Le soufre et les pathologies des réseaux d’assainissement

L’enquête menée par le CSTB et l’AGHTM (aujourd’hui ASTEE) en France, en 1989 auprès de 1106 gestionnaires pour un linéaire test de 49281 km recensait les dégradations dont étaient victimes les réseaux :

Dégradation
Nombre
Nombre
Obstacle pénétrant
42

10.8

Eaux parasites
114
29.3
Exfiltration
39
10
Ensablement
22
5.7
Affaissement
25
6.4
Ecrasement
17
4.4
Corrosion
24
6.2
Rugosité
17
4.4
Abrasion
8
2
Fissuration
60
15.4
Contre-pente
21
5.4
Total
389
1000

 

Ces dégradations peuvent entraîner des disfonctionnements du réseau : débordement, fuites, pollutions, moindre rendement des stations d’épuration en aval. Elles peuvent résulter de diverses causes :

 

défaut de conception : pente, dimensionnement insuffisant…
problèmes géotechniques : tassement d’assise, glissement de terrain, effondrement, gonflement/retrait…
manque de durabilité des matériaux : érosion en fonction de la vitesse et de la nature de l’effluent, corrosion… Ces dégradations sont aggravées par les mises en charges du réseau et peuvent aboutir à des fissurations ou des éclatements.

 

Les dégradations liées au matériau (corrosion+abrasion+fissuration) représentent à peu près ¼ des défauts recensés.
La durabilité des bétons en réseau d’assainissement
Le respect des normes concernant le béton, notamment au regard des classes d’exposition (NF EN 206-1) et concernant les éléments préfabriqués en béton est un élément essentiel de garantie de qualité et de durabilité. C’est la raison pour laquelle, nous avons rassemblé et commenté ces normes sur une page particulière. La durabilité du béton dans les réseaux d’assainissement est principalement affectée par les effluents riches en composés soufrés qui déclenchent une attaque acide sur les liants hydrauliques.

Le béton en milieu riche en hydrogène sulfuré: mécanismes de dégradation
Le dégagement d’hydrogène sulfuré peut se produire dans des ouvrages tels que les fosses septiques, les stations d’épuration ou les réseaux d’assainissement. Ce dégagement a pour origine la décomposition en milieu anaérobie des composés du soufre contenus dans les effluents brassés ou circulant dans les ouvrages. Les composés soufrés proviennent des sulfates et des produits organiques de type protéines végétales et animales ou de type sulfonates contenus dans les produits détergents. La réduction des ces composés est due à l’action de bactéries anaérobies sulfato-réductrices et nécessite un milieu pauvre en oxygène (O2<0.1 mg/l)

Par consommation de l’hydrogène sulfuré au cours de leur métabolisme, les sulfato-bactéries rejetent de l’acide sulfurique H2SO4.
Tous les matériaux à base de liants hydrauliques calciques sont très sensibles au contacts de ces acides (formation d’un bio-film : dépôt gélatineux superficiel permettant à l’activité bactérienne de se poursuivre directement au contact du béton). Les acides secrétés peuvent correspondre à des solutions dont le pH peut être proche de zéro. L’action de H2S se résume principalement à une attaque par H2SO4 qui se décompose elle-même en :

un phénomène d’attaque acide qui induit la dégradation du béton par dissolution des composés calciques et silico-calciques de la pâte ciment et une réaction sulfatique avec néoformation de minéraux à caractère expansif : gypse, ettringite

Il est important de noter que ces réactions n’ont lieu que dans les parties émergées ou situées en zone de marnage de l’ouvrage et qu’elles sont d’autant plus fortes que l’humidité de l’air ambiant et la température sont élevées et que l’environnement est peu ventilé.

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Corrosion sulfo-bactérienne d’une canalisation en béton, d’après Dugnolle

Conclusion
Ce type de milieu contenant de l’H2S peut être considéré comme fortement à très fortement agressif (milieux A3 et A4, selon P 12-011). Ces milieux impliquent donc de se conformer aux recommandations synthétisées dans les tableaux du fascicule de recommandations P 18-011. En raison du type de mécanisme mis en jeu, il apparaît que les bétons à base de ciment riche en C3A et/ou dont la pâte de ciment hydratée est riche en portlandite Ca(OH)2. Sont sensibles aux agressions impliquant l’hydrogène sulfuré. Il y a donc lieu de s’orienter vers des ciments qui libèrent peu de Ca(OH)2 : ciments avec ajouts (cendres volantes réactives, laitier…) et dont la teneur en C3A est réduite.

En ce qui concerne la formulation du béton, le dosage en ciment doit être augmenté et le rapport Eau/Ciment doit être diminué. La mise en œuvre doit être effectuée de manière à obtenir une bonne compacité du matériau. L’hydratation du ciment doit être assurée avant la mise en contact du béton avec le milieu agressif. Dans le cas de milieux très fortement agressifs, une protection supplémentaire de surface devra être appliquée.
Bibliographie

C. Cochet, D. Derangere
La dégradation du béton dans les ouvrages d’assainissement en présence d’hydrogène sulfuré
Cahiers du CSTB, cahier 2382, 1990

M. Polder, M. Van Mechelen
Assessment of biogenic sulfuric acid agressivity of sewer environment
Symposium : Corrosion, Deterioration of buildings, CSTP-CEFRACOR, 13-16 novembre 1990

M. Dumas
Sewerage : Aluminous binders agains corrosion
Symposium : Corrosion, Deterioration of buildings, CSTP-CEFRACOR, 13-16 novembre 1990

Mathieu
Durabilité des ouvrages hydrauliques en béton, retours d’expérience
Durabilité des ouvrages en béton, ENPC-ACI, 19-20 septembre 1990

E. Dugnolle
Corrosion biologique des bétons au contact avec les eaux résiduaires
Revue du CSTC, n° 4.

T. Cerulli, C. Pistolesi, C. Malteses, D. Salvioni, G. Facchetti
Durability of cement mortars to suphuric acid attack
Fifth CANMET/ACI International Conference on Durability, Barcelone, 2000 – Supplementary Papers.

François Martin: Une étude du génie civil des ouvrages d’une station de dépollution. Travaux, n° 835, 2006/

Trinel, Benjamin : Les pathologies des ouvrages de traitement des effluents. Environnement et technique n° 299 (septembre 2010). – pp. 31-33