Sédiments fluviaux : des plans d’actions

Entretien avec Marion Delplanque, chargée de mission Sédiment, chez VNF                      

Pourriez-vous nous présenter VNF ?

VNF est un établissement public dont les 7 directions territoriales (DT) gèrent et entretiennent 6800 km de voies d’eau réparties sur le territoire français. Deux réseaux, à grand et petit gabarit supportent le transport de fret et le tourisme fluviaux. Une certaine hauteur d’eau est nécessaire pour permettre aux bateaux de naviguer : c’est ce que l’on appelle le mouillage. La garantie de ce mouillage est assurée par des opérations d’entretien régulières : les dragages. En effet, les voies d’eau récupèrent des sédiments majoritairement issus des activités agricole (érosion des sols) ou urbaine (ruissellements).

En quoi consiste le dragage ?

Le dragage d’entretien, réalisé de façon régulière, permet de maintenir les caractéristiques des voies d’eau. Cela représente, en moyenne par an, 600 000 mètres cubes de sédiments sur l’ensemble du territoire, 100 à 120 000 mètres cubes dans le Nord Pas de Calais, 190 000 mètres cubes sur le Bassin de la Seine.

Le dragage d’accroissement capacitaire, quant à lui, permet d’améliorer le gabarit de la voie d’eau, lui permettant d’accueillir des bateaux de plus grandes dimensions. Trois opérations de ce type sont en cours ou vont être prochainement lancées dans le Nord Pas de Calais. La remise en navigation du canal de Condé à Pommeroeul, notamment, nécessitera de gérer 1,3 millions de mètres cubes de sédiments.

Il s’agit donc de volumes importants de sédiments, dont les qualités physico-chimiques peuvent être ponctuellement dégradées.

Dragage Bruay sur Escaut, 2016 – © DEME – Ecoterres 

Quelle est la qualité des sédiments issus des dragages des voies d’eau ?

Les sédiments sortis de l’eau sont considérés comme déchets par la réglementation. A ce titre, ils peuvent appartenir à trois catégories différentes : 1- dangereux, 2- non dangereux non inertes, 3-inertes.

Dans la plupart des voies d’eau gérées par VNF, les sédiments à évacuer après dragage sont majoritairement inertes. En l’absence de valorisation, ces déchets sont conservés dans des installations de stockage de déchets classées. Le remblaiement de carrières par ces déblais de dragage inertes est une voie de valorisation possible. Cependant, cette filière peut être en tension dans certains secteurs, notamment le bassin de la Seine, où d’autres déchets tels que les terres excavées du Grand Paris, font concurrence aux sédiments.

Dans le Nord – Pas-de-Calais, en revanche, environ 90 % des sédiments à gérer sont non dangereux non inertes, ce qui leur interdit d’être valorisés dans des filières nécessitant des matériaux inertes. Aujourd’hui, l’essentiel des sédiments extraits dans ce secteur sont transférés, par voie fluviale, vers les Pays-Bas et la Belgique où ils sont valorisés en corps de digues par exemple.

Or, il pourrait y avoir des solutions de valorisation en France.

La qualité des sédiments ainsi que le développement et la maturité des filières de valorisation à l’échelle nationale, sont les deux problématiques auxquelles VNF est confronté.

Tout l’enjeu est de pouvoir gérer les sédiments à des coûts relativement raisonnables et de les transmettre à des filières de valorisation sur le territoire national pour répondre aux enjeux internationaux en matière d’économie circulaire et développer des filières économiques sur le territoire.

Quelles actions ont été entreprises par VNF pour répondre à ces enjeux ?

La gestion et la valorisation des sédiments est un sujet pris en main dès 2003 par la direction territoriale Nord – Pas-de-Calais de VNF, via la gestion et l’aménagement des terrains de dépôts. Ces derniers, appelés aujourd’hui sites de gestion des sédiments, sont issus des pratiques historiques de dragage et dépôt de sédiments. Il en existe 183 dans les seuls départements du Nord et du Pas-de-Calais, qui possède un réseau dense de 680 km de voies d’eau, soit un dixième du réseau national.

A la suite de la transcription de la directive « déchets » en droit Français, l’utilisation des sites de gestion des sédiments, qui devaient être classés ICPE, a été rendue plus difficile, entraînant une multiplication par cinq des coûts de gestion des sédiments. Une autre stratégie que le stockage définitif des sédiments devait donc être envisagée. L’étude Alluvio, lancée en 2016, menée par setec hydratec et setec lerm, visait ainsi à déterminer des solutions alternatives à la gestion définitive à terre des sédiments et à trouver des filières de valorisation. Elle comportait également une réflexion sur la gestion en amont des sédiments.

En effet, un sédiment qui n’arrive pas dans la voie d’eau est un sédiment qu’on n’aura pas à en sortir et qui ne sera pas considéré comme déchet.

Que résulte-t-il de cette partie de l’étude Alluvio sur les sources d’apports de sédiments ?

Nous avons quantifié les apports sédimentaires à la voie d’eau. Les résultats montrent que les apports provenant du domaine agricole et dus à l’érosion des sols sont de l’ordre de 56% et les apports urbains de 43%.

Ceci est à mettre en lien avec la problématique de la gestion des eaux pluviales, des déversoirs d’orages et des systèmes d’assainissement qui ne sont pas en capacité d’absorber les pluies les plus importantes et déversent en milieu naturel des eaux grises avec des eaux pluviales.

