Comment léguer ce dont nous héritons ?
Patrimoine bâti et développement durable ont en commun la notion de « patrimoine » qu’il s’agit de transmettre dans le cadre d’une solidarité intergénérationnelle. C’est cette transmission qui articule le présent de la société à la fois sur son passé et son avenir.
Le mot anglais heritage signifie peut être mieux que le mot patrimoine français que le bien en question, s’il est un leg du passé, il est aussi une provision pour l’avenir. C’est en ce sens que John Ruskin, en 1849, dans les Sept lampes de l’architecture, pour définir la conservation des monuments contre la « restauration – recréation » prônée par Viollet Leduc écrit :
« La conservation des monuments du passé n’est pas une simple question de convenance ou de sentiment. Nous n’avons pas le droit d’y toucher. Ils ne nous appartiennent pas. Ils appartiennent en partie à ceux qui les ont construits, en partie à toutes les générations d’hommes qui viendront après nous »
Du matériau et… de l’immatériel
Mais la question se pose de savoir ce que l’on transmet lorsque l’on transmet un patrimoine bâti.
Cette question a occupé les historiens de l’art et les théoriciens de la conservation depuis la fin du 19e siècle ; elle les occupe encore. Ce détour un peu théorique n’est nullement superflu si l’on admet que l’approche culturelle des bâtiments à conserver est réellement nécessaire : c’est en fonction de cette approche qu’on définira le champ dans lequel se poseront les questions techniques, et ce sont les valeurs qui sous-tendent les réponses qui jugeront de la pertinence des solutions pratiques à mettre en oeuvre.
On admet généralement, aujourd’hui, que transmettre un patrimoine bâti, c’est transmettre un édifice matériel qui est porteur d’une valeur esthétique et d’une signification historique. Pour le transmettre, il convient, bien sûr de le conserver et de le restaurer, si nécessaire. Compte tenu de la double dimension matérielle et intellectuelle des œuvres d’art, toute restauration est donc une opération complexe… qui explique son histoire théorique mouvementée.
Caesare Brandi écrit, dans sa Théorie de la restauration, en 1963 « La restauration est ce moment méthodologique de reconnaissance de l’oeuvre d’art dans sa matérialité physique et dans sa polarité esthétique et historique, en vue de sa transmission au futur…On ne restaure que la matérialité de l’œuvre d’art, mais la restauration devrait viser le rétablissement de l’unité de l’œuvre, si possible sans commettre de faute artistique ou historique et sans masquer aucune trace du passage de l’œuvre dans le temps ».
Où il est question de science et de technique…
La conservation et restaurations patrimoniales peuvent être puissamment aidées, aujourd’hui, par le laboratoire scientifique.
En effet, les technologies modernes et l’approche scientifique permettent aujourd’hui une connaissance précise du comportement des édifices et des matériaux ; elles autorisent des diagnostics de leurs pathologies et de leurs évolutions ; elles contribuent au développement de méthodes et de produits qui permettent la protection et la consolidation raisonnées des matériaux et des structures.
Ceci, lié à une documentation sérieuse de l’édifice, autorise une restauration a minima et durable du patrimoine bâti qui peut ainsi être transmis dans un état matériel qui ne dénature pas (trop) son esprit.
L’exemple de la conservation préventive de la pierre ou le progrès au secours du passé
La pratique de la conservation préventive est relativement récente. Jusqu’à une époque récente, les pierres ou les sculptures endommagées étaient réparées ou consolidées par des moyens assez intrusifs. On fixait des gougeons de fer, on mettait des agrafes qui les défiguraient et qui pouvaient conduire à des endommagements plus sérieux encore du fait de la corrosion par exemple.
On remplissait des vides par du plâtre, du ciment Portland, des résines variées, autant de produits qui n’étaient pas toujours adaptés à la conservation de leur support. Les nettoyages pouvaient être agressifs. Ils pouvaient éroder le calcin, porter atteinte à la couleur d’origine, ils pouvaient même produire ou mobiliser des sels solubles qui finissaient par cristalliser…
Les substitutions de pierre ou de mortier, enfin, pouvaient s’effectuer sans souci de la compatibilité avec le matériau d’origine, ce qui non seulement pouvait nuire à l’apparence de l’édifice ou de l’objet considéré, mais encore provoquer d’importants désordres à moyen terme.
Voir nos précédents articles sur ce sujet :
– Problèmes et méthodes de la substitution de la pierre sur les chantiers de restauration.
http://www.lerm.fr/lerm/Newsletter/Newsletter15/lerm_Newsletter15_substitution.html
– La substitution aveugle germe de désordres pour l’avenir : l’exemple de la substitution au 19e siècle.
http://www.lerm.fr/lerm/Newsletter/Newsletter15/lerm_Newsletter15_aveugle.html
Au progrès de la connaissance intime de la pierre, est aujourd’hui aussi associée la prise en compte de son environnement (pour les pierres : la pollution atmosphérique, l’humidité et les transports d’eau, l’importance des sels solubles, les conditions climatiques : cycles de gel-dégel, érosion éolienne).
Cette vue d’ensemble de la problématique du matériau, permet de travailler à une conservation durable du patrimoine, qui, si elle répond à la question comment lègue-t-on le patrimoine, laisse ouverte cette autre question, pourquoi le lègue-t-on ?