Problèmes et méthodes de la substitution de la pierre sur les chantiers de restauration

« Tous les matériaux enlevés seront toujours remplacés par des matériaux de même nature, de même forme, et mis en œuvre suivant les procédés primitivement employés.1« 

news_letter15_caen1Avant d’entreprendre la restauration d’un monument, l’architecte a besoin de connaître la nature des pierres qui y sont en œuvre. Identifier les pierres et leurs carrières d’origine, définir éventuellement une roche équivalente pour de possibles substitutions sont les missions du géologue et de son laboratoire. Cette identification révèle souvent une grande diversité de pierres dont l’usage dans l’édifice, en fonction de leurs qualités, indique la connaissance fine qu’avaient les maîtres d’œuvre de ces ressources minérales. Cette diversité peut aussi résulter d’époques différentes de construction de l’édifice.

Quand substitue-t-on ?
Sur un chantier de restauration, le remplacement partiel ou complet des pierres doit être envisagé, lorsque leur dégradation est telle qu’on ne peut ni les conserver ni les restaurer. Cette solution est impérative lorsque l’on rencontre des problèmes de solidité de la pierre qui risquent de compromettre la stabilité de la structure de maçonnerie (fissures et cassures). Elle doit être envisagée, également, en présence de désordres qui affectent l’esthétique de l’édifice : érosion d’éléments d’ornements de la façade, surfaces trop largement endommagées pour permettre un ragréage.
La substitution de pierre doit obéir à certaines règles pour le choix des pierres, le traitement des faces apparentes, la dépose des pierres abimées, la mise en place des nouveaux éléments, le scellement et le jointoiement.

La première étape de la substitution : le choix de la pierre de substitution

Techniques de laboratoire
Avant toute substitution, il convient de correctement caractériser et identifier la pierre en oeuvre d’origine. Il s’agit ensuite de retrouver la carrière d’origine ou, à défaut, de choisir une pierre qui se rapproche le plus possible de la pierre en oeuvre.
Plusieurs méthodologies d’approche permettent d’aboutir à un résultat satisfaisant.
La détermination du numéro d’identification des pierres calcaires est la méthode la plus ancienne, et encore la plus utilisée (issue de l’ancienne norme NF B 10-301, datant de 1975). Un indice est attribué à la pierre ; il constitue un outil de sélection basé sur une équation incluant trois caractéristiques physiques :

  • la valeur moyenne de la vitesse de propagation du son, exprimée en m/s
  • les valeurs mini et maxi de la masse volumique apparente, exprimée en g/cm3,
  • la valeur médiane de la dureté superficielle mesurée à l’aide du scléromètre de Martens, exprimée en mm.

Cette ancienne norme établit une correspondance entre les numéros d’identification obtenus, et les appellations réservées aux pierres calcaires « tendre, demi-ferme, ferme, dure et froide ». Cette classification est discutable, mais elle reste un outil courant pour les architectes en charge des décisions à prendre en termes de choix de pierres pour la restauration.
Des travaux plus récents proposent une démarche qui allie compatibilité et durabilité, en déterminant un indice nommé IDC (indice de durabilité et compatibilité) pour lequel les mesures à réaliser, en plus de la caractérisation pétrographique et minéralogique,  sont :

  • la quantification des argiles hydrophiles,
  • la mesure de la porosité,
  • la mesure de la résistance mécanique (échantillons secs et saturés)
  • la mesure des coefficients d’absorption et de capillarité.

Cette méthodologie est à retenir mais reste encore aujourd’hui à valider sur un nombre de cas représentatifs. En complément de cette démarche de laboratoire, il est possible d’affiner ces sélections par des investigations non destructives réalisées en carrière.

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Bibliothèque centrale de Zürich

Documentation historique
La documentation  permet de connaître la nature des pierres employées dans un monument et le lieu de l’extraction. Les grands chantiers religieux du Moyen-âge nous ont légué de riches archives (comptes, contrats, chroniques). Depuis le XVIe siècle, les bâtiments royaux sont, eux aussi bien documentés (marchés…) et il en ira de même pour les constructions des administrations révolutionnaire, impériale ou républicaine.

Le problème de l’approvisionnement en pierres pour la restauration
La formidable richesse du patrimoine bâti en pierre témoigne de la diversité des ressources géologiques du territoire. Pour des raisons de techniques et de coût de transport, depuis l’Antiquité, les pierres des monuments ont généralement été extraites localement dans des carrières de toutes tailles, dont certaines n’ont parfois servi qu’à alimenter tel ou tel chantier. La connaissance détaillée de la qualité des pierres a néanmoins pu amener les maîtres d’œuvres anciens et médiévaux à faire des choix qui impliquaient des transports parfois importants.
Si ces particularités géologiques font vivre la singularité et l’originalité de chaque monument, elles posent de sérieux problèmes aux restaurateurs. En effet, si les carrières d’origine sont souvent connues, elles peuvent ne plus  être en activité aujourd’hui et ont, pour nombre d’entre elles, disparu. En l’absence du matériau d’origine, le choix de la pierre de substitution est donc souvent le résultat d’un arbitrage délicat.

1 Eugène Viollet-le-Duc et Prosper Mérimée. « Instructions pour la conservation, l’entretien et la restauration des édifices diocésains, et particulièrement des cathédrales », 1849.