Un travail conjoint avec les territoires est donc nécessaire pour développer des techniques agricoles alternatives et viser à la gestion de l’eau à la parcelle, problématique qui s’avère primordiale. Cette réflexion en amont est toujours en cours avec les territoires.

Et qu’en est-il de la valorisation ?

Dans la partie aval de la démarche Alluvio, il s’agissait de s’interroger sur la manière de gérer au mieux le sédiment immédiatement après l’opération de dragage. En particulier, nous avons étudié les questions relatives aux installations de transit et de préparation du sédiment, qui permettent de sécuriser leur valorisation et leur usage dans certaines filières.

La DT Nord – Pas-de-Calais a réalisé un projet dans le cadre de la démarche Sedimateriaux au travers duquel le sédiment a été valorisé en tant que charge granulaire pour le béton. Ce projet a démontré qu’une étape de préparation du sédiment (déshydratation, tri granulométrique) est incontournable pour en garantir l’utilisation dans les filières de valorisation. Il est en effet important de mettre en place les conditions favorables à l’intégration des sédiments dans les processus de fabrication des industriels, pour qu’ils y trouvent un intérêt à les utiliser.

Alluvio a également pu quantifier le gisement potentiel de sédiments fluviaux à différentes échelles de temps (5-10-15 ans), ce qui permet aux industries, sur la base de cette ressource sécurisée, de construire des plans d’investissement qui garantissent leur rentabilité sur le long terme.

Poutre de couronnement, Chantier de réfection de berge de Goeulzin, 2018 © VNF

Que peut-on dire de la rentabilité à utiliser le sédiment comme composant de substitution ?

VNF s’engage sur plusieurs points : la mise en place d’installations de transit pour préparer un sédiment déshydraté et prêt à être utilisé dans les filières, et une incitation financière, qui a un impact très positif sur la recherche menée par les industriels. Nous envisageons, pour accompagner le développement des filières, de mettre en place dans un premier temps une incitation de 10 à 15 euros par tonne de sédiments valorisée par un industriel. Cette incitation est à mettre en regard des coûts d’adaptation des filières de valorisation : Le projet Sédimatériaux a démontré que, pour la filière béton, l’effort financier à porter par l’industriel était de l’ordre de de 2 euros la tonne…

Par ailleurs, le projet Sédimatériaux a permis de démontrer l’innocuité environnementale des sédiments utilisés dans une formulation de béton. Un taux de remplacement du sable pour béton par les sédiments de 20% donne des résultats très positifs en matière de performances mécaniques et d’innocuité. La filière de béton préfabriqué et de béton prêt à l’emploi est donc techniquement, économiquement et écologiquement mure. Les deux voies ont été testées : matelas gabions avec béton préparé en centrale et poutres de couronnement où le béton a été coulé sur le site. Aucune difficulté majeure n’a été rencontrée, seules quelques mesures d’adaptation sont nécessaires.

Ont été testées également des valorisations dans les filières asphalte, ciment, plastique, réfection de berges…

Sédiments préparés – © Néo Eco

Quelles suites VNF entend donner à ces démarches ?

La démarche Alluvio est une étude fil rouge dont l’objectif est de mettre en place des plans d’action à la fois pour agir en amont (réduire les sources d’apports sédimentaires et améliorer la qualité) et pour favoriser le développement des filières de valorisation. VNF envisage d’étendre progressivement cette stratégie au niveau national avec la même réflexion sur les apports sédimentaires, sur les tarifications des filières …

Une communication importante doit être engagée vers différents acteurs, maîtres d’ouvrages et industriels notamment, sur les possibilités d’intégrer le sédiment dans un certain nombre de processus de fabrication industrielle. Nous rédigeons un guide technique et juridique à destination des maîtres d’ouvrages publics et privés pour toutes sortes de marchés de travaux – confortement de berges, poutres de couronnement, chaussées réservoirs…, pour aider les maîtres d’ouvrage à ouvrir leurs cahiers des charges à l’utilisation de sédiments. Cela peut en particulier passer par l’incorporation de clauses incitatives.

Certains acteurs sont d’ores et déjà sensibilisés, comme la Métropole Européenne de Lille (MEL) déjà largement engagée pour utiliser les sédiments dans ses projets d’aménagement.

VNF participe au projet d’engagement pour la Croissance verte qui vise à fixer les engagements des maîtres d’ouvrages, des industriels, de l’Etat, des fédérations pour l’application des sédiments dans les applications asphaltes, béton, ciment, composite…

Enfin, en matière de gestion des apports sédimentaires, il existe un enjeu de communication et de pédagogie sur les différentes techniques de gestion de l’eau à la parcelle. Nous devons sensibiliser les collectivités territoriales. Toutes ne prennent pas nécessairement en compte la gestion des eaux pluviales et l’ensemble du système d’assainissement.

Or, dans le cadre du dérèglement climatique, une augmentation des phénomènes tels que coulées de boue et inondations, à l’origine d’apports sédimentaires massifs, est envisageable. VNF a donc intérêt à travailler avec les territoires sur des diagnostics et des changements de pratiques. Certaines pratiques agricoles à l’origine de l’érosion des sols font partie d’un schéma économique qui ne facilite pas aujourd’hui leur transformation.

Quel avenir pour la valorisation des sédiments ?

Les expérimentations réalisées ont permis d’atteindre le niveau de maturité suffisant pour le déploiement des filières industrielles.

L’avenir des sédiments est donc dès aujourd’hui dans les mains des acteurs économiques qui ont tous les outils nécessaires au développement d’activités rentables sur les territoires.