La gammagraphie pour ausculter les gaines du béton précontraint

Entretien avec Pierre Roënelle, Expert consultant en gammagraphie pour le LERM

 

Nous nous intéressons, dans cette lettre d’information, à l’analyse de l’état de la précontrainte. Pouvez-vous nous dire ce qu’apporte la gammagraphie dans ce domaine ?

La gammagraphie est une technique d’auscultation qui sert principalement à visualiser le niveau de remplissage des gaines de précontrainte par le coulis et à apprécier la qualité de ce coulis, en fonction de sa compacité.
Les images obtenues appelées radiogrammes, permettent également d’apprécier l’aspect et la position des fils ou des torons de précontrainte dans leur gaine qui sont autant d’indices d’une possible absence de tension d’origine ou de rupture en service, lorsque la gaine est peu ou pas remplie par le coulis.

La visualisation directe d’une rupture est extrêmement rare et elle  se manifeste plutôt par le fait que le câble festonne, c’est-à-dire que des fils ou torons ne sont pas parallèles entre eux (sauf dans le cas des torons toronnés) ou qu’ils sont séparés des autres.
Le troisième type d’information fournie par la gammagraphie concerne la gaine elle-même : ses déformations ou ses éventuels accidents tels qu’écrasement local, discontinuité ou forte oxydation.

L’auscultation permet aussi la visualisation des armatures passives. Elle permet enfin une appréciation de l’aspect du béton en révélant les hétérogénéités, l’aspect des joints de reprise ou entre éléments de structure et certaines fissures.

Armatures passives et béton fissuré

Le positionnement des armatures actives ou passives peut être acquis plus largement et plus facilement par la technique du radar géophysique, cependant la gammagraphie reste une bonne technique lorsqu’on recherche un positionnement très précis, par exemple avant perçage à proximité immédiate d’un ou plusieurs câbles.

Quel est le principe technique de la gammagraphie ?

On émet un rayonnement gamma qui traverse le matériau à ausculter pour venir impressionner un récepteur. L’image obtenue visualise les éléments de densités différentes, rencontrés au sein du matériau. Ce système d’émetteur-récepteur implique d’avoir accès aux deux faces de l’ouvrage.

Il existe deux types d’émetteurs gamma permettant de radiographier du béton : le radioélément iridium 192 (Ir192), qui permet de traverser des épaisseurs de 25 voire 30 cm de béton dans certains cas ; le cobalt 60 (Co60), qui permet de traverser des épaisseurs jusqu’à 55 voire 60 cm. On peut également utiliser des rayons X de haute énergie produits par un accélérateur circulaire ou linéaire qui permettent de traverser jusqu’à 80 voire 100 cm de béton. Seul les projecteurs contenant l’Ir192 sont portables (environ 25 kg), ceux de Co60 sont transportables (220 à 350 kg suivant les appareils ; les générateurs de RX haute énergie transportables sont très rares (1 ou 2 en France, lourds et encombrants).

Avant 2008, dans le domaine de l’auscultation du béton, l’image était obtenue sur un support argentique qui devait être développé et fixée dans des bains chimiques. Depuis 2008, l’image virtuelle se forme sur un écran photostimulable à grains de phosphore qui sont excités par l’exposition aux rayons ionisants de l’émetteur. Le niveau d’excitation des grains du support exposé est lu par un scanner laser qui restitue une image numérique pouvant ensuite être améliorée si nécessaire par un logiciel de post-traitement de l’image. Cette technique permet un gain de temps important pour l’obtention du radiogramme, tant lors de l’exposition que lors de la phase de traitement et améliore l’environnement du fait de la suppression de la chimie de développement, sans dégradation importante de la qualité de l’image.

Torons dans une gaine vide de coulis

Plusieurs fils non tendus dans une gaine vide

Les supports sensibles sont généralement de 30 cm sur 40 cm. Les zones d’exposition, en nombre limité, sont choisies sur plans avant l’intervention en fonction des objectifs recherchés et de la nature de la structure. Ce caractère sélectif implique une approche statistique des recherches d’information.

Cette technique est utilisée dans le génie civil depuis 1968 ; la principale évolution technique concerne le passage au numérique que je viens de vous décrire.

Comment mettez-vous en œuvre cette auscultation ?

En général, c’est une équipe de trois personnes qui met en œuvre l’auscultation. La pratique s’effectue dans le respect de la norme NF A09-202 : « Principes généraux de l’examen radiographique, à l’aide de rayons X et gamma, des matériaux béton, béton armé et béton précontraint » ; elle est dominée par les conditions de radioprotection du personnel et de l’environnement. Pendant les expositions toute personne doit se tenir à distance ou être protégé par un obstacle physique.

Depuis 1968, les conditions réglementaires de la radioprotection en France se sont beaucoup renforcées, c’est pourquoi il n’est pas toujours possible d’intervenir sur toutes les parties d’un ouvrage ; le respect des conditions de radioprotection peut même interdire toute mise en œuvre de la gammagraphie sur certains ouvrages ou parties d’ouvrage, principalement en zone urbaine.

Sur quels types d’ouvrages intervenez-vous ?

Nous intervenons sur tous types d’ouvrages de génie civil, principalement sur des ponts (poutres, caissons bien sûr, sur quelques dalles aussi malgré des problèmes d’épaisseur) mais aussi sur des bâtiments, des châteaux d’eau, des bateau-porte…

Il est également possible de radiographier des structures en pierre par exemple pour en rechercher les éléments de liaison métalliques (monuments historiques, statues …).