La précontrainte additionnelle : entretien avec François Téply, Directeur technique national de Freyssinet France

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Quel rapport l’entreprise Freyssinet entretient-elle avec  l’inventeur de la précontrainte ?

On peut parler d’un rapport de filiation directe : lors de l’entreprise de sauvetage de la Gare maritime du Havre en 1934, Eugène Freyssinet rencontre l’entrepreneur Edme Campenon, avec lequel se met en place une longue collaboration. En 1943 est créée, par Campenon, la STUP (Société technique pour l’utilisation de la précontrainte) qui devient « Freyssinet International » en 1976. Depuis, l’entreprise ne s’est pas limitée à la précontrainte : elle a développé les techniques de réparation et de renforcement. Elle est également bien connue pour son usage des haubans.

 

La précontrainte additionnelle que vous pratiquez s’applique d’une part à la réparation des structures, d’autre part à leur renforcement… qu’est-ce qui distingue la réparation du renforcement ?

Le renforcement par précontrainte additionnelle s’effectue sur une structure saine dont on souhaite augmenter la capacité portante. La réparation, elle, concerne une structure dont les désordres manifestent une pathologie de ses matériaux constitutifs ou un dysfonctionnement structural.

Si l’on se place donc dans la perspective d’une réparation, quand choisit-on d’appliquer  une précontrainte additionnelle ?

Je répondrai d’une façon générale en vous disant : dans tous les cas où cela fait du bien à la structure, c’est-à-dire quand elle a besoin d’être soulagée… qu’il s’agisse d’ailleurs d’une structure déjà précontrainte ou non.
Le principe est d’introduire des forces supplémentaires qui soulagent la structure des contraintes qu’elle subit.
C’est évidemment un diagnostic sérieux de l’ouvrage qui amène à la décision d’y ajouter de la précontrainte pour maintenir sa capacité de service.

Cette solution de la précontrainte additionnelle est-elle toujours possible à mettre en œuvre ?

Cette solution demande que la structure accepte d’être raccourcie, c’est-à-dire qu’elle puisse être mise en compression. C’est presque toujours possible pour des ponts, qui sont, au fond, des structures indépendantes. La problématique est plus complexe dans les bâtiments : quand par exemple, on veut ajouter de la précontrainte à un plancher, il faut alors tirer sur les murs dont il est solidaire.

Dans le cas d’un ouvrage déjà précontraint, arrive-t-il que l’on soit dans l’obligation de changer toute la précontrainte originelle sans condamner l’ouvrage ?

Oui… Cela est rare, mais c’est un choix qui peut être fait. Cela nous est arrivé sur un pont autoroutier : nous avons installé une précontrainte additionnelle provisoire. Nous avons découpé et remplacé entièrement les câbles d’origine. Nous avons ensuite ôté la précontrainte provisoire.

Sur un ouvrage en place, la précontrainte additionnelle vient s’ajouter à la précontrainte initiale… Elle est forcément extérieure au béton ?

C’est presque toujours le cas, en effet… Pour l’anecdote, je peux cependant citer le cas d’une piscine pour laquelle le choix a été fait de carotter pour permettre le passage des câbles dans le béton.

Dans les ouvrages sur lesquels vous intervenez, les problèmes ne sont pas forcement liés à des problèmes de résistance mécanique…

Disons que nous résolvons les problèmes de résistance mécanique, même s’ils proviennent de pathologies de matériaux : attaque chimique du béton, corrosion des armatures passives ou de précontraintes, ou autres… Nous nous situons donc dans cette double problématique de résistance et de durabilité que doit cerner le diagnostic dont je vous parlais en commençant cet entretien.
Outre la réparation par ajout de précontrainte, nous traitons aussi les problèmes de durabilité, par exemple en installant des protections cathodiques, des inhibiteurs de corrosion, en purgeant les bétons pollués, etc…

Si l’on aborde maintenant la question du renforcement des structures, qu’est-ce qui motive un tel renforcement ?

La motivation peut venir d’une augmentation prévisible de sa charge : intensification du trafic, alourdissement de l’ouvrage lui-même par ajout d’éléments…  Cela peut-être aussi lié à une évolution réglementaire qui va toujours dans le sens d’une élévation de la capacité portante : élévation de la charge climatique ou sismique, par exemple.

Enfin le renforcement est effectué aussi sur les structures les plus anciennes pour lesquelles le calcul originel était optimiste et où la perte de précontrainte avait été sous évaluée, le plus souvent par manque de recul sur les phénomènes de comportement différé du béton ou de relaxation des câbles.

Quel est le problème majeur qui se pose dans la mise en œuvre d’une précontrainte additionnelle ?

La précontrainte additionnelle peut se résumer à trois éléments : les câbles, les déviateurs, les ancrages. Ce sont les ancrages qui sont les plus problématiques : ils doivent parfois supporter des tensions de 100 tonnes et plus. Il s’agit de massifs de béton qui sont solidarisés à l’ouvrage par des barres de précontraintes qu’on appelle des clous. La technique est toujours la même, mais il convient à chaque fois de trouver des mises en œuvre originales.

Je précise que la réparation des structures n’implique pas forcément l’ajout de précontrainte additionnelle. Ainsi pour résoudre des problèmes locaux de manque d’armature, le collage tissu de fibres de carbone sur le béton est une solution que nous pratiquons couramment avec efficacité. Les solutions apportées dépendent, comme nous l’avons souligné, du diagnostic initial et des préconisations qui en découlent.