Contribution de la chimie moderne au béton et au ciment

Entretien avec Jean-Philippe Bigas, Expert Matériaux – Direction technique France et Europe de l’Ouest CHRYSO

bigasDans cette lettre d’information, que l’on nous parle de bétons à hautes performances, de bétons auto-plaçants ou même de durabilité, on évoque à chaque fois les superplastifiants…Monsieur Bigas, pouvez-vous nous faire un rapide historique de ces adjuvants du béton ?
Cette histoire commence, en fait, dès les années 1920, avec l’usage de sous-produits de l’extraction de la cellulose du bois que sont les lignosulfonates. Après traitement spécifique, ces produits sont alors ajoutés au béton comme plastifiant pour améliorer la mise en place dans les coffrages.
L’histoire se poursuit autour des années 1950 avec les polynaphtalènes sulfonés (PNS) développés dès les années 1930 en Allemagne pour la fabrication de textiles, cuirs et caoutchoucs synthétiques. Eux-mêmes seront relayés, dans les années 60, par la mélanine sulphonée (PMS).
Si ces produits sont utilisés depuis longtemps déjà comme fluidifiants, les études sur leur usage rationnel dans le béton démarrent vraiment au Japon dans les années 50 au pour déboucher, dans les années 60, sur des utilisations en chantier.
Leur usage s’étendra assez rapidement partout, pour la France les premiers agréments seront formulés dans les années 1975.
Quel est leur mode d’action ?
Leur action est complexe et vise essentiellement à assurer une dispersion efficace des grains de ciment présents dans la matrice cimentaire du béton. Leur fonctionnement est basé sur leurs propriétés  électrostatiques. En effet, en s’adsorbant à la surface des particules de ciment, les plastifiants  contribuent,  par répulsion de charges électriques, à la défloculation des grains de ciment. Ainsi les particules de ciment mieux dispersées apportent un supplément de fluidité au mélange.
Quand entrent en scène les polycarboxylates ?
Une nouvelle génération d’adjuvants superplastifiants apparait dans les années 1980. Il s’agit d’adjuvants obtenu par synthèse chimique. Dans la famille des polycarboxylates, nous trouvons des produits qui sont de puissants réducteurs d’eau et qui permettent d’améliorer de manière très importante le maintien de la rhéologie de béton frais sur des durées de temps vraiment différenciantes de celles obtenues avec les plastifiants. A ce jour, il est classiquement possible d’atteindre des maintiens pouvant aller jusqu’à 5 ou 6 heures. Pour ce qui est de leur mode de fonctionnement, leur action dispersante est plus complexe et combine des phénomènes d’adsorption électrostatique et d’encombrement stérique. Par ailleurs, d’autres chimies à base de phosphonate modifié permettent d’atteindre des niveaux de performance de maintien exceptionnels.
chimie-beton-lermPouvons-nous résumer la contribution de ces adjuvants à la qualité du béton ?
Il n’est pas surprenant, pour reprendre votre première question,  que l’on fasse référence aux superplastifiants lorsqu’on évoque les bétons contemporains.
En effet, pour les bétons hautes performances et pour les bétons auto-plaçants, le superplastifiant est un acteur principal pour la réduction d’eau ou le gain d’ouvrabilité dans le temps. A ce titre, l’adjuvant plastifiant ou superplastifiant se place comme un des leviers pour la formulation de ces bétons modernes.
Au fond, il est courant aujourd’hui de trouver pour le béton dans les cahiers des charges, des exigences à la fois vis-à-vis de la rhéologie à l’état frais, mais également vis à vis de performances mécaniques élevées.
L’amélioration des performances mécaniques du béton passe par la réduction de l’eau de gâchage pour réduire sa porosité. C’est la fonction principale des superplastifiants que d’obtenir une grande fluidité de la pâte de ciment par la dispersion des grains de ciment dans des mélanges où l’on peut réduire les quantités d’eau.
En réduisant la quantité d’eau nécessaire à une rhéologie compatible avec une bonne mise en œuvre, il est donc possible de faire des bétons dont le rapport  eau/ciment est très faible. Cette réduction du rapport eau /ciment permet à la fois l’amélioration spectaculaire de la résistance mécanique et une grande durabilité à l’état durci grâce à la densité de la matrice cimentaire ainsi obtenue.

« Au fond, il est courant aujourd’hui de trouver pour le béton dans les cahiers des charges, des exigences à la fois vis-à-vis de la rhéologie à l’état frais, mais également vis à vis de performances mécaniques élevées. »


L’évolution des adjuvants a-t-elle été suivie par l’évolution du cadre normatif ?

Oui, et c’était inévitable, dans la mesure où les bétons sont des produits normalisés… Mais la normalisation nous ouvre également, par elle-même, de nombreuses perspectives. Ainsi la mise à jour récente de la norme NF EN 206-1 qui élargit le champ d’emploi des additions, tant en termes de qualité que de quantité, implique une adaptation ciblée des adjuvants à ces différentes additions. C’est une révolution…

« En réduisant la quantité d’eau nécessaire à une rhéologie compatible avec une bonne mise en œuvre, il est donc possible de faire des bétons dont le rapport eau/ciment est très faible. Cette réduction du rapport eau /ciment permet à la fois l’amélioration spectaculaire de la résistance mécanique et une grande durabilité à l’état durci grâce à la densité de la matrice cimentaire ainsi obtenue. »

Quelles sont, selon-vous, les perspectives à venir au regard des adjuvants ?
Pour ce qui concerne les superplastifiants, dont nous avons parlé, les gains en réduction d’eau vont maintenant être minimes, mais je me demande s’il s’agit là, aujourd’hui, d’un réel besoin de la profession, compte tenu des avancées déjà effectuées en ce domaine.
Les évolutions vont actuellement dans des directions plus ciblées comme l’accélération des bétons aux ajouts ou composés avec des ciments de type III à type V ou encore vers un design plus fin des superplastifiants permettant de mieux gérer les maintiens de rhéologie dans le temps. Les défis à venir sont surtout liés à la capacité des adjuvantiers à répondre et à s’adapter à la spécificité de chaque demande de leurs clients, qu’elle vienne du chantier pour les bétons prêt à l’emploi ou d’une usine de préfabrication.
Leurs clients sont en effet en attente de la fourniture de la molécule adaptée à chaque configuration ou application particulière qui permet à la fois le maintien de la rhéologie souhaitée et le déclenchement optimum d’une montée en résistance précoce. Les configurations actuelles qui voient, de manière à réduire l’impact environnemental des bétons, le développement des ciments aux ajouts ou des bétons verts, ouvrent des perspectives de développement importantes pour nos métiers.

De plus, la disponibilité des matières premières, notamment celles des granulats, peuvent rendre complexe la résolution des équations aboutissant à la formulation du béton répondant au cahier des charges : dans cette évolution, l’adjuvantier se place comme un des acteurs de la performance en fournissant les produits qui permettront de combiner des effets de fluidification à ceux d’une accélération des résistances mécaniques précoces.

 

Pour en savoir plus sur la société CHRYSO
Propos recueillis par Philippe Souchu, documentaliste au Centre de documentation du Lerm. Juin 2013