Entretien avec Jacques Fabbri, Architecte du patrimoine

haras-strasbourgMonsieur Fabbri  vous êtes en charge du projet de réhabilitation du Haras national de Strasbourg, pouvez-vous nous présenter ce projet ?
J.F : « Le haras est un ensemble qui date du 18 siècle. Ses éléments ont été classés monuments historiques en 1922 et 1987. Ils s’étendent sur environ 2600 m2 sur d’anciennes fortifications et comprennent le corps de logis de l’écuyer, les logements des palefreniers, des écuries et un grand manège couvert d’une portée de 16 m sur 34 m. Ils sont la propriété de la Ville de Strasbourg.
Ce haras se trouve en face de l’hôpital civil. Au sein de cet hôpital le Professeur Marescaux a fondé en 1994 l’IRACD, l’Institut de recherche contre les Cancers de l’Appareil Digestif, qui comprend à la fois un centre de recherche sur le cancer et la mise au point d’outils chirurgicaux et un centre de formation à la chirurgie mini-invasive.

Ces deux activités sont en forte croissance et le centre de formation accueille par an plus de 3700 chirurgiens qui viennent du monde entier. Compte tenu des difficultés d’hébergement qu’impliquent périodiquement à Strasbourg les réunions du Conseil de l’Europe et du Parlement européen, l‘IRCAD a obtenu de la municipalité la possibilité de reconvertir le haras pour ses besoins dans le cadre d’un bail amphytéotique. Le programme de réhabilitation du haras comprend donc l’installation d’un bio-cluster médico-chirurgical, un hôtel et une brasserie.
Ce projet a été confié à l’atelier d’architecture Claude Denu et Christian Paradon à Strasbourg. Ces confrères m’ont demandé de les accompagner dans cette tâche stimulante ».

Ce programme est-il adapté au site patrimonial qui doit l’accueillir ?
« C’est tout l’enjeu de mon travail que de mettre en adéquation un programme moderne et exigeant avec des bâtiments qui n’ont pas changé depuis le 17e siècle. Il s’agira donc d’un changement profond de la nature des lieux. Evidemment, transformer un haras du 17e siècle en cluster technologique et en restaurant n’est sans doute pas le programme le plus compatible avec la mémoire du lieu, mais c’est la condition même de la survie de notre patrimoine bâti que de trouver une réutilisation viable. Dans ce contexte, le travail de conception se focalise essentiellement sur les notions de réversibilité.

Notre projet a été suivi par les responsables de la DRAC, mais aussi par les inspecteurs généraux des Monuments Historiques au Ministère de la Culture. Toutes ces compétences nous ont amenés à modifier et à améliorer notre projet dans un souci permanent de qualification  et de préservation de la mémoire du bâti.
Après plusieurs rencontres, une connivence et une bonne synergie se sont tissées entre le Professeur Marescaux et Simon Piéchaud, Directeur du Patrimoine à la DRAC. D’un côté parce que l’occupation de ce site est une opportunité pour le développement des activités de l’IRCAD, de l’autre côté parce que ce programme finance une réhabilitation qui permet de prévenir la dégradation de l’ouvrage. Cette connivence n’est pas que d’opportunité car M. Marescaux est lui-même très sensible à la problématique du patrimoine ».

 

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Cour intérieure des Haras (atelier Denu et Paradon)

 

Quels sont les problèmes techniques auxquels vous vous trouvez confronté ?

« Entre autres problématiques, le sol de la grande écurie est pavé et le pavement doit être conservé. Nous faisons donc le choix d’une sorte de hérissonnage, c’est-à-dire d’une couverture de graves surmontée d’un dallage, le tout devant être respirant pour ne pas causer la dégradation du pavement. Nous avons demandé au LERM de nous faire des préconisations en la matière et de vérifier si nos propositions ne risquaient pas de nuire au pavement.

Ensuite, nous sommes confrontés, compte tenu de la proximité de la nappe phréatique et de plus de deux siècles d’urine de chevaux, à des remontées d’eau et d’ammoniaque qui posent un double problème d’hygiène et de transferts dans les maçonneries et les mortiers, notamment du restaurant et de la salle du déjeuner de l’hôtel. Les caractérisations et le diagnostic confiés au LERM nous indiquent que ces transferts sont vecteurs de sels d’ammoniaque dont la cristallisation altère les enduits de parement. Il est à craindre que le chauffage à venir des ces lieux accentue ce phénomène. Dans la perspective du maintien des mortiers et badigeons de chaux que souhaite la DRAC, nous attendons du LERM des préconisations sur une qualité adéquate des enduits et sur la possibilité de réduire ces transferts.

Pour ce qui concerne le manège où doit s’installer le centre technique, nous connaissons cette même problématique du badigeon de chaux. Le chauffage par soufflerie ne devant transporter aucune poussière, nous devrons travailler, toujours avec le LERM, à sa fixation.

Enfin, dernier point concernant les enduits, certains murs sont couverts d’un enduit jeté au balai datant  du 17e siècle, technique rarement utilisée dans cette région. Nous sommes donc dans l’obligation de les conserver au maximum ou de les restaurer. Ici encore, nous avons demandé au LERM de diagnostiquer ces enduits et de nous aider à définir un protocole de nettoyage sur les parties saines, de conservation sur les parties décollées, et une analyse de la composition pour restaurer les parties désagrégées ».

 

La conversion d’un monument historique est-elle pour vous un atout ou une contrainte ?
« Je répondrai que les contraintes sont précisément des atouts : dans ce contexte nous sommes un peu comme un mathématicien qui n’avance qu’en se posant des problèmes à résoudre. Ce que le grand public perçoit comme des contraintes est pour moi une véritable stimulation, car je sais que l’objectif des institutions du patrimoine est de requalifier au mieux une construction qui souvent, a été défigurée au fil du temps par des aménagements inappropriés.

Ainsi en ré-ouvrant des arcades obturées, l’édifice retrouve une composition et une harmonie originelle qui s’inscrit dans l’esprit du lieu et dans la modernité. De la même façon, revenir aux badigeons, souligner les modénatures, c’est aussi gommer l’absence d’entretien et les peintures horribles qui sont le leg d’une occupation militaire du haras.
Si les contraintes permettent de retrouver le charme et l’originalité du bâti, alors il ne faut pas les regretter mais au contraire les rechercher ; dans cette perspective, la profonde connaissance du patrimoine dont est porteuse la DRAC est une source d’inspiration fondamentale ».

 

Pour en savoir plus : http://www.ircad.fr/haras/