Nous avons recensé dans notre lettre d’information n° 30 de juin 2016 les multiples agressions dont sont victimes les bétons à la mer : chimiques, mécaniques, climatiques… Nous décrivions dans cette même lettre d’information, les réponses à apporter à ces agressions : dans de telles conditions, la durabilité de ces bétons est assurée par une matrice compacte, aussi imperméable que possible pour éviter les échanges chimiques avec le milieu et préserver ainsi l’intégrité de la matrice et des armatures, dont la passivation, au regard des ions chlorures, est assurée par un pH élevé.
Pour prévenir ces dégradations, il est vital de garantir un béton compact et imperméable. Ces deux fonctions vont de pair, car plus le béton est compact, plus la porosité est faible et moins il sera facile aux agents agressifs de pénétrer à l’intérieur pour porter atteinte à l’intégrité de la matrice et amorcer la corrosion des armatures. Ces mesures assurent la durabilité de la fonctionnalité des ouvrages à la mer, mais qu’en est-il de leur possible fonctionnalité écologique ?
Il est maintenant reconnu que la nature du substrat, et dans le cas des ouvrages, du matériau, influence aussi bien la rapidité que l’intensité de la colonisation biologique. De ce point de vue, le béton présente plus de qualités que certains autres matériaux comme les pneus par exemple ou le bois, tout en présentant aussi des obstacles à cette colonisation.
En termes de composition, ces obstacles, sont justement les qualités qui assurent sa durabilité en site maritime : la compacité de la matrice et son pH élevé. En termes de design, la raideur ou la verticalité des ouvrages, l’uniformité de leur surface, et le caractère lisse de leur texture sont également défavorables à la prise du biofilm et à la prolifération biologique.
La conjugaison de ces handicaps font que, aujourd’hui, les ouvrages en béton à la mer sont des facteurs de discontinuité écologique et, potentiellement, des vecteurs de dissémination d’espèces opportunistes invasives.
Des études ont été menées pour créer des bétons biogènes à partir de coquilles (huîtres, pétoncles…) dans le contexte de récifs artificiels immergés et visant uniquement la bio-colonisation. Ces bétons se révèlent bio-attractifs, mais le sable de coquillage présente des effets négatifs sur l’hydratation, la porosité et les performances mécaniques des bétons, donc aussi bien sur leur durabilité que sur leur aptitude à supporter une charge.
Les exigences concernant la structure et la fonctionnalité des ouvrages sont donc encore, à ce jour, contradictoires avec les exigences d’une fonctionnalité vraiment écologique.
Les paramètres aujourd’hui bien maîtrisés pour rendre les bétons plus performants de ce dernier point de vue sans attenter à sa durabilité sont donc la texture rugueuse de sa surface pour permettre l’accrochage et la croissance du biofilm et la complexification de ses formes pour produire des habitats et des refuges diversifiés. Ce travail de surface peut inclure des zones rapportées de béton biogène ainsi qu’un traitement de surface par des produits bio-attractifs.
Peter Paalvast : The role of geometric structure and texture on concrete for algal and macrofaunal colonization in the marine and estuarine intertidal zone
Compte tenu des enjeux conjugués d’aménagement des côtes et des services biologiques que rend la zone littorale à l’ensemble du biotope marin, il apparaît maintenant que la conception des grandes infrastructures de génie civil à la mer doit aujourd’hui relever de la coopération étroite entre génie civil et ingénierie écologique, et que le béton va devoir relever ce nouveau défi.