L’approche performantielle de la durabilité des bétons

La revue, ci-dessus, des différentes pathologies dont est susceptible de souffrir le béton donne la mesure  de l’ensemble des paramètres qui  doivent concourir à la durabilité de ce matériau. Comme la maîtrise de la durée de vie des ouvrages de génie civil est un enjeu important tant du point de vue économique qu’environnemental, l’exigence de durabilité, pour les ouvrages exceptionnels,  s’est appuyée depuis une quinzaine d’années sur une conception des ouvrages visant une durée de vie définie contractuellement.
Le concept de durabilité s’est donc placé au cœur de la démarche de conception, ce qui a amené le développement d’approches performantielles de la durabilité du béton. L’expérience et le recul acquis en ce domaine permettent d’envisager une évolution de la normalisation qui intègrerait plus étroitement l’approche prescriptive et l’approche performantielle pour la formulation de bétons bien adaptés à leur environnement et dont l’impact environnemental serait plus finement maîtrisé. Pour mieux comprendre cette nouvelle perspective normative, dont le projet national Perfdub qui fait suite au projet APPLET (voir notre encadré plus bas) et qui actuellement en cours de montage

est actuellement porteur, nous nous proposons ici d’explorer ce que l’on entend aujourd’hui par approche performantielle.

 

Vieillissement et pathologies du béton

L’expression « c’est du béton » consacre la réputation de durabilité de ce matériau, durabilité dont de nombreux ouvrages, même antiques comme le Panthéon de Rome, témoignent.  Mais un béton n’est durable qu’au regard de son environnement et de l’usage auquel il est destiné.

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Dans les faits, dès qu’un ouvrage est mis en service, son vieillissement commence et il est donc susceptible  de dégradations diverses, provoquées par des causes physiques, mécaniques ou chimiques. Les causes mécaniques sont les chargements et les chocs. Les causes physiques sont les températures extrêmes, qu’il s’agisse du chaud ou du froid. Les causes chimiques, les plus importantes,  sont liées à l’environnement de l’ouvrage. En effet, l’air, l’eau et le sol favorisent la migration d’agents, qui, compte tenu de la nature poreuse du béton, vont modifier la composition chimique de sa solution interstitielle et sont susceptibles de réagir avec sa matrice liante.
Ces réactions chimiques internes vont provoquer soit une dissolution soit des gonflements du matériau. La dégradation chimique est-elle-même accélérée par les deux autres causes, mécaniques et physiques, dont les effets (fissuration, porosité, état de surface dégradé…) favorisent les transports des agents délétères au sein du béton.

L’évaluation prospective de la durabilité du béton au cours du temps implique donc de coupler la connaissance de l’évolution de ses performances à long terme avec l’impact de son environnement sur le matériau et sur ses performances.

Dans cette perspective, les données de l’auscultation in situ de l’ouvrage doivent permettre l’adaptation progressive des modèles d’évolution de la dégradation.

 

La durabilité du béton et l’approche prescriptive

Compte tenu de l’importance de l’environnement de l’ouvrage au regard de la possible altération chimique du matériau cimentaire, la norme NF EN 206-1 définit des classes d’exposition qui correspondent à des risques auxquels tout ou partie de la structure seront exposées. Ces classes sont au nombre de 6 :

X0 aucun risque

XC corrosion induite par carbonatation

XD corrosion induite par des chlorures autres que marins

XS corrosion induite par des chlorures provenant de l’eau de mer

XF gel/dégel avec ou sans sels de déverglaçage

XA attaque chimique

Ces classes sont elles-mêmes subdivisées en fonction de l’agressivité des conditions environnementales.

C’est à partir de ces classes d’expositions que la norme prescrit, en s’appuyant sur l’expérience acquise, les moyens de la durabilité attendue : il s’agit d’appliquer des valeurs limites aux paramètres de formulation du béton (rapport eau/ciment, teneur en liant, teneur en air entraîné, additions/ciment).

