Une étude du Lerm : diagnostic des polychromies des plafonds en bois de la Médersa attarine à Fès au Maroc

L’étude que nous avons choisie de raconter est originale à plus d’un titre : elle traite de la caractérisation et du diagnostic de décors peints, spécialité assez peu connue du LERM. Elle concerne l’intérieur d’un édifice d’une richesse absolument étonnante. Les solutions proposées doivent être efficaces, dans le respect absolu de l’intégrité des décors. Enfin, les préconisations qu’elle formule doivent faire appel à des produits facilement accessibles au Maroc et présenter une innocuité reconnue à l’égard des opérateurs du nettoyage des décors.

La précision nécessaire du diagnostic mérite que nous suivions toutes les étapes de l’étude…

 

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… Alors, poussons la porte de la medersa…
et laissons-nous guider par Frédérique Vouvé, l’ingénieure responsable de cette étude au LERM.


 
Le site et son histoire
Construite au XIVeme siècle après JC, correspondant à l’an 723 de l’Hégire, le Médersa attarine est une école coranique construite sous le règne du sultan Abou Othame el Marini. La qualité de son architecture et de sa décoration illustre l’apogée de l’art mérinide.
Fès est alors capitale du royaume depuis le siècle précédent et connaît un essor remarquable, qui se traduit en particulier par de nouveaux aménagements et lieux de formation, dont la Médersa.

Un décor sculpté et peint très riche… et encrassé
Après une rénovation structurelle majeure des parties supérieures de la Médersa, les travaux se poursuivent par la restauration de la décoration intérieure, principalement localisée au rez-de-chaussée de l’édifice.

 

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Plafond à caissons en étoile, la décoration est ici particulièrement bien conservée, attestant de nombreux rehauts peints

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Plafond à caissons en forme de coupoles.
Détail d’une riche décoration.

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Frise et plafond à caissons, côté Est dans le patio

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Frise, côté Est dans le patio, détail dans une zone a priori décapée

 

La décoration s’organise en plusieurs registres, zelliges en parties inférieures, gypseries au dessus et enfin bois polychrome en frise et plafond. Dans ce dernier cas, deux types sont distingués : plafond avec poutres et solives, ou bien coupole à caisson.
Le support en bois est sculpté dans du cèdre. La polychromie est omniprésente, assez bien conservée, mais généralement très encrassée et difficilement lisible. Après examen, la palette de couleur s’avère assez diversifiée, composée de blanc, jaune, orange, rouge, bleu, vert, noir. Elle rehausse la sculpture en bas-relief.

Etat du nettoyage précédemment entrepris
Cette frise avait fait l’objet d’un début de nettoyage avec un produit décapant sur environ 40% de sa surface. Les surfaces concernées révèlent, après intervention, la présence de polychromie dans les zones en creux du relief sculpté, tandis que les surfaces en bois nu restent noircies et sont localement recouvertes de résidus brillants translucides. Des résidus de salissures sont encore très présents en surface de la polychromie.
Le temps d’application du produit décapant reste indéterminé et son élimination a été effectuée avec de la paille de fer très fine et un outil, qui a laissé, ponctuellement, des traces incisées dans le bois et la matière picturale conservée.

 

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Salle de prière, frise en zone décapée, détail, les surfaces ne sont pas débarrassées en totalité des salissures et des marques incisées dans la matière picturale sont identifiées

 

Afin de mieux appréhender la nature des décors et leur état sous la salissure, des tests de nettoyage à la fibre de verre ont été entrepris sur plusieurs zones.  Utilisée sous forme de stylo, la fibre élimine tout résidu encrassé par une action abrasive douce exercée et appréciée par l’opérateur avec les doigts. Le résultat varie selon l’état de conservation des polychromies. S’il est satisfaisant sur les parties peintes en blanc et en bleu, désormais débarrassées de salissure, l’essai est moins probant sur le rouge et le jaune, où la cohésion de la couche picturale est fragilisée.

 

Nécessité d’une nouvelle étude préalable au nettoyage
La méthode jusqu’à présent mise en œuvre et l’usage de produits à base d’hydrocarbures fluorés n’ont pas donné de résultat satisfaisant au regard ni de la conservation des polychromie, ni de la sécurité des opérateurs. Une nouvelle approche a donc été envisagée et proposée, visant à parvenir à une meilleure conservation de la polychromie, et ce de fait à une nouvelle lecture des décors.

L’étude entreprise par le LERM vise donc à caractériser les matériaux constitutifs du décor et, en fonction des résultats, à définir des tests de nettoyage à l’issue desquels un protocole d’opération sera défini. Ce protocole doit préconiser l’usage de produits accessibles localement et sans danger pour la santé des ébénistes opérateurs du nettoyage.

 

Les analyses de laboratoire
En vue d’analyses au laboratoire, des écailles superficielles sont prélevées au bistouri en plusieurs endroits. Les analyses conduites sont les suivantes :

  • examen au microscope optique en lumière réfléchie de sections polies en vue de déterminer les caractéristiques microstructurales des couches constitutives à partir du support,
  • examen au microscope électronique à balayage couplé à l’analyse qualitative élémentaire par spectrométrie X à dispersion d’énergie des sections polies, dans le but de reconnaître les matériaux constitutifs des différentes strates, à partir de la couche support la plus profonde : charges, pigments minéraux,
  • analyse de la phase liante par pyrolyse GCMS,
  • recherche et dosage des sels solubles, anions et alcalins sur des échantillons prélevés en zone traitées avec un produit décapant.

