Entretien avec Bouzid Sabeg, directeur du Patrimoine de la Ville d’Arles

bouzid_sabegPouvez-vous nous présenter brièvement le patrimoine bâti arlésien ?
B.S : » Exercice difficile que d’être bref sur ce sujet !.. Disons que la ville d’Arles est dotée d’un patrimoine bâti exceptionnel qui s’enracine dans l’antiquité romaine. Depuis, chaque période a laissé des vestiges ou des édifices remarquables. Une centaine de monuments, environ, y sont protégés. Depuis le milieu du 19e siècle, la valeur historique de la ville a suscité un important intérêt : une douzaine de monuments sont déjà classés sur la liste de 1840 dressée par Prosper Mérimée ».

 

Comment s’articulent, dans une ville comme Arles, les exigences de la conservation patrimoine et celles du développement ?

« Dès l’époque même de Mérimée, un certain nombre de monuments ont été dégagés, restaurés et mis en valeur. Ces travaux sont entrepris principalement dans un esprit de responsabilité à l’égard du patrimoine qu’il s’agit d’entretenir pour le transmettre. Dès la fin du 19e siècle et le début du 20e pourtant, ce culte désintéressé du patrimoine devient un argument pour le tourisme naissant. En effet, les informations touristiques suggèrent au touriste qui visite Rome et Athènes de commencer par s’arrêter à Arles pour préfigurer son voyage…
Mais, à cette époque, la ville se développe sur un mode industriel en accueillant les ateliers SNCF (le train détrônera d’ailleurs l’importante activité portuaire de la ville), les constructions navales de Barriol, puis des cartonneries, etc… Ce mode de développement nous mène jusqu’aux années 1980 à partir desquelles fermeront, un à un, les établissements industriels d’Arles. La perte de plus de 6000 emplois est un coup dur pour la population et pour les recettes de la ville. C’est donc à ce moment que le tourisme est perçu comme un levier majeur de développement ».

 

Comment s’effectue ce virage ?
« Par une prise de conscience des atouts de la ville : ses atouts sont sa situation géographique et ses patrimoines naturels et culturels : la mer, les plages et la Camargue pour les uns, le patrimoine bâti pour les autres. L’entretien du patrimoine, toujours nécessaire, n’est plus alors perçu comme une charge, mais comme un investissement qu’il convient de planifier, mais également de valoriser.
C’est d’ailleurs le moment où le Ministère de la Culture charge les DRAC, qui sont maîtres d’ouvrage des monuments classés, de faire un état des lieux du patrimoine bâti afin d’évaluer les besoins par régions, par départements et par villes. L’enquête révèle qu’en PACA les besoins sont parmi les plus lourds.
Les seuls monuments classés de la ville d’Arles représentent 15% des besoins de Provence-Alpes-Côte d’Azur et 40% des besoins des Bouches-du-Rhône. L’amphithéâtre, à lui seul, pèse pour 6% des besoins de PACA.
L’investissement dont je parlais n’est donc pas une figure de style ! Le plan patrimonial antique d’Arles a donc été financé par l’Etat et les différentes collectivités locales à 95 %. Pour la seule ville d’Arles, en 10 ans, l’intervention sur le patrimoine bâti est passée de 1 à 30% du budget d’investissement.

Si l’investissement est incontournable pour faire du patrimoine un ressort du développement, il ne suffit pas. Il convient également que le projet de développement s’inscrive dans une perspective globale cohérente. Cette perspective est fournie dans le cadre d’une politique transversale qui associe le tourisme, le patrimoine, l’urbanisme, la circulation et, plus largement la formation et l’éducation.

Enfin, une conversion de l’ensemble des mentalités a du s’accomplir : à l’époque où les arlésiens pensaient que les touristes devaient mériter la ville et leur visite a succédé l’époque où la ville et de nombreux arlésiens se demandent comment ils peuvent mériter la visite des touristes… ».