 

 

Rappel des textes sur la durabilité des ouvrages

 

NF EN 206-1, 2004. + Complément national de 2012. Béton. Partie 1 : spécification, performances, production et conformité

NF EN 1992-1-1, 2005. Eurocode 2. Calcul des structures en béton. Partie 1-1 : Règles générales et règles pour les bâtiments

NF EN 13670, 2013. Exécution des structures en béton

FD P 18-011, 2009. Bétons. Définition et classification des environnements chimiquement agressifs – Recommandations pour la formulation des bétons

Fascicule 65A du CCTG, SETRA, 2008

Recommandations pour la prévention des désordres dus à l’alcali-réaction, LCPC 1994

Recommandations pour la durabilité des bétons durcis soumis au gel, LCPC, 2003

Recommandations pour la prévention des désordres dûs à la réaction sulfatique interne, LCPC 2007

Les normes des produits en béton préfabriqués de structure suivent la norme NF EN 13369, 2013 : Produits préfabriqués en béton. Règles communes pour les produits préfabriqués en béton, qui, pour ce qui concerne la durabilité, reprend les exigences des normes NF EN 206-1 et 1992-1-1

 

Les approches performantielles de la durabilité du béton

A côté de la prescription normative que nous venons d’envisager, se sont développées, principalement pour des ouvrages à la durée de vie exceptionnelle ou soumis à des contraintes environnementales particulières, des approches dites performantielles. Plutôt que l’obligation de moyens en termes de formulation, ces approches visent directement les résultats en termes de performance de durabilité. Cette démarche, qui autorise des formulations spécifiques, permet également de formuler des bétons à l’impact environnemental diminué.

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Approche comparative

La norme NF EN 206-1 fait place à la démarche performantielle dans le cadre de l’approche dite comparative. Un béton, pour être qualifié, doit présenter des performances comparables à celles d’un béton de référence, lui-même conforme aux tableaux NA.F.1 ou NA.F.2 de la norme la norme NF EN 206-1 pour une classe d’exposition donnée : (paragraphe 5.2.5.3 de la norme, Concept de performance équivalente du béton) « il doit être prouvé que le béton a une équivalence de performance avec celle d’un béton de référence, en particulier pour ce qui concerne son comportement vis-à-vis des agressions de l’environnement et sa durabilité, conformément aux exigences pour la classe d’exposition considérée. »
Ce concept de performance équivalente du béton permet donc de s’affranchir des prescriptions normatives du béton à la condition de montrer par des essais performantiels et des indicateurs de durabilité que les perfomances atteintes du béton sont équivalentes à celle d’un béton à la formulation prescrite par la norme.
L’annexe E de la norme NF EN 206-1 donne les principes d’évaluation du concept de performance équivalente.

Notons que, pour faciliter cette approche, autorisée mais non explicitée par la norme, le FNTP a publié, en 2009, des recommandations professionnelles provisoires : Méthodologie d’application du concept de perfomance équivalente des bétons. Les essais perfomantiels et les indicateurs de durabilité y sont spécifiés.
Les exigences de composition du béton de référence y sont durcies par rapport aux prescriptions de la norme au regard de deux critères : le rapport eau/ciment maximal est diminué de 0,05% et le dosage minimal en liant est augmenté de 5%.

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Méthode de conception performantielle

Cette approche est également prévue par la norme NF EN 206-1 (paragraphe 5.3.3) : « Les exigences relatives aux classes d’exposition peuvent être établies en utilisant les méthodes de conception performantielles pour la durabilité et elles peuvent être établies en termes de paramètres performantiels, par exemple une mesure d’écaillage dans un essai de gel-dégel. L’Annexe J (informative) de la présente norme donne des conseils relatifs à l’utilisation d’une autre méthode de conception en fonction des performances pour la durabilité. »

Il  est spécifié dans cette Annexe J que cette variante « considère quantitativement chacun des mécanismes de détérioration, la durée de vie de l’élément ou de la structure, et les critères qui définissent la fin de cette durée de vie. Cette méthode peut se baser sur une expérience satisfaisante avec des pratiques locales dans des environnements locaux, sur des données recueillies à partir d’une méthode d’essai de performance établie pour le mécanisme étudié, ou sur l’utilisation de modèles prédictifs éprouvés. »

Cette méthode de conception a fait l’objet de recommandations provisoires en 2010 par le LCPC :  Maîtrise de la durabilité des ouvrages d’arts en béton. Application de l’approche performantielle.

Voici les indicateurs de durabilité qui y sont recommandés :

Corrosion des armatures

Au regard du risque de corrosion des armatures, les indicateurs de durabilité retenus par les recommandations du LCPC sont :

  • la porosité accessible à l’eau (Peau),
  • la perméabilité au gaz (Kgaz),
  • le coefficient de diffusion des chlorures (Dapp),
    indicateurs auxquels s’ajoute, en complément, dans la perspective des épreuves d’étude, de convenance et de contrôle, la mesure de la résistivité électrique (ρ).