 

Principales étapes du protocole d’étude sur l’un des échantillons prélevés

Caractéristiques de l’échantillon n° 9341-2.1

Observations macro-mésoscopiques ou microscopiques sur section polie

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Support en bois
Couche 1 : couche préparatoire grossière, renfermant des grains transparents, noirs et jaunes, désolidarisée du support, plan de décohésion au cœur de la couche.
Couches 2 et 3 : picturale blanche, de texture fine,
Couche 4 : discontinue de salissures, très mince

Microscopie électronique à Balayage

Support en bois
Couche 1 : jaune de plomb (litharge ou massicot), charge de carbonate de calcium
Couches 2 et 3 : blanc de plomb (céruse)
Couche 4 : suie, associée à des particules sableuses siliceuses, produit à base de sodium

Pyrolyse CGMS Composés issus d’une fraction « triglycérides d’acides gras » : nombreux acides gras saturés, cétones linéaires et cycliques grasses (non intégrées)

 

Conclusions des analyses
L’étude en laboratoire a permis de dégager les points essentiels suivants :

  • Les polychromies sont recouvertes de salissures atmosphériques et/ou liées à l’usage des lieux. Indurées, elles sont fortement adhérentes aux décors peints. Des poussières mobiles sont également attestées dans l’entrée et sur le plafond au dessus de la rue.
  • Les décors sont globalement en assez bon état de conservation, les couches constitutives des décors présentant une bonne adhérence à leur support en bois, et une bonne tenue au traitement par décapage déjà effectué. Seuls les décors du plafond situé au dessus de la rue présentent des signes de fragilisation, manifestés par un écaillage.
  • Les produits constitutifs des décors mettent en évidence des pigments et charges utilisés traditionnellement, tels que le jaune de plomb (litharge), un jaune orangé de plomb (massicot), du blanc de plomb (céruse), une charge blanche, probablement sous forme de carbonate de calcium, un bleu à base de cuivre (azurite), du noir d’os, tout au moins pour les couleurs prélevées. Les produits minéraux mis en œuvre sont homogènes sur l’ensemble des zones considérées.
  • Il en est de même pour la plupart des prélèvements en recherche des phases liantes. En effet, une colle de peau et des acides gras saturés sont mis en évidence et associés, hormis pour les décors en fond de caissons sous la coupole, où seuls des acides gras saturés sont mis en évidence. Il s’agit donc de techniques globalement mixtes.
  • En ce qui concerne la recherche de sels solubles dans deux zones traitées avec un produit décapant, les produits révélés attestent de produits polluants exogènes, non attribuables aux constituants des décors. Les teneurs décelées sont importantes.

 

Tests de nettoyage et définition du protocole de traitement
Suite à l’ensemble des données recueillies dans le cadre de l’examen préalable des décors peints et du diagnostic des matériaux constitutifs, des techniques mises en oeuvre et de l’état de conservation des décors, des essais de nettoyage ont été entrepris en respectant un cahier des charges, qui prévoit :

  • Toute zone d’essai nécessite un éclairage zénithal et homogène.
  • Avant toute intervention, les poussières mobiles sont éliminées par un nettoyage général, à l’aide d’un aspirateur et d’un pinceau doux, de manière à éviter leur re-déposition à un autre endroit.
  • Les produits nettoyants mis en œuvre ne doivent pas comporter de composants de type soude, pouvant entraîner l’usure des décors sous-jacents aux salissures.
  • L’application des produits est envisagée selon deux modes d’application : à l’aide d’un coton, roulé autour d’un bâtonnet en bois, imbibé de produit ou sur une compresse de papier absorbant à usage domestique, dont le temps de pause sur le support à traiter reste à déterminer.
  • Une neutralisation des produits mis en œuvre sera entreprise, si le principe actif le justifie.
  • Tout moyen abrasif en terme de choix de produit ou de mise en œuvre (paille de fer, brosse métallique…), éponge est exclu.
  • Les résidus incrustés peuvent être retirés après ramollissement de la salissure avec un bâtonnet en bois frotté avec toutes les précautions requises sur la surface concernée. Un coton imbibé de produit nettoyant ou de neutralisant est finalement appliqué sur cette même surface.
  • En cas de résidus très adhérents, engageant une action ponctuelle prolongée, le nettoyage est interrompu, pour éviter tout risque d’usure de la décoration.
  • En l’occurrence, un contrôle régulier de l’état du coton utilisé pour nettoyer est entrepris, afin de vérifier qu’aucune couleur du décor n’est solubilisée par une action trop prolongée sur cette surface. Dans le cas contraire, il est impérativement stoppé.

Mode opératoire adopté et suivi des essais réalisés par l’entreprise
Au terme de deux jours d’essais réalisés sur les frises situées à la base de la coupole et sur les décors en fond de caisson dans la salle de prière, puis sur le plafond côté Est du patio, les procédés envisagés ont été validés après avoir été légèrement modifiés.

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