Noureddine, tu es « expert matériaux » au LERM… peux-tu nous décrire un peu ton parcours ?
J’ai toujours été très intéressé par la géologie. Lors de mes études, à partir de la licence, j’ai eu le désir de suivre deux pistes à la fois, celle de la recherche et de l’enseignement et celle de la pratique, car j’avais également une grande curiosité pour les processus industriels. J’envisageais donc de m’orienter vers le génie civil ou la pétrochimie.
Une jeunesse consacrée aux études donc ?
Oui, et aux petits boulots pour pouvoir les suivre !… J’ai fréquenté de nombreuses universités : c’est à l’Université Mohammed I d’Oujda que je prépare et passe ma licence. C’est ensuite à l’Université Mohammed V de Rabat que je passe ma maîtrise. Je viens ensuite en France, passer une maîtrise à l’Université des Sciences et Techniques de Lille. J’y travaille sous la direction de Jean-François Raoult, co-auteur du fameux Dictionnaire de Géologie. Je n’en reviens pas… Il me semble que je suis sur une sorte d’Olympe.
Qu’est-ce qui t’amène alors en France pour poursuivre tes études ?
Seules deux universités, au Maroc, proposaient un troisième cycle dans le domaine qui m’intéressait ; je devais donc quitter le Maroc. En venant à Lille, je découvre le froid, mais aussi les moyens des laboratoires qui sont mis à notre disposition. J’en profite d’autant mieux que notre formation théorique dispensée au Maroc était de qualité.
On poursuit ton cursus ?…
J’entreprends ensuite un DEA de géochimie sous la direction de Claude Allègre à Paris VII, puis une thèse à Paris VI sous la direction de René Létolle : « Application des isotopes stables (13C et 18O) à l’étude de la carbonatation et de la décalcification des bétons« … Un véritable tour de France des Universités, non ?
Lors de mon stage de DEA, que j’effectue au Lerm en 1989, à Bagnolet, mon tuteur m’oriente sur l’étude de la carbonatation au moyen des isotopes. Je commence ma thèse sur ce sujet en 90-91 et j’ai alors la chance de travailler avec Hugues Hornain au MEB et en microscopie optique.
Ce sont donc tes études qui t’introduisent au Lerm, qui lui, en est alors à ses débuts…
Oui ! Le laboratoire, c’est, à cette époque, une équipe de 8 personnes, en tout et pour tout, dont 5 sont propriétaires de l’entreprise. L’ambiance est familiale, et si c’est une chance d’être au Lerm, c’en est une particulière d’y être à ce moment là.
… et c’est donc au Lerm que tu passes des études au travail…
En effet, la qualité du travail scientifique et technique liée à la qualité humaine du laboratoire m’incite à y rester. En réalité, entouré de gens qui, comme par exemple Bernard Thuret et Hugues Hornain, sont aussi passionnés que moi, je ne ressens aucun hiatus entre la recherche et le travail… si bien que je me demande si j’ai un jour fini mes études ou bien si j’ai un jour commencé à travailler. J’ai donc la chance de rester dans un environnement où mon souhait, dont je t’ai parlé, de ne pas séparer la théorie de la pratique se réalise.
Il n’y a donc que des géologues au Lerm ?
Je me présenterais plutôt comme géochimiste… Mais ce n’est pas étonnant qu’il y ait tant de géologues au Lerm (même si nous ne le sommes pas tous !) car le béton est une roche, même si elle est artificielle. C’est une roche particulière certes, puisqu’on la fabrique et, dans cette mesure, on tâche de maîtriser sa durabilité… Mais c’est bien une roche, si vivante d’ailleurs, qu’on parle de ses âges : jeune âge, maturité, etc…
Quel est ensuite ton parcours au sein du Lerm ?
Après la soutenance de ma thèse en 1994, je deviens responsable du département microstructure. Je le serai pendant 12 ans jusqu’à ce que nous nous installions à Arles. Le déménagement est, pour nous tous, une aventure rondement menée : le labo n’a pas fermé une semaine entière !… même s’il a fallu réinstaller tous les appareils, dont certains d’ailleurs ont été renouvelés.