Le point sur les essais normalisés

  • Les essais de perméabilité aux gaz et de porosité accessibles à l’eau font l’objet des normes françaises XP P 18-463 et NF P 18-459 mais ces normes ne sont pas harmonisées au niveau européen.La diffusion des ions chlorures fait l’objet de deux normes françaises qui sont expérimentales :
    • la norme XP P 18-461 (Essai accéléré de migration des ions chlorures en régime stationnaire – Détermination du coefficient de diffusion effectif des ions chlorure)
    • et la norme XP P 18-462 (Essai accéléré de migration des ions chlorures en régime non stationnaire – Détermination du coefficient de diffusion apparent des ions chlorure)

    Enfin la mesure de résistivité électrique ne fait l’objet d’aucune norme, mais il existe un mode opératoire LCPC.

Alcali-Réaction

Au regard du risque d’alcali-réaction, les indicateurs de durabilité retenus sont :

  • le bilan en alcalins équivalents de la formule ([Na2Oeq]),
  • la déformation de gonflement d’éprouvettes de béton évaluée selon l’essai de performance NF P18-454 (Réactivité d’une formule de béton vis-à-vis de l’alcali-réaction – Essai de performance).

Réaction sulfatique interne

Au regard du risque de réaction sulfatique interne, les indicateurs de durabilité concernant les pièces critiques de l’ouvrage sont :

  • la température maximale atteinte au coeur de la partie d’ouvrage (Tmax),
  • la déformation de gonflement d’éprouvettes évaluée selon l’essai de performance défini par la méthode LPC n° 66.

Risques liés au gel

Au regard du risque lié aux effets du gel, les paramètres de durabilité à considérer sont à choisir parmi les suivants :

  • le facteur d’espacement du réseau de bulles d’air (Lbar),
  • la teneur en air occlus (tair) sur béton frais,
  • l’écaillage (Ec), (mesure de la masse écaillée sous cycle agressif),
  • l’essai de performance vis-à-vis du gel interne (Δε), mesure de l’allongement en liaison avec la mesure des fréquences de résonance (f²/f0²),
  • la résistance à la compression à 28 jours (fc28).

La conception performantielle est complétée par des épreuves de convenance et de contrôle en phase de chantier, puis, à partir de la réception de l’ouvrage qui définit le point zéro durabilité de l’ouvrage, le suivi de durabilité du béton s’effectue à partir de l’évaluation de témoins de durée de vie extraits de chaque partie de l’ouvrage. Ces témoins de durée de vie sont évalués à partir d’essais réalisés in situ ou en laboratoire sur des échantillons prélevés.

 

Recommandations du projet ANR-APPLET  (2012) concernant

l’approche performantielle

Outre les propositions faites sur les modes opératoires, les recommandations 2012 du projet ANR-APPLET portent sur :

L’intérêt des mesures de la résistivité électrique du béton pour le suivi de la variabilité des propriétés de durabilité d’un béton

L’intérêt pour l’utilisation des indicateurs de durabilité d’aller vers une prise en compte des aspects statistiques, comme c’est le cas aujourd’hui pour les résistances mécaniques

La nécessité d’intégrer dans l’application de l’approche performantielle les aspects probabilistes pour prendre en compte la variabilité des gâchées qu’on retrouve au chantier, comme au laboratoire.

Enfin le projet propose une analyse du choix du béton de référence, choix particulièrement important  dans le cadre de l’approche comparative.

 

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Bibliographie

 

Norme NF EN 206-1, 2004. Béton -Partie 1 : spécification, performances, production et conformité
Méthodologie d’application du concept de perfomance équivalente des bétons : Recommandations professionnelles provisoires  / Rozière, Emmanuel, Auteur; Cussigh, F., Auteur. – Fédération Nationale des Travaux Publics, 2009.
Maîtrise de la durabilité des ouvrages d’art en béton. Application de l’approche performantielle. – Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC), 2010
Recommandations pour la durabilité des bétons durcis soumis au gel : Guide technique [document électronique]. – Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC), 2003.
Durée de vie des ouvrages, approche performantielle, prédictive et probabiliste. Recommandations du projet ANR-APPLET . – IFSTTAR, 2012
Conception des bétons pour une durée de vie donnée des ouvrages. Maîtrise de la durabilité vis-à-vis de la corrosion des armatures et de l’alcali-réaction – Etat de l’art. Guide pour la mise en oeuvre d’une approche performantielle et prédictive sur la base d’indicateurs de durabilité – Association Française de Génie Civil (AFGC), 2004