Entretien avec Philippe Bornens, directeur de setec in vivo


bornensPhilippe pouvez-vous nous décrire rapidement In Vivo , votre société ?

In Vivo est une société que nous avons créée à deux, il y a près de 20 ans. Elle rassemble aujourd’hui une trentaine de collaborateurs. Il s’agit d’un bureau d’étude en environnement marin et en océanographie côtière. Nous travaillons sur de nombreux sujets, mais notre notoriété s’est construite sur la problématique du dragage et de la gestion des sédiments, ainsi que sur l’énergie renouvelable marine avec l’accompagnement de projets de champs éoliens offshore. Nos projets d’accompagnements environnementaux s’appuient sur notre pôle océanographique qui effectue des mesures en mer, des inventaires écologiques, des cartographies d’habitats, et pratique la géophysique marine. Nous avons rejoint le groupe SETEC en mars 2016.

in-vivo

Alors vous êtes la bonne personne pour nous parler un peu des impacts des ouvrages littoraux de génie civil en béton sur l’environnement dans lequel ils s’insèrent…

Pour bien répondre à votre question, peut-être est-il nécessaire de présenter rapidement les phases successives d’une colonisation animale et végétale d’un substrat immergé.
Tout commence par l’implantation d’un voile bactérien à la surface du support, ce fameux fouling qu’on voit croître sur la coque des bateaux.  Ce voile est en fait une colonisation pionnière qui, en se développant et en se diversifiant deviendra elle-même le site d’implantation de nouvelles espèces. Ces successions écologiques aboutissent, avec le temps, à un écosytème équilibré qui peut atteindre le stade climatique.

Alors, quel est l’impact d’une infrastructure en béton sur son milieu ? Qu’il s’agisse d’un quai, d’un d’une digue ou de tout autre ouvrage, le premier impact est l’empiètement matériel sur la zone concernée, empiètement qui modifie son substrat et son organisation. Le second impact tient à la nature matérielle des éléments immergés. Ainsi le béton au jeune âge est assez toxique : son pH est élevé par rapport au milieu et  il relargue également des produits chimiques, (adjuvants, huiles de coffrage…), ce qui ne favorise pas la colonisation. Mais cet aspect s’estompe avec le temps et le lessivage qu’effectue la mer.
Un élément fondamental, au regard de ce qui nous intéresse, est sa texture de surface : les bétons résistent d’autant mieux aux agressions maritimes (physiques et chimiques) qu’il s sont compacts et donc lisses. Cet aspect est évidemment très défavorable à la colonisation biologique car les spores et les larves ont besoin de rugosité et d’aspérités pour se fixer et croître… Je précise que ces ouvrages seront finalement, à la longue, colonisés mais uniquement par des espèces adaptables à cet environnement spécifique. Tout se passe comme si ces ouvrages sélectionnaient les espèces qu’ils supporteront. Ce qui est introduit là, c’est donc un déficit de biodiversité.
Un autre facteur à considérer est l’uniformité des structures immergées. Cette uniformité de forme et d’exposition opère, elle aussi, une sélection défavorable à la nécessaire variété des espèces. Ce phénomène sélectif est encore plus marqué en Manche ou en Atlantique où les espèces doivent, de plus, résister à des périodes d’exondation du fait des marées.

Résumons, si vous voulez, les qualités d’un béton idéal…

pH moins élevé, proche de celui de l’eau de mer, relargages chimiques maîtrisés, surface rugueuse, enfractuosités et formes complexes…

Ce béton entre en contradiction avec ce que nous nous préconisons en général pour en assurer la durabilité…

Oui, il convient donc de trouver des compromis. Nous ne sommes qu’au début de la prise de conscience de l’impact de l’urbanisation du littoral… Souvent nous sommes donc interpellés pour proposer de la remédiation au regard de structures classiquement  immergées. Mais de plus en plus, nous sommes aussi associés en amont, lors de la conception même des projets, pour coopérer à l’éco-conception des ouvrages. C’est le sens de notre intégration au groupe SETEC qui a fait le choix de s’engager dans la conception d’ infrastructures maritimes en prenant en compte la dimension environnementale. Nous travaillons ainsi avec les équipes des différents projets à l’interface du génie civil et du génie écologique.

Votre expérience des récifs artificiels a-t-elle  été transposable aux cas des parties d’ouvrages immergées ?

Oui, la problématique de la  durabilité des bétons et de leur altération à la mer est la même… mais c’est surtout l’approche écologique qu’ont permis d’affiner les expériences de récifs artificiels : il ne suffit pas d’immerger des récifs pour les coloniser. II convient, pour les coloniser correctement, de définir au préalable des objectifs biologiques et écologiques aussi clairs que possible. Le retour d’expérience des récifs artificiels souligne l’importance de la continuité écologique avec le milieu environnant, continuité qui est la clé de la biodiversité. Enfin, grande leçon, qui n’est pas exclusivement scientifique : on n’obtient rien de la vie sans le temps nécessaire… Nous sommes en général toujours très pressés !

in-vivo2

Immersion de récifs artificiels à l’île-d’Yeu

 

Concrètement, quelles formes prennent alors les ouvrages auxquels vous contribuez.

Il ne peut pas y avoir de forme a priori : tout dépend des contraintes de l’ouvrage d’un côté et des objectifs écologiques de l’autre… mais, pour résumer, certains ouvrages peuvent être classiques et « habillés » pour endosser une fonction écologique ; d’autres peuvent être classiques et se voir insérer des parties plus spécifiquement biogènes, d’autres, enfin, peuvent être spécifiquement éco-conçus.

Quels sont selon vous les obstacles à la généralisation de l’écoconception des ouvrages maritimes ?

La première chose nécessaire au développement de l’écoconception est  la prise de conscience des impacts de l’urbanisation littorale. Cette prise de conscience est en cours… Elle rencontre, et c’est normal, à ce stade, un manque de maturité des techniques disponibles : le travail de recherche et de mise au point implique encore un surcoût économique… Obstacles culturels aussi sûrement : ainsi les bétons ont leur histoire et leur problématique ; confrontés à cette exigence nouvelle d’une intégration écologique, le paradigme scientifique et technique qui les supporte va  se transformer, mais il faut là du temps,  du travail et des compétences transversales.

 

Retrouvez la société setec in vivo