournis en annexe à cet article (1) .

Caractérisation des sédiments gérés à terre selon le référentiel déchets : dangerosité et caractère inerte

Dès l’instant où les sédiments sortent du milieu aquatique pour une gestion à terre du matériau, ils adoptent le statut de déchet. A ce titre, les sédiments doivent être caractérisés au regard du référentiel déchet, ce qui comprend :

1. D’une part, la détermination de leur caractère dangereux ou non dangereux ;
2. D’autre part, l’analyse de leur caractère inerte ou non inerte.

Les modalités d’évaluation de la dangerosité et du caractère inerte des sédiments sont illustrées par la Figure 1 ci-après.

Figure 1 : Modalités d’évaluation de la dangerosité et du caractère inerte de sédiments gérés à terre

Evaluation de la dangerosité des sédiments

Au sein de la nomenclature sur les déchets, les sédiments disposent de deux entrées, dites « entrées miroirs » : 17 05 05 et 17 05 05*. La présence ou l’absence de l’astérisque rendent compte respectivement du caractère dangereux ou non dangereux du déblai de dragage.

La qualification de la dangerosité d’un déchet doit se faire sur la base des 15 propriétés de danger, notées HP1 à HP15. Dès lors qu’il présente une propriété de danger, le déchet est défini comme dangereux.

Concernant les sédiments de dragage, les protocoles à appliquer pour chaque propriété de danger sont désormais relativement bien définis (voir Figure 1), avec 4 cas qui coexistent :
1. Les propriétés de danger qui ne peuvent être appliquées aux sédiments issus de dragage (par exemple explosif, comburant et inflammable) ;
2. Les propriétés de danger évaluées par rapport à des teneurs seuils en contaminant définies dans le rapport publié par l’INERIS et le CEREMA en 2017 : un sédiment présentant des teneurs en polluants inférieures à ces seuils sera, de fait, identifié comme non dangereux pour les propriétés de danger correspondantes ;
3. La propriété de danger HP 14 (écotoxicité) évaluée via le protocole du BRGM édité en 2013 ;
4. Les propriétés de danger pour lesquelles aucun protocole n’est défini à ce jour, à savoir HP9 (infectieux) et HP12 (dégagement d’un gaz à toxicité aiguë). Leur évaluation doit donc se faire en se fondant sur leur origine et leurs caractéristiques.

Evaluation du caractère inerte des sédiments

Le caractère inerte d’un sédiment est évalué sur la base des paramètres contenus dans l’arrêté du 12 décembre 2014 relatif aux conditions d’admission des déchets inertes dans les installations relevant des rubriques 2515, 2516, 2517 et dans les installations de stockage de déchets inertes relevant de la rubrique 2760 de la nomenclature des installations classées.

L’annexe II à l’arrêté précité spécifie les limites maximales à respecter en test de lixiviation (sur éluat) et en contenu total. Les méthodologies et les seuils retenus pour l’évaluation du caractère inerte des sédiments concernent l’ensemble des déchets et ne prennent donc pas en compte les spécificités propres aux déblais de dragage.

Dans ce contexte, l’origine et la nature même de ces matériaux peuvent s’avérer pénalisantes et induire le dépassement de certains seuils. A titre d’exemple, les valeurs maximales en lixiviation sur les paramètres chlorures, sulfates et fraction soluble peuvent être franchies par des sédiments d’origine marine sans que toutefois ces matériaux ne soient contaminés par des polluants d’origine anthropique.

Caractérisations spécifiques à effectuer lors d’opérations d’entretien de cours d’eau et canaux

En sus des analyses mentionnées dans les paragraphes précédents, l’arrêté du 30 mai 2008 fixant les prescriptions générales applicables aux opérations d’entretien de cours d’eau ou canaux […] précise un certain nombre de caractérisation complémentaires à effectuer pour les sédiments extraits en domaine continental.

Ces analyses additionnelles sont en lien avec des options de valorisation agricole / agronomique comme le régalage ou l’épandage. Ainsi, outre les mesures de polluants métalliques et organiques permettant de positionner le sédiment par rapport à un niveau S1, l’arrêté du 30 mai 2008 exige que soient renseignées notamment la granulométrie du matériau sédimentaire et ses teneurs en azote Kjeldahl, en phosphore total et en carbone organique.

La phase interstitielle (liquide) doit également être analysée dont pH, conductivité, azote ammoniacal et azote total. L’ensemble de ces paramètres permettent de rendre compte de la qualité agronomique du sédiment et de préciser dans quelle mesure il sera bénéfique dans le cadre d’une utilisation en régalage ou en épandage.

Des caractérisations à prévoir pour une orientation pertinente des sédiments vers les voies de valorisation

Pour juger de l’aptitude à la valorisation d’un sédiment dans une filière donnée, notamment industrielle, réaliser la totalité des analyses citées dans le présent article s’avère généralement insuffisant. Le cadre réglementaire et les analyses afférentes portent de manière quasi exclusive sur la qualité environnementale des sédiments et les éventuels impacts écologiques liés à leur manipulation.

En revanche, les propriétés « techniques » des matériaux issus de dragage et leur aptitude à entrer dans les process en substitution aux matières premières traditionnellement utilisées doivent également être évaluées. Cela passe par des essais spécifiques et adaptés à la voie de valorisation des sédiments de dragage considérée.

