Un point d’histoire : sur l’usage que fait François Coignet de la cendre de houille

 

acqueduc-de-la-vanne

Construction de l’aqueduc de la Vanne en béton Coignet

François Coignet (1814-1888) breveta son béton dit Coignet pour de nombreux usages : canalisations, ouvrages maritimes, éléments préfabriqués, éléments décoratifs, réservoirs, etc… Son entreprise prospéra sous le Second Empire, grâce à la commande publique de grands travaux dont il obtint l’adjudication. La recette de son béton qui fait mention de l’usage de cendre de houille pourrait-elle amener à le considérer comme un pionnier dans l’usage de la cendre ?

Avant d’examiner ce qu’il en dit lui-même, considérons que le mortier de houille était connu dès la deuxième moitié du 18 siècle et sans doute avant. En 1771, Carrey (1)décrit l’a fabrication et l’usage de la cendrée de Tournai. Il précise  que ce mortier est résistant à l’eau :

cendree

En 1829, Dans son Mémoire sur les mortiers hydrauliques Clément Louis Treussart (2), faisant référence aux travaux de Vicat, indique que l’hydraulicité de cette cendrée était due à la présence d’argile dans la chaux intimement liée à la cendre. Le décor théorique est donc, à cette époque, déjà solidement planté.

Que dit donc François Coignet de l’usage de la cendre dans la recette de son béton ?

Il précise d’abord que « …Lorsqu’on emploie des bétons et lorsqu’on veut obtenir le maximum de solidité et de résistance, qu’ils peuvent atteindre, il y a d’autres conditions que l’hydraulicité qu’il faut observer et réaliser.» Et plus loin :  « les lois de l’hydraulicité, si bien élucidées par M. Vicat, étaient insuffisantes pour expliquer théoriquement la prise initiale et la dureté finale que les mortiers et les bétons par l’emploi de procédés que nous préconisons… » (3)

L’hydraulicité du mélange n’est donc pas suffisante. Quant à la pouzzolanicité des ajouts et notamment de la cendre de houille, il la tient pour négligeable :

« Croyant alors, à cette époque, conformément à l’opinion généralement admise, que la composition chimique des cendres de houilles était la cause de la bonté des bétons de cendre, en donnant lieu à la formation de silicates doubles, nous demandâmes le secret pour l’emploi du béton de sable, à l’introduction de matières que nous croyions propres, comme les cendres, à exercer une action chimique. Mais c’est en vain que, cherchant toujours la formation de ces silicates doubles qui seraient la cause de la prise des bétons, nous eûmes recours aux pouzzolanes naturelles les meilleures, aux briques pilées, aux oxydes de fer… »

En fait, pour Coignet qui, dès la page de titre de son ouvrage, se présente comme Manufacturier, tout est dans le procédé. Il ne croit qu’en deux choses quant à la durabilité des bétons : l’élimination de l’excès d’eau  et compacité du mélange. C’est déjà beaucoup !

Selon lui, la chimie doit être secondée (et peut-être précédée) par la physique du procédé. Ce procédé c’est le broyage fin et la liaison intime des matières par agglomération (pilonnage en moule de type pisé).

« … les cendres et scories de houille sont un corps aiguillé, spongieux, rempli d’aspérités à l’infini, lequel, malgré la présence d’un excès de chaux ou d’un excès d’eau, peut s’écraser sous le pilon, se tasser, s’enchevêtrer de manière à produire quand même une liaison suffisante, et à former une masse assez ferme pour ne pas se déformer ni s’écrouler au démoulage. »

Pour ce qui concerne l’usage des cendres de houille dans les liants hydrauliques, Coignet n’est donc pas un pionnier et, de plus il ne s’y intéresse que pour des raisons qui ne sont pas les nôtres aujourd’hui. Dans sa perspective la cendre de houille est appréciée pour ses qualités de texture physique avant ses qualités pouzzolaniques.

beton-coignetBéton Coignet de l’acqueduc de la Vanne. Aspect général
Cliché MEB, LERM

 

Notes

Journal de physique, de chimie, d’histoire naturelle et des arts, 1771, Tome 1, p. 370

Clément Louis Treussard, Mémoire sur les mortiers hydrauliques et les mortiers ordinaires, Guiraudet Imprimeur, 1829

François Coignet, Bétons agglomérés appliqués à l’art de construire. Librairie scientifique, industrielle et agricole, 1861. Toutes les citations de François Coignet sont tirées de cet ouvrage.