La naissance d’un liant hydraulique

Savoir-faire, empirisme, recherches et découvertes

Le béton romain – Chaux hydraulique pouzzolanique

Pont du Gard (1er siècle apr. J.-C.) : Utilisation de mortier hydraulique en produit d’étanchéité de la canalisation où passait l’eau (specus).

Il y a 2 000 ans, les Romains utilisèrent largement l’argile cuite et la pouzzolane en adjonction au mortier de chaux, conférant ainsi un caractère d’hydraulicité au mélange : la maçonnerie réalisée avec ce produit devenait solide et performante sous l’eau. Outre les supports de fresques et mosaïques, de nombreux vestiges archéologiques d’ouvrages de transport d’eau potable – tel le Pont du Gard – ou d’eaux usées dans les citées romaines en témoignent.

Vestige de l’aqueduc Gallo-Romain reliant Arles aux Alpilles, enduit intérieurement d’une couche de mortier pour en assurer l’étanchéité .

 

Les grappiers

Au moyen-âge, le four droit fait son apparition et génère une combinaison des argiles contenues dans les calcaires sous forme de boules que les chaufourniers ou exploitants de fours à chaux nomment grappiers.

Ceux-ci étaient considérés alors comme des déchets et donc séparés de la chaux. Or, en faisant ainsi, les chaufourniers se privaient sans le savoir de l’effet pouzzolanique du matériau … et l’histoire rapporte que l’observation des grappiers solidifiés sous l’eau où ils étaient jetés depuis les berges du Rhône au Teil conforta les travaux de Louis Vicat dans la recherche de l’hydraulicité de la chaux.

Ces grappiers furent utilisés au 19ème siècle, comme dans l’exploitation de la chaux du Teil.

 

Chaux hydraulique naturelle – Ciment naturel dit « Ciment romain »

Parker, à la fin du 18e siècle, fabrique un ciment naturel (à prise rapide), produit de la calcination de galets de l’île de Sheppey. Parker donna tout d’abord son nom à ce ciment puis le dénomma « ciment aquatique » avant d’en donner l’appellation purement commerciale de « ciment romain ».

Le ciment naturel joua un rôle important partout en Europe dans la construction et le génie civil. La production de nombreux ciments naturels se multiplia. Une de ses applications particulières et étonnante est son usage dans la restauration des cathédrales gothiques.

Cathédrale de Bourges (fin XIIème – fin XIIIème siècle apr. J. C.). Travaux de restauration de 1824 à 1860 (utilisation du ciment naturel de Vassy).

A cet égard, la Cathédrale de Bourges en est un précieux témoin. De 1824 à 1860, en effet, des travaux de restauration de la cathédrale furent menés en employant du ciment naturel en provenance de Vassy. Il servit à des travaux d’étanchéité des maçonneries, de rejointoiement des pierres et de réparation des sculptures. Son faible coût, sa résistance, sa capacité à être modelé, sa couleur enfin, le désignèrent pour cette entreprise et il se répandit jusqu’aux découvertes de Vicat sur l’hydraulicité en 1818.

 

Chaux hydraulique artificielle – Chaux factice

Les travaux de Vicat permirent de déterminer les règles de fabrication de la chaux hydraulique, grâce à la maîtrise des doses de calcaire et d’argile nécessaires à sa fabrication, ce qui eut pour effet d’extraire la production de la dépendance à la nature de la roche elle-même et par là-même d’un certain empirisme qui était en cours jusqu’alors…

Vicat dénomma son produit « chaux factice » sans délivrer de brevet, préférant « la gloire d’être utile à la fortune à celle d’être riche », selon l’expression du Baron Thénard. Honneur à lui !

 

 

Ciment Portland – Ciment de Portland

Lorsqu’en 1824, Aspdin réalisa une cuisson d’un mélange de calcaire et d’argiles qui produisit une chaux extrêmement hydraulique (ciment à prise lente), il le nomma ciment Portland, affirmant que ce matériau était aussi dur que la pierre de Portland. Il déposa un brevet.

L’usine de Boulogne produisit un ciment composé de craie et d’argile, connu sous le nom de ciment de Portland. Puis un ciment à prise lente fut mis au point, portant le même nom.

Cette fabrication s’étendit dans différents pays, et le ciment devint définitivement une poudre qui prend sous l’eau en donnant un matériau plus résistant que la chaux, entrant ainsi dans l’ère de l’industrialisation du ciment.

Pont en ciment armé du château de Chazelet (Joseph Monier, 1875), considéré a priori comme le premier pont en « ciment armé » .
Photographie : Bernard Marrey, Editions du Linteau, Paris. — Bosc, J.-L. et al Joseph Monier et la naissance du ciment arme. Linteau, Paris, 2001., FAL, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=9044903

 

Sources d’information

Boulesteix Ch., L’évolution de la normalisation des ciments. In :  Revue des matériaux de construction et des travaux publics, n° 679, avril 1973.

Deloye François-Xavier, Evolution des ciments Portland durant la seconde moitié du XXème siècle.  (s. l.) : (s. n.) : (s. d.).

Loits André, Guide des liants minéraux utilisés dans la construction et la restauration. – (s. l.) : (s. n.). – 2010.

Candlot E., Ciments et chaux hydrauliques: Fabrication, propriétés, emploi. – Baudry & Cie., 1891.

Martinet Gilles, Souchu Philippe, Aux origines du ciment : Entre chaux et ciment Portland, la naissance du ciment naturel. In : Ciments, bétons, plâtres, chaux, n° 889, février-mars 2008.

Martinet Gilles, Souchu Philippe, Naissance et triomphe du ciment Portland : Du tâtonnement industriel à la chimie des ciments. In : Ciments, bétons, plâtres, chaux, n° 891, juin-juillet 2008.

 

A lire

Les Bétons du patrimoine : histoire, diagnostic, restauration. Guide technique à destination des acteurs du patrimoine bâti – Editions SEBTP, 2021. A voir en fin du guide la frise historique retraçant de l’Antiquité à nos jours l’apparition des constructions en béton et des périodes associées, des inventeurs pionniers aux architectes brutalistes. Ces constructions sont aujourd’hui classées pour la plupart au titre de la protection des monuments historiques.