Ces caractérisations additionnelles peuvent notamment comprendre :
Des analyses minéralogiques : la diffraction des rayons X est une technique pouvant être mise en œuvre pour discriminer les phases cristallines en présence (par exemple carbonates, silicates, phases argileuses) ;
• Une caractérisation des argiles du matériau sédimentaire : la connaissance de la proportion d’argiles, de leur nature et de leur activité renseignera en particulier sur le comportement du sédiment vis-à-vis de l’eau. Plusieurs techniques de laboratoire peuvent être mises en œuvre : quantification des argiles par sédimentométrie, identification des types d’argiles en présence par DRX sur lames minces et argilosité sur la base de la capacité du sédiment à absorber le bleu de méthylène (cf. valeur au bleu des sols) ;
• Des caractérisations chimiques portant sur les éléments majeurs et mineurs : dans les analyses requises par la réglementation, seuls quelques éléments traces sont quantifiés. Or, pour considérer l’aptitude d’un sédiment à entrer dans une filière de valorisation, notamment industrielle, les éléments majeurs (silicium, calcium, aluminium et fer) et certains éléments mineurs hors éléments traces métalliques doivent également être pris en compte.

La société setec lerm est en mesure d’accompagner les gestionnaires de sédiments dans les démarches de valorisation en sélectionnant et réalisant les analyses de laboratoire les plus appropriées à leurs contextes respectifs et aux solutions de valorisation pressenties.

Des ouvrages de référence pour la réalisation d’échantillonnages appropriés

Les stratégies d’élaboration des plans d’échantillonnage et les modalités de réalisation des prélèvements ne sont pas abordées de manière détaillée dans le présent article. Le lecteur est renvoyé vers des ouvrages existants.

Un premier document a été publié en 2016 à l’initiative du Groupe d’Etudes et d’Observation sur les Dragages et l’Environnement (GEODE) intitulé Bonnes pratiques pour la caractérisation des matériaux en vue d’une opération de dragage et d’immersion en milieu marin et estuarien. Comme son titre l’indique, il n’abordait pas le contexte des sédiments fluviaux et lacustres.

Un nouvel ouvrage, publié en 2018 par le CEREMA, fait aujourd’hui figure de référence pour ce qui est des recommandations sur les méthodes d’échantillonnage. Il s’intitule Echantillonnage des sédiments marins et fluviaux – Du plan d’échantillonnage aux analyses de laboratoire – Synthèse documentaire et recommandations. Il présente l’avantage de considérer l’ensemble des dragages, à la fois en domaine continental, estuarien et maritime. Les recommandations portent à la fois notamment sur : le nombre d’échantillons à investiguer en fonction des caractéristiques du chantier de dragage, les stratégies d’échantillonnage à retenir (méthode aléatoire, méthode statistique selon un maillage, ciblage de zones particulières) et le type de matériel de prélèvement à privilégier en fonction du contexte (benne, carottier, etc.).

 

Eléments bibliographiques cités dans l’article
Textes réglementaires 

Arrêté du 14 juin 2000 relatif aux niveaux de référence à prendre en compte lors d’une analyse de sédiments marins ou estuariens présents en milieu naturel ou portuaire.

Circulaire n°2000-62 du 14 juin 2000 relative aux conditions d’utilisation du référentiel de qualité des sédiments marins ou estuariens présents en milieu naturel ou portuaire défini par l’arrêté ministériel.

Arrêté du 9 août 2006 relatif aux niveaux à prendre en compte lors d’une analyse de rejets dans les eaux de surface ou de sédiments marins, estuariens ou extraits de cours d’eau ou canaux relevant respectivement des rubriques 2.2.3.0, 4.1.3.0 et 3.2.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement.

Arrêté du 30 mai 2008 fixant les prescriptions générales applicables aux opérations d’entretien de cours d’eau ou canaux soumis à autorisation ou à déclaration en application des articles L. 214-1 à L. 214-6 du code de l’environnement et relevant de la rubrique 3.2.1.0 de la nomenclature annexée au tableau de l’article R. 214-1 du code de l’environnement.

Circulaire du 4 juillet 2008 relative à la procédure concernant la gestion des sédiments lors de travaux ou d’opérations impliquant des dragages ou curages maritimes et fluviaux.

Arrêté du 12 décembre 2014 relatif aux conditions d’admission des déchets inertes dans les installations relevant des rubriques 2515, 2516, 2517 et dans les installations de stockage de déchets inertes relevant de la rubrique 2760 de la nomenclature des installations classées.

Règlement (UE) n°1357/2014 de la Commission du 18 décembre 2014 remplaçant l’annexe III de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil relative aux déchets et abrogeant certaines directives.

Guides et référentiels 

BRGM. Test du protocole d’écotoxicologie (critère H14) pour l’évaluation du caractère dangereux de sédiments destinées à une gestion à terre. Rapport N°RP-61420-FR. 2013.

GEODE – EGIS EAU. Bonnes pratiques pour la caractérisation des matériaux en vue d’une opération de dragage et d’immersion en milieu marin et estuarien. 2016.

INERIS – CEREMA. Valorisation de sédiments en technique routière GT1 – Evaluation de la dangerosité : Proposition de seuils et confrontation des données françaises. 2017.

CEREMA. Echantillonnage des sédiments marins et fluviaux – Du plan d’échantillonnage aux analyses de laboratoire – Synthèse documentaire et recommandations. 2018.

 

(1) Annexes

Extrait de l’arrêté du 9 août 2006

Extrait de l’arrêté du 9 août 2006