Entretien avec Cyrille Sauvaget sur la mise au point d’un nouveau ciment dentaire

LERM

Cyrille, tu as participé à la mise au point d’un ciment dentaire pour le compte d’un laboratoire de pharmacie dentaire. Peux-tu nous préciser quel a été ton rôle et la généalogie de la recherche ?

cyrilCyrille Sauvaget
En effet, j’ai participé, sur un contrat de post-doctorant d’un an suivi d’un contrat d’ingénieur d’étude de deux ans, à la mise au point d’un ciment dentaire et j’étais chargé de la formulation de ce ciment.
L’aventure démarre en 1997 avec M. Bottero, directeur de recherches en sciences de l’environnement au CNRS attaché au CEREGE, et Mme Bottero, maître de conférences à l’UFR d’Odontologie de Marseille. Le projet est de mettre au point un matériau cimentaire destiné à la reconstitution des dents postérieures avec un double objectif : proposer un matériau d’une part capable de se substituer parfaitement aux tissus dentaires détruits par la carie et d’autre part, qu’il soit respectueux de l’environnement c’est-à-dire dépourvu de mercure, élément dont la nocivité, dans l’environnement (dépose des plombages) et dans l’organisme du patient, est problématique. Il s’agissait donc clairement d’offrir une alternative aux amalgames et aux résines composites.

 Sous l’impulsion de Monsieur Franquin, directeur de l’équipe IMEB de l’UFR d’Odontologie de Marseille, le projet est soumis au Laboratoire SEPTODONT, qui, le prenant à son compte, rassemble des financements pour permettre de démarrer la recherche.

Quelle voie choisissez-vous alors en termes de matériaux ?biodentine
L’option de départ est la formulation d’un liant hydraulique adapté. Mais outre les questions sanitaires et cliniques, le cahier des charges est bien lourd pour ce type de matériau, du point de vue d’un liant hydraulique classique puisque les 3 contraintes majeures sont :

  1. le temps de prise, qui doit être compris entre 9 et 12 minutes
  2. la résistance mécanique qui doit pouvoir atteindre 200 Mpa en quelques heures
  3. enfin la blancheur.

Tout l’inverse de la grande majorité des ciments ! C’était donc loin d’être gagné…
Le choix de base est celui d’une poudre de silicate tricalcique, composant bien connu de tous ceux qui connaissent le ciment Portland ! Tout le problème était d’en accélérer la prise.
Le premier levier d’accélération à notre disposition était la micronisation du C3S : diminuer la finesse d’une poudre, en effet, en augmente la réactivité. Le deuxième levier à notre disposition était d’ajouter à l’eau de gâchage un accélérateur de prise connu, le chlorure de calcium, qui, non seulement accélère la prise, mais augmente également la résistance à la compression. Le troisième levier, également axé sur l’amélioration des performances mécaniques, a été la réduction de l’eau de gâchage par l’ajout d’un superplastifiant haut réducteur d’eau, qui, en diminuant la porosité, contribue en outre à la résistance en compression et à la durabilité du matériau.

Votre ciment était né…
Eh non, pas encore !… car le temps de prise était encore trop long. Le levier suivant a donc été l’ajout au mélange de carbonate de calcium qui joue le rôle de support de nucléation pour les hydrates néoformés. Cet ajout a été décisif puisque le temps de prise a alors été divisé par deux. Cette fois, notre ciment était né. Un brevet a été déposé en 2001 et les essais de biocompatibilité ont démarré à  la fac dentaire de la Timone à partir de 2002. Ces essais nous réservaient une bonne surprise, car l’étude des interfaces a montré qu’au contact du silicate de calcium et du phosphate de calcium de la dentine d’origine, une cristallisation, dont la composition est parente de l’hydroxyapatite, avait lieu. L’hydroxyapatite est le principal composant des os.
Cela signifie qu’en plus de ces qualités de prise rapide et de résistance élevée, ce ciment est bioactif.
Le cahier des charges était donc plus que rempli, puisqu’en plus des indications en réparation, il convient aussi en indications endodontiques.

Et aujourd’hui ?
Depuis l’année dernière, le produit est commercialisé sous le nom de Biodentine™ et est distribué en France, au Royaume Uni et en Belgique. Son lancement en Allemagne et aux USA est imminent.
Il a même reçu le Prix de l’Innovation 2010 décerné par les professionnels de la santé bucco-dentaire, au congrès de l’Association Dentaire Française !
Je suis donc très fier d’avoir participé à cette aventure de recherche qui, une fois n’est pas coutume, s’est réellement concrétisée !

Pour en savoir plus sur « BiodentineTM « , cliquez ici