Tu prends, à partir de ce moment, la fonction d’expert. Tu peux nous expliquer un peu ce que recouvre cette appellation…
En douze ans, les choses changent : le laboratoire grandit, la direction se renouvelle, moi-même je change bien-sûr et tout ceci se conjugue pour que de nouvelles fonctions deviennent nécessaires, dont celle d’expert. Au fond, je ne prends pas cette fonction, c’est l’évolution du laboratoire qui la crée et je l’endosse dans la mesure où, dans le mot expert, avant toute chose, j’entends d’abord sonner « expérience »…
Dans un laboratoire qui grandit, qui plus est, dans un environnement concurrentiel, le maintien, l’évolution et l’amélioration des compétences internes sont vraiment vitales. D’un autre côté, une prise de recul est nécessaire, qui permet la veille sur les évolutions extérieures des connaissances et de la technique, la réflexion sur le marché et sur la concurrence. C’est le rôle, me semble-t-il, de l’expert de maintenir l’excellence des connaissances et des pratiques internes, articulées sur une prise en compte de l’environnement scientifique, commercial et économique de l’entreprise.
Les outils qui découlent de cela et que mettent en œuvre les experts du Lerm, ce sont surtout des outils de formation interne en direction des techniciens, mais également de l’ensemble du personnel du laboratoire ; c’est également un rôle de suivi et de conseil auprès des nouveaux arrivants, pour que, aussi élargie que soit aujourd’hui l’équipe, elle soit porteuse d’une véritable identité scientifique et déontologique.
Cela signifie-t-il que tu n’es plus à la production, comme on dit ?
Disons que je suis de grands projets de type recherche appliquée, comme la mise au point, en son temps, de ciments sulfo-alumineux avec, entre autres, des chercheurs chinois… Les projets ensuite s’enchaînent : travaux sur la valorisation de cendres volantes avec la Société Surschiste, l’étude du métakaolin dans les liants et les bétons, de laitiers d’aciérie dans le cadre du projet ORLA, l’étude de la durabilité des liants pétroliers pour l’obturation de puits dans le cadre du captage et stockage du CO2 dans les réservoirs géologiques avec Total, de revêtement de surface de bétons comme pour l’EPR d’EDF. Aujourd’hui, par exemple, je travaille sur le diagnostic matériau du parc d’aéroréfrigérants d’EDF.
Dans cette fonction d’expert, il y a également les rencontres et les échanges, les liens tissés avec la communauté des chercheurs. C’est très stimulant. Je garde en mémoire de grandes et belles dates, comme le séminaire d’Arles que nous avons organisé en 1996 en l’honneur de Micheline Regourd, l’organisation des Journées scientifiques de Toulouse en 1998 où nous étions associés avec l’AFGC et au LMDC ou encore le projet BHP 2000, et bien entendu toutes les nombreuses dates qui se sont succédées depuis….
Comment vois-tu l’évolution de ton activité au sein du laboratoire ?
A la place qu’ils occupent, les experts du Lerm véhiculent et observent la réputation du laboratoire mais aussi celle de l’ingénierie. Cette réputation est bonne. Il faut qu’elle le reste ; cela signifie qu’il faut que nous maintenions collectivement la maîtrise de nos thèmes et de nos techniques dans la perspective même de la croissance de nos effectifs. Les experts, par leur activité de formation, de conseil, de transfert de compétences et par leur expérience sont les garants de la permanence et de la rigueur d’une culture commune à toute l’entreprise. Cette qualité interne à l’entreprise, les experts doivent également la véhiculer à l’extérieur, à travers les nombreux contacts qu’ils entretiennent dans l’environnement qui est le notre.
Je vois donc mon activité à venir comme celle d’un veilleur, d’un garant, d’un chercheur certes, mais également comme celle d’un passeur de ce dont j’ai moi-même hérité.