Le soufre et la corrosion métallique, entretien avec Jean-Bernard Memet

A-Corros est bureau d’études techniques spécialisé dans le diagnostic corrosion et protection d’ouvrages d’art, monuments historiques métalliques et de collections archéologiques. Nous avons rencontré Jean-Bernard Mémet, son fondateur, pour poursuivre, un peu à côté des matériaux minéraux, notre enquête sur le soufre.

Jean-Bernard Mémet est docteur en corrosion et directeur de la société « A-CORROS EXPERTISE ».

 

jb_memetJean-Bernard, le soufre dont nous traitons dans cette Lettre d’information a-t-il une action sur les métaux dont tu t’occupes ?

Le soufre intervient dans la corrosion des métaux suivant deux processus selon que nous sommes à l’air libre, dans le cadre d’une corrosion atmosphérique, ou en milieu immergé où nous rejoignons alors les conditions anaérobies.

On commence par la pollution atmosphérique ?
Allons-y !… La corrosion atmosphérique des métaux dépend des éléments présents dans l’air ambiant et du degré d’humidité de cet air. Les chlorures en ambiance maritime et le SO2, issu de la combustion des énergies fossiles, sont les espèces les plus importantes du point de vue de la corrosion métallique. Le SO2 est responsable des pluies acides : en réagissant avec l’eau, il donne de l’acide sulfureux
H2SO3 ou, avec l’eau et l’oxygène, l’acide sulfurique H2SO4, éminemment corrosif. La vitesse de corrosion des métaux augmente considérablement avec l’humidité relative de l’air. De plus, du fait de la présence du SO2, les produits de corrosion à base soufre se forment et peuvent nuire d’un point de vue esthétique à l’ouvrage, je pense en particulier aux dômes métalliques en cuivres (corrosion bleutée à noire).
Et que se passe t-il en milieu immergé ?
L’évènement fondateur de la réflexion sur les différentes formes de corrosion des métaux en milieu immergé date de l’écroulement d’un quai de palplanches au port de Boulogne-sur-Mer en 1995. On a fait de nombreuses hypothèses d’explication de cet accident et on a finalement mis en évidence, entre autres, l’activité sulfatoréductrice de bactéries. De nombreux laboratoires, partout dans le monde, ont alors travaillé sur ce processus qui est aujourd’hui bien connu et qui, s’il est important du point de vue de la corrosion mérite néanmoins d’être relativisé : la corrosion bactérienne est un accélérateur d’un processus de corrosion qui est avant tout lié aux paramètres physicochimiques de l’eau de mer – dioxygène dissout, salinité, chlorinité, pH, tempérture et pression.
Tu peux nous décrire ce processus ?
A l’interface entre l’eau et les sédiments ou les vases, là donc où la teneur en O2 dissout est faible et la teneur en matière organique est élevée, les bactéries sulfatoréductrices et thiosulfatoréductrices vont pouvoir développer leur activité. Ces bactéries oxydent les sulfates présents dans l’eau de mer et produisent des métabolites qui sont en fait des composés corrosifs pour les métaux. Thiobacillus thiooxidans, par exemple, produit de l’acide sulfurique à partir des sulfures, acide qui entraîne une dégradation rapide des matériaux métalliques. J’insiste sur le fait que ce n’est pas parce qu’il y a des bactéries (il y en a partout) que la corrosion leur est imputable.
Il faut en outre que le milieu soit favorable à leur activité. Il convient donc de corréler leur présence avec d’autres éléments, avec la recherche notamment de mélantérite (FeSO4 7H2O) ; il s’agit d’un sulfate de fer qui est un des produits de corrosion formés par la réaction de l’acide sulfurique sur l’acier, et signe, en quelque sorte, l’activité bactérienne. Enfin l’état de surface caractéristique du métal attaqué par corrosion bactérienne vient confirmer l’hypothèse. On peut alors lancer une étude biologique de dénombrement et d’activité bactérienne.

Quels sont les remèdes à ce type de corrosion ?
Les remèdes sont un nettoyage du métal et une protection cathodique de la surface, qui freine le phénomène sans entièrement le stopper.

On connait ta passion pour les objets archéologiques immergés… Ils connaissent eux aussi une problématique soufre ?
Oui, comme tous les métaux immergés, selon le mécanisme que je viens de décrire. Le problème archéologique majeur qui les concerne est que les transformations chimiques résultant de leur excavation s’accompagnent de modification volumiques qui entraînent la perte de surface d’origine de l’objet et, avec elle, la destruction de précieuses informations historiques et épistémologiques. Ils doivent être traités en priorité, immédiatement après leur sortie de fouille.

Le soufre dans les charpentes métalliques du XIXème

Durant le 1er quart du 19ème siècle, une transition historique s’est opérée dans la construction métallique des ouvrages d’art avec l’apparition d’un nouveau matériau aux caractéristiques mécaniques beaucoup plus élevée que la fonte : le fer puddlé.

Le fer puddlé doit son nom au puddlage, procédé de fabrication qui consistait en un brassage continu du fer en fusion afin de l’affiner et augmenter ses caractéristiques mécaniques (le puddlage vient de l’anglais puddle, brasser). Ce processus d’affinage avait pour conséquence de faire remonter les scories chargées d’impuretés à la surface du fer fondu. Une fois en surface, les impuretés étaient en quelque sorte « écrémées »par différentes techniques pour affiner le fer et lui conférer ses bonnes caractéristiques mécaniques. Cependant, lors de ce processus, quelques éléments à l’état d’inclusion restaient piégés : phosphore, silicium et soufre notamment. Ces inclusions – dont la teneur est élevée en phosphore – ont l’avantage majeur d’être un frein à la corrosion du fer puddlé (ce qui explique que nombre des halles métalliques de cette époque sont en très bon état de conservation) mais elles ont également l’inconvénient majeur d’être un frein à sa soudabilité, ce qui constitue la première des interrogations dans un projet de réhabilitation de structure.

Le fait de pouvoir souder ou non ce métal peut changer complètement le projet architectural… Aussi, diagnostiquer la soudabilité d’un fer puddlé lors d’une étude préalable revient non seulement à déterminer par la chimie sa composition en carbone, manganèse, phosphore, soufre et silicium, mais également à réaliser un examen métallographique précis du métal afin d’évaluer son degré d’impuretés. A-CORROS, depuis sa création en 2007, a réalisé le diagnostic de plus de 20 structures en fer puddlé et se place désormais comme un des laboratoires français spécialistes de ce matériau.