Portrait de Frédérique Vouvé, ingénieure d’études, spécialiste des monuments historiques

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Frédérique, tu es spécialisée, au lerm, dans les études concernant le patrimoine. Peux-tu détailler un peu ce dont il s’agit ?

Mon domaine, en effet concerne le patrimoine, qu’il soit protégé ou non. Il s’agit, le plus généralement, de patrimoine bâti, mais il peut aussi s’agir d’objets ou d’éléments archéologiques. L’activité consiste en des interventions de diagnostic, en des évaluations de traitements (dans le cadre d’études préalables, mais aussi de suivis de chantiers ou simplement d’évaluation de procédés), enfin en expertises.

A partir de quand le bâti est-il considéré comme patrimonial ?

Si le «quand» de ta question renvoie à un repère historique, les notions de dates et d’ancienneté ne suffisent pas à une telle définition. Il s’agit plutôt d’une question de valeur, qui peut être historique certes, mais aussi architecturale, ethnologie, artistique… Ainsi, un édifice contemporain peut avoir d’emblée une valeur patrimoniale. Pour bien rendre compte de nos domaines d’intervention, il serait peut-être plus juste de parler de bâti à caractère patrimonial.

Bien… Ceci étant posé, comment en es-tu venue à travailler sur ces questions ?

Très petite, je m’intéressais déjà au patrimoine. Pendant les vacances, je faisais des chantiers archéologiques, des stages de conservation, des stages de restauration… Ce goût s’est fixé sur les décors peints, qui sont toujours ma passion, quand, très jeune, j’ai vu partir une restauratrice avec, sous son bras, une peinture déposée… Je me suis alors dit : je veux être à sa place, je veux faire cela !

… Et comment fait-on cela, justement ?

Cela, c’est un rêve avec lequel on fait nécessairement des compromis… Il faut commencer par convaincre ses parents que c’est une bonne idée de faire une licence d’histoire de l’art avec option archéométrie, l’archéométrie étant l’analyse des objets et matériaux archéologiques, dans la perspective de leur conservation et de leur restauration.
Lors d’un stage de conservation-restauration à Andorre, j’apprends ensuite que la voie royale pour mon projet est d’étudier la conservation-restauration des peintures murales…  en Italie ! … mais comme Bordeaux, dont je suis originaire, présente aussi des avantages, surtout aux yeux de ma famille, c’est là que j’obtiendrai un DESS d’archéométrie.

Tu t’éloignes alors de ton rêve…

Pas vraiment… Je ne m’en suis d’ailleurs jamais éloignée, puisque en 2011, j’obtiendrai, par validation des acquis de l’expérience, le diplôme de conservation-restauration de La Sorbonne.
Mais revenons un peu en arrière : j’entre, DESS en poche, au CRETOA, une SCOP basée à Avignon, et spécialisée dans la restauration de la peinture de chevalet, l’ébénisterie et les bois polychromes. J’y passerai trois ans à faire de l’assistance scientifique et technique à la restauration.
J’entre ensuite à l’atelier Groux, près de Poitiers, spécialisé dans la restauration de sculptures, bois, plâtres, terres cuites… atelier qui s’est illustré notamment par son travail sur la façade de Notre Dame La Grande, la cathédrale d’Amiens, Notre-Dame de Paris, Mantes-la-Jolie…

Nous sommes alors à l’époque de la mise au point du nettoyage laser qui donnera une visibilité grand public à la restauration des portails sculptés. Si dans cet atelier, je fais donc beaucoup de nettoyage, j’y découvre aussi  la terre cuite polychrome et la nécessité, d’avoir, dans notre métier une vision aussi large que possible, nous y reviendrons sans doute…

Et quand ta route croise-t-elle le lerm ?

Après un bref passage au lem, lors d’un stage de peinture au LRMH, on me conseille de m’adresser au lerm qui s’implante alors sur le créneau du patrimoine et  dont on me vante les compétences. Nous sommes en 1999 et ce marché, en effet, se développe du fait, d’une part, du développement des études préalables aux restaurations et, d’autre part, de l’importante croissance de la demande privée d’assistance. Je passe donc un an et demi dans  notre agence parisienne puis je rejoins Arles avec l’objectif de poursuivre cette mission tout en étant intégrée au laboratoire en microstructure.

