Entretien avec Jean-Paul Jacquot, responsable de l’Environnement au sein de la Division Production Ingénierie Thermique d’EDF

jpjacquotMonsieur Jacquot, nous allons nous entretenir sur le sujet des cendres volantes. Auparavant vous pouvez, peut-être, décrire vos missions chez EDF ?

Au sein de la Division Production Ingénierie Thermique, je suis responsable de l’Environnement : nous travaillons sur la question du CO2 et sur l’ensemble de la problématique des émissions atmosphériques, ainsi que sur les rejets aquatiques, les déchets et les sous produits… Notre mission consiste également à appliquer, voire à anticiper les réglementations environnementales européennes et françaises, sans négliger, bien-sûr la réglementation locale, par exemple  les arrêtés préfectoraux de nos sites de production.

En pratique, notre travail consiste à accompagner techniquement les sites de production, par exemple pour améliorer les performances des systèmes de dépollution (désulfuration, dénitrification,…) . Nous nourrissons également des relations avec les filiales du groupe EDF qui se trouvent en Grande Bretagne, en Pologne, et qui exploitent des centrales charbon en échangeant les expériences et les bonnes pratiques.

Venons-en, si vous le voulez bien, à la production des cendres volantes. Pouvez-vous nous décrire le processus de cette production…

Je précise d’abord que notre but, chez EDF, n’est pas de produire des cendres, mais de produire de l’électricité. Les cendres volantes, issues de la combustion du charbon dans les centrales thermiques, sont donc un sous-produit de cette production, au même titre que les cendres de foyer ou le gypse. Les centrales thermiques fonctionnant au gaz (Cycles combinés gaz) ou au fioul (installations de pointe telles que des turbines à combustion) ne produisent évidemment pas de cendres.
L’électricité présente cette particularité d’être une énergie non stockable. Sa production doit donc s’adapter en permanence aux besoins. Vous le savez  sans doute, 80% des besoins en électricité sont couverts en France par la production nucléaire ; les centrales thermiques, elles,  fonctionnent de façon fluctuante  pour adapter notre offre aux variations rapides et parfois de grande ampleur de la consommation ou encore de la production renouvelable (éolien). Ces centrales thermiques fournissent environ 4% de la production annuelle d’électricité en France.

On rentre un peu, avec vous, dans le détail du fonctionnement d’une centrale thermique charbon?

Volontiers… Le principe est que de l’eau, qui circule dans une chaudière, s’échauffe jusqu’à se transformer en vapeur. Cette vapeur est envoyée sous pression vers une turbine qui, couplée à un alternateur, produit de l’électricité. les principes sont restés les mêmes depuis des dizaines d’années avec toutefois de grandes améliorations des performances  Rendement, Protectiond e l’environnement, sécurité, …!

Toute la question est de chauffer cette eau…

Voilà… C’est à cette fin qu’on brûle du charbon. Le charbon présente une granulométrie grossière et hétérogène, il est donc concassé puis broyé finement avant d’être injecté, sous forme pulvérisée, dans la chaudière.

Ce charbon, dont vous parlez, n’est plus extrait en France ; vous devez donc l’importer…

En effet, les dernières mines françaises ont été fermées dans les années 90 ; la dernière mine en Lorraine a été fermée en 2004. Nous importons donc le charbon de l’étranger en fonction de son cours, en ce moment, par exemple, de Pologne, de Colombie, d’Afrique du Sud  et des USA, où l’usage du gaz de schiste, rend plus disponible le charbon.

Mais les centrales françaises sont situées sur les sites miniers historiques…

Oui, pour les plus anciennes, car elles ont été construites aussi  près que possible des sources de charbon. Les plus récentes (début des années 80) ont été construites en bord de mer où l’approvisionnement est  plus proche des ports et également moins couteux. Aujourd’hui, nos centrales sont approvisionnées principalement par barges ou par train, après que le charbon ait été débarqué des  vraquiers dans les ports.

Comme il n’y a pas de cendres sans combustible, nous avons fait ce petit détour vers le charbon, mais revenons aux cendres et à leur production…

Nous en étions à la combustion du charbon… Des poussières très fines, générées par cette combustion, sont  entraînées par les gaz de combustion qui sont traités avant rejet dans l’atmosphère Elles sont collectées par des dépoussiéreurs électrostatiques, qui captent plus de 99% des poussières présentes dans les gaz de combustion. Les centrales charbon récentes (Palier 600 MW) sont en outre  équipées de systèmes de dénitrification et désulfuration très performants.

Lors de la combustion, la fraction organique du charbon (carbone , matières volatiles) est intégralement brûlée. C’est la fraction minérale et incombustible qui est récupérée sous forme de poussières. Cela représente environ 10% de la masse initiale du charbon.
Pour être précis, les poussières collectées, regroupées sous la dénomination « cendres » sont de deux types : les unes, dites « cendres de foyer » sont récupérées à la base de la chaudière dans des cendriers, les autres sont les « cendres volantes » qui nous intéressent ici. Les premières représentent environ 10% de la masse de cendres issues  de la combustion, les autres environ 90%. Enfin, pour fixer un ordre d’idées, la production annuelle de cendres volantes en France est d’environ 900 000 tonnes (en incluant EDF ainsi que  la SNET, filiale du  Groupe E.On).

Puisque nous en sommes à la production des cendres, pouvons nous aborder la question de leur teneur en imbrûlés. Cette teneur conditionne, n’est-ce pas, leur conformité à la norme NF EN 450-1… Qu’est ce qui dans le cours du process, influe sur cette teneur ?

