Ciment prompt naturel : Entretien avec Denis Sommain, du Centre Technique Louis Vicat

denis_sommainSi nous commencions par l’histoire du ciment prompt naturel ?
D’accord… Parler de son histoire c’est presque tout dire de lui, dans la mesure où depuis 150 ans ce ciment, sa matière première et sa fabrication sont les mêmes.

Tout commence avec Louis Vicat, qui après sa découverte du principe de l’hydraulicité en 1817, expertisa en France plus de 900 gisements de calcaire marneux. Celui de la Porte de France à Grenoble en fait partie et son exploitation commença en 1842. Ce gisement est toujours exploité à ce jour.
Son fils Joseph qui fonda l’entreprise  aujourd’hui devenue le groupe Vicat, découvrit un banc de « pierre à Prompt » à La Pérelle dans le massif de la Chartreuse et construisit une usine en 1875.

Celle-ci est toujours en activité. Le Ciment Prompt Naturel appelé ciment romain au nord de la Loire et dans les pays anglo-saxons est donc l’un de ces nombreux ciments naturels qu’on fabrique en France au 19e siècle : à Vassy, à Pouilly, à Boulogne sur Mer ou à La Valentine à Marseille, près de chez vous, dans les Bouches du Rhône.

Qu’est-ce qui fait son succès ?
Son succès tient d’abord à ce qui fait le succès de tous les ciments naturels de l’époque : il répond aux besoins du moment tout en étant relativement facile à fabriquer. Il s’agit de la simple cuisson à température modérée d’une pierre constituée de marne ou calcaire argileux dont la proportion d’argile varie d’environ 22% à 35%. Les gisements sont donc variés. Cette pierre cuite à basse température présente la propriété de se broyer facilement. Compte tenu des performances des broyeurs et du prix de l’énergie de l’époque, cela présentait un avantage décisif sur le mélange artificiel de calcaire et d’argile qui, cuit à plus haute température, était plus difficile à broyer.
En fait, le process est le même que pour les chaux hydrauliques dans les traditionnels fours verticaux.
Dernier avantage, du fait de la quasi absence de chaux vive, le ciment naturel ne subit pas d’extinction contrairement à la chaux d’où son appellation de ciment.

Quels sont les usages de ce ciment au 19e siècle ?
Ses propriétés hydrauliques permettent la construction de grands ouvrages maritimes ou fluviaux (ports, canaux, écluses). Sa bonne résistance aux eaux agressives et aux eaux pures (meilleure que celle des Portland d’alors) le désigne pour entrer dans la préfabrication des tuyaux d’égouts et d’adduction d’eau dont tous les pays d’Europe s’équipent alors. Enfin il est également très utilisé pour la décoration architecturale. Véritable pierre factice, il imite parfaitement la pierre à moindre coût et est appliqué en façade en éléments décoratifs faits sur place, ou en éléments moulés préfabriqués. Il est également utilisé comme véritable matériau architectonique sur support en brique. Cet usage s’est développé dans l’Europe entière dans le cadre du néo-gothique, du néo-baroque et même de l’Art nouveau.

Quels sont aujourd’hui les usages du ciment prompt naturel ?
En fonction du dosage en liant et du rapport eau/ciment, les mortiers obtenus entrent dans une palette très diversifiée d’applications:

Un rapport Eau/Ciment < 0,50 définit une zone de haute résistance initiale qui rend le mortier apte aux applications de scellement, de maçonnerie rapide et d’imperméabilisation.
Un rapport E/C>0,50 définit une zone à basse résistance, où les mortiers présentent des performances mécaniques et des dosages du même ordre de grandeur que ceux des mortiers de chaux hydraulique naturelle. Compte tenu de ces caractéristiques le ciment prompt naturel est donc aujourd’hui présent dans 4 grands secteurs :
– le secteur du scellement, du calage et de la maçonnerie rapide,
– le secteur de l’eau et de l’assainissement où les dosages élevés pour la prise et le durcissement rapide permettent les obturations et imperméabilisations,
– le secteur de l’éco-construction où sont mises à profit d’une part sa fabrication à basse température (économie d’énergie), d’autre part, ses qualités de perméabilité à la vapeur d’eau le recommandent pour la composition du béton de chanvre.
– Enfin, conséquence de son histoire, il est utilisé seul ou en mélange avec la chaux dans le secteur de la restauration patrimoniale partout où le ciment naturel, sous de nombreux autres noms, a été utilisé au 19e siècle : les façades anciennes dont le support est souvent en brique, exigent des mortiers de parement dont la perméabilité permet à l’humidité d’être évacuée vers l’extérieur.

La norme NF P 15-314 de février 93 est consacrée au Ciment prompt naturel… S’agit-il d’une norme sur mesure pour vous qui le produisez ?
La norme NF P 15-314 définit un « ciment à prise et durcissement rapides, qui résulte de la cuisson à température modérée, d’un calcaire argileux de composition régulière, extrait de bancs homogènes, suivie d’un broyage très fin ». Elle définit donc un produit et il se trouve que, pour des raisons historiques et commerciales, nous sommes les seuls à le produire. Pour rester en accord avec cette norme, nous nous soumettons d’ailleurs à la contrainte majeure d’exploiter le banc particulier qui assure la qualité et la spécificité de notre ciment. Il s’agit d’un banc de 5 m d’épaisseur que nous devons exploiter en souterrain.
Le ciment prompt naturel n’entre pas dans la catégorie des ciments courants, mais sa qualité étant reconnue et éprouvée de longue date, le CEN a choisi, du fait de son usage en scellement dans les structures, de le spécifier par une norme particulière… Compte tenu du caractère par définition locale de la production, une norme européenne ne pouvait couvrir ce ciment, mais il bénéficie depuis 2007 d’un agrément technique européen qui lui permet de porter le marquage CE.