La pétrographie était déjà bien en place, ainsi que la caractérisation des mortiers et enduits. J’apportais plutôt la dimension diagnostic des pathologies pierres et l’évaluation des traitements qu’il s’agisse de nettoyage, de consolidation, d’hydrofugation, traitements alors en plein essor. Nous avons, à cette période, mené avec le LRMH de nombreux essais inter-laboratoires sur ces questions.

Et donc, n’est-ce pas toi qui a introduit la problématique couleur au lerm ?

Disons que mon intérêt intact pour les décors peints a croisé une demande du monde de la conservation-restauration sensible à cette problématique. Cette demande nous a amenés à bien maîtriser, au laboratoire, la colorimétrie d’un côté et, de l’autre, l’analyse stratigraphique qui nous permet de comprendre la structure fine des parements.

En fait, les demandes concernant la couleur  nous sont arrivées de façon spontanée suivant deux sources.

D’un côté, nous est venue une série de demandes concernant les couleurs des huisseries des hôtels particuliers parisiens… L’histoire de cette demande montre bien la solidarité des disciplines à l’œuvre dans le domaine du patrimoine ; elle mérite un peu le détour  : dans les années 80, Monsieur Claude Landes, après avoir étudié et recensé les estampilles des forgeurs de fiches (pattes métalliques de fixation des huisseries dans la maçonnerie), peut en déduire la date de ces huisseries dont le carottage de peinture à fond de moulure permet l’étude de la couleur et des différentes campagnes de mise en couleur. Ayant développé cette approche pour la Commission du Vieux Paris, un colloque s’est tenu en 2002 sur la couleur du bâti. C’est suite à ce colloque que s’est développé la demande concernant les hôtels particuliers…

D’un côté AREP, société d’ingénierie de la SNCF spécialisée dans l’aménagement des gares et notamment des gares historiques, nous a demandé de caractériser les couleurs originelles de nombreuses gares, comme Saint-Lazare, Strasbourg, Tours, Angoulême, Sète, Bordeaux, Handaye, d’autres encore…

Ce qui est intéressant dans ce retour à la couleur, c’est le souci du parti décoratif du bâti et, en conséquence, une attention renouvelée portée au second œuvre.

Au cours de ton travail, t’es-tu attachée particulièrement à un édifice ?

J’ai pu bien sûr être plus sensible à tel ou tel bâtiment… mais c’est par les études que nous les abordons et ce sont les problématiques qui nous intéressent d’abord. De ce point de vue, il n’y pas de petite étude et il n’existe pas d’étude sans intérêt. Nous avons la chance qu’il n’y ait pas de place pour la routine car les sujets, les matériaux, les contextes sont différents. L’histoire des bâtiments, l’importance des interventions humaines sont également des éléments intéressants à prendre en compte. Il convient donc de faire preuve de vigilance et de recueillir autant d’informations que possible, de s’associer avec les autres professionnels, mais aussi les maîtres d’oeuvre, les propriétaires les différents praticiens… Si, bien sûr, nous sommes spécialisés, cette spécialisation n’est efficace que dans une prise en compte aussi générale et globale que possible du problème à traiter. Cette alliance de la technicité et de culture générale est une dimension passionnante de notre travail.

Comment vois-tu l’avenir de cette activité patrimoine au lerm ?

Grâce à notre expérience et à la transmission interne des savoirs, nombreux sont les ingénieurs du lerm dont l’approche patrimoniale est solide, notamment en ce qui concerne les maçonneries, les parements et les pierres.

Nos compétences techniques et nos pratiques de laboratoire sont très au point et nous permettent de nous adapter à l’évolution de l’environnement économique. De ce point de vue le patrimoine est bien un enjeu contemporain !  Ainsi, si les entreprises de maçonnerie et de conservation-restauration s’adressent maintenant directement à nous pour des analyses ou de l’assistance, cela prouve l’efficacité de notre apport… Depuis quelques années, cependant, nous constatons que les études préalables sont… de moins en moins préalables : elles nous sont demandées quasiment au démarrage du chantier, ce qui nécessite de notre part une grande réactivité pour le laboratoire. Enfin, la concurrence croissante d’ingénieurs conseil dans ce secteur nous amène constamment à faire le point sur nos atouts pour répondre, toujours avec le même souci de qualité, aux données présentes du marché.