C’est globalement la qualité de la combustion du charbon qui se traduit par une fraction résiduelle de matière organique dans les cendres. Cette teneur est généralement de l’ordre de 3%  à 4%. Au-delà de 7%, les cendres ne sont plus conformes à la norme NF EN 450-1 que vous venez de mentionner. Cela posera donc des problèmes de valorisation en aval.

Comme une forte teneur en imbrûlés, signifie pour nous, exploitant, un mauvais fonctionnement de l’installation, c’est-à-dire une perte de rendement énergétique, cette teneur est un paramètre que nous contrôlons en continu pour maintenir la qualité optimale de la combustion. Ce contrôle continu permet également que les cendres soient triées immédiatement en fonction de leur conformité où non à la norme.

Mais quels sont les facteurs qui peuvent nuire ainsi  à une combustion optimale du charbon ?

Les deux facteurs principaux sont le réglage des brûleurs de la chaudière et la finesse du charbon ; dans ce dernier cas, le problème est alors du côté des broyeurs. Si donc la finesse des cendres n’est pas directement contrôlée, elle l’est cependant par le suivi continu de la teneur en imbrûlés. Cette finesse des cendres est aussi un paramètre de leur réactivité pouzzolanique et donc un critère de leur qualité.

Ainsi, la finesse et la teneur en imbrûlés, deux qualités escomptées des cendres, dépendent du bon fonctionnement énergétique de la centrale et la teneur  en imbrûlés est précisément un indice de ce bon fonctionnement : qualité des cendres et fonctionnement optimale de la centrale thermique vont donc de pair.

Quels sont ensuite les débouchés des cendres ainsi produites ?

En fonction de leur qualité qui conditionne leur respect des normes NF EN 450-1, relative aux cendres pour béton,  et NF EN 197-1, relative aux ciments, les cendres volantes trouvent des débouchés dans différents secteurs. Pour ce qui concerne EDF, ils se répartissent ainsi : 56% dans les ciments, 32 dans les bétons, 8% en technique routière et 4% pour d’autres usages.

Nous vendons aujourd’hui  120 à 140%  de notre production. Cela signifie que nous destockons les terrils historiques, dont nous avons hérité suite à une période de consommation intensive de charbon, où la valorisation de ce sous-produit n’était pas encore développée. Pour mémoire, ces stocks sont de l’ordre de 10 millions de tonnes en France. Ces stocks sont une ressource d’avenir dans la mesure où à l’horizon 2016, un certain nombre de centrales thermiques devront être fermées (palier 250 MW notamment) .

Du point de vue environnemental, quels sont les enjeux, pour vous producteur, des cendres volantes ?

Votre question mérite une réponse en deux temps. Le premier volet serait le bénéfice environnemental de l’usage des cendres volantes . Valorisées dans le ciment ou le béton, les cendres volantes présentent plusieurs bénéfices : une économie en ressource naturelle en réduisant la part de composants du clinker extraits de carrièresdes cendres , mais aussi une réduction des émissions de C02 en cimenterie. Cette valorisation des cendres induit une résorption des stocks de cendres, Elle permet une baisse du coût des produits dans lesquels elles se substituent aux matières premières, enfin un accroissement notable de la durabilité de ouvrages induit par l’effet pouzzolanique des cendres.

Le deuxième volet de la réponse concerne l’acceptabilité environnementale des cendres volantes. Les cendres sont un déchet et entrent dans la nomenclature des déchets définie à l’annexe II de l’article R541-du code de l’environnement. Elles ne sont pas classées en tant que déchet dangereux au sens de l’annexe I de ce même article. De plus, elles sont classées comme déchets non dangereux et « valorisables comme constituant du cru de cimenterie, du ciment ou du béton» . par la circulaire n° 96-85 du 11/10/96 relative aux cendres issues de la filtration des gaz de combustion de combustibles d’origine fossile, etc … Non dangereuses, elles sont néanmoins des déchets.

Insérées dans une matrice cimentaire, leur usage dans les bétons et dans les ciments n’est pas problématique.

La circulaire n°96-85 du 11/10/96 précise par ailleurs que d’autres usages sont envisageables « si leur producteur donne des éléments d’appréciation relatifs à l’impact potentiel de tels usages sur l’environnement ».

Ainsi, lors de leur usage en technique routière, elles doivent faire la preuve de leur acceptabilité environnementale.. A chaque usage de cendres dans un contexte donné, cette acceptabilité doit être prouvée.

C’est pour affranchir les usagers de nos cendres de ces études préalables au cas par cas que nous contribuons actuellement à l’élaboration d’un guide SETRA d’application aux cendres de charbon de la démarche d’évaluation de l’acceptabilité environnementale . Celle-ci a été cadrée dans le guide SETRA , plus général , d’acceptabilité de matériaux alternatifs en technique routière, publié en mars 2011.

Nous avons préparéé par ailleurs pour les cendres volantes un dossier de demande de sortie du statut de déchet pour qu’elles ne soient plus considérées comme un déchet mais comme un produit.

Votre lettre d’information a traité a plusieurs reprises de ce sujet de la sortie du statut de déchet, je n’y reviens donc  pas. Disons que adossées à un processus de production de qualité normalisé ISO 9001, munies de fiches FIS (Fiches d’Information Sécurité)  suite à leur  enregistrement sous REACH, caractérisées tant sur leur plan minéralogique que chimique, leur impact environnemental, enfin, ayant été expertisé, les cendres volantes sont mûres, selon nous, pour accéder au statut pérenne de produit.