Vous avez parlé de valorisation du patrimoine, pouvez-vous revenir sur cette perspective ?
« Oui, le patrimoine est une véritable ressource. Le patrimoine entretenu et réhabilité est une ressource plus grande encore, mais exactement comme une matière première, elle doit être mise en valeur par des actions et propositions concertées que sont l’amélioration de la qualité de l’accueil, l’amélioration de la qualité de l’intérêt de la visite, l’optimisation de la communication… ».

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Arles, le Rhône et le quartier de la Roquette

Quels sont les outils de cette valorisation ?
« Les outils sont nombreux. L’amélioration matérielle de l’accueil est essentielle : communication, signalisation des sites, accessibilité, création de lieux d’accès, de toilettes et commodités. L’amélioration de l’offre, passe par une réflexion stratégique sur la billetterie. A Arles, le choix a été fait de la garder en régie publique ; elle garantit une tarification basse et équilibrée, au sens où nous offrons en fait des bouquets de visites incluant des musées, qui donnent un sens au passage des touristes en centre ville. L’objectif ici, n’est pas la rentabilité stricto sensu, car la visite n’est qu’un moment de la valorisation de l’investissement. Elle s’inscrit dans un cadre plus général qui comprend la restauration, l’hébergement, les achats divers, les activités de loisirs…

A un accueil de qualité et à la valorisation des sites doit se joindre, selon nous, également une animation des sites, dont il s’agit de renforcer l’attractivité. Nous avons ainsi développé, avec différents partenaires, des offres de spectacles gratuits dans certains sites pendant l’été, par exemple sur les olympiades et les combats de gladiateurs, alternativement au théâtre et à l’amphithéâtre ; nous proposons également des spectacles musicaux orientés sur la période médiévale au cloître Saint-Trophime et aux Alyscamps.

Hors saison, pendant l’automne et le printemps, ces animations restent disponibles à la demande des groupes que nous destinent les voyagistes ou des publics scolaires. Depuis la mise en place de ce plan de valorisation, nous avons enregistré une augmentation remarquable des recettes et du nombre de visiteurs ».

 

Avez-vous pu chiffrer les retombées de l’ensemble de cette démarche ?
« La Ville et le Service du Patrimoine ont commandé une étude sur les retombées économiques et sociales du patrimoine (2007-2008) qui vient d’être rendue publique. Ses conclusions sont nettes : non seulement les recettes issues de l’exploitation des sites patrimoniaux couvrent les investissements consentis par les différentes collectivités, mais aujourd’hui, 1/4 des emplois sont liés au patrimoine. Un emploi direct dans le patrimoine génère huit emplois induits. De même, 1 euro investit dans le patrimoine génère 22 euros de retombées économiques. Bref, loin d’être une charge, le patrimoine est aujourd’hui un levier de développement pour la ville ».

 

Dernier point, Arles, n’est pas un musée, c’est une ville vivante, variée, diversement habitée, comment s’articulent entre eux les grands sites patrimoniaux et l’habitat quotidien ?
« Nous fêtons cette année les 30 ans d’inscription de la ville au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Cette inscription qui est un formidable atout crée également l’obligation de la gestion de l’ensemble du site. La convention de 1972 impose un plan de gestion du site qui se décline sur les règlements nationaux en vigueur dans lesquels nous retrouvons le dispositif des monuments historiques classés, protégés, les périmètres protégés, les zones tampons, etc… L’ensemble de la ville fait donc l’objet d’une stratégie d’entretien et de valorisation à moyen et long terme.

Enfin, puisque vous abordez la question des habitants, c’est important, l’ensemble du travail mené sur le patrimoine bâti, loin de transformer la ville en musée matériel, resserre les possibilités d’appropriation du territoire et des lieux par les habitants, tisse un sentiment d’appartenance et d’identité qui sont essentiels pour que la ville reste profondément vivante, vécue et authentique ».