Entretien avec Jean-Pierre Commène, Directeur des laboratoires du LERM
LERM
Peux tu nous présenter le travail de contrôle du ciment par un laboratoire tel que le LERM ?
Jean-Pierre Commène
Il serait plus juste, pour commencer, de parler des ciments plutôt que du ciment… Et avant de répondre à cette question il faut s’entendre sur ce que l’on entend par ciments, dans la perspective de leurs emplois. Les normes sont là pour cela. Et, dans ce domaine, la pratique de contrôle et de caractérisation du laboratoire est encadrée et guidée par un appareil normatif cohérent.
C’est la norme NF EN 197-1 qui définit les spécifications de 27 ciments courants aptes à l’emploi et de leurs constituants. Pour chaque ciment présenté, la norme précise les proportions dans lesquelles les constituants doivent être associés pour produire ces ciments qui sont ventilés dans 6 classes de résistance.
Les constituants du ciment présentent, associées ou non, les propriétés suivantes :
des propriétés hydrauliques : ils forment avec l’eau des composés hydratés stables et peu solubles dans l’eau. C’est le cas du clinker, constituant de base des ciments courants, | |
des propriétés pouzzolaniques : en combinaison avec la chaux, et en présence d’eau, ils forment des composés hydratés stables. C’est le mécanisme intervenant dans le cas des cendres volantes, la fumée de silice et les pouzzolanes. | |
des propriétés physiques qui améliorent certaines qualités du ciment |
LERM
Peux-tu préciser cette appellation de constituant du ciment ?
Jean-Pierre Commène
Les constituants du ciment sont définis par la norme NF EN 197-1 comme pouvant être principaux ou secondaires.
Un constituant principal représente une proportion supérieure à 5% en masse de la somme de tous les constituants principaux et secondaires. Un constituant secondaire représente, lui, une proportion inférieure ou égale à 5% en masse de la somme de tous les constituants principaux et secondaires.
Cette notion de constituant est importante car les 27 ciments recensés sont regroupés en 5 types en fonction de leur composition (de CEM I à CEM V, voir le tableau du dernier article de cette Lettre d’information Contribution des ciments à la durabilité des bétons), c’est-à-dire du pourcentage en masse de leurs constituants principaux et secondaires. On ne tient alors pas compte du régulateur de prise ajouté sous forme de sulfate de calcium.
Précisons que les constituants secondaires sont des matériaux minéraux naturels ou des matériaux minéraux dérivés du processus de fabrication du clinker ou des constituants décrits qui ne sont pas déjà intégrés parmi les constituants principaux du ciment. Ils ne peuvent excéder 5% de la masse du ciment.
Les constituants secondaires améliorent les qualités physiques des ciments (ouvrabilité, rétention d’eau…). Ils peuvent être inertes ou présenter des propriétés faiblement hydrauliques ou pouzzolaniques. Ces propriétés ne font l’objet d’aucune exigence.
LERM
Cette définition normative étant faite, peux-tu nous parler des contrôles mécaniques des ciments ?
Jean-Pierre Commène
Commençons par la résistance à la compression des ciments courants…
La norme NF EN 197-1 répartit les ciments en trois classes de résistance (32,5 – 42,5 – 52,5) qui sont définies par la valeur minimale de la résistance normale, exprimée en MPa du ciment à 28 jours.
Cette résistance normale d’un ciment est la résistance à la compression mesurée à 28 jours sur éprouvettes de mortier normal (selon la norme NF EN 196-1). Elle est exprimée en MégaPascal (1MPa = 1N/mm2).
LERM
Et concernant les contrôles physiques et chimiques des ciments ?
Jean-Pierre Commène
Ces contrôles concernent la détermination du temps de début de prise et de la stabilité. C’est la norme NF EN 196-3 qui décrit les procédures de contrôle de ces paramètres physiques du ciment : le temps de prise est déterminé par la mesure de la pénétration d’une aiguille (appareil de Vicat) dans une pâte de ciment de consistance normalisée, jusqu’au moment où elle atteint une valeur spécifiée. Seul le temps de début de prise doit satisfaire à des exigences fixées par la norme EN 197-1.
La stabilité, elle, est déterminée par l’observation de l’expansion volumique d’une pâte de ciment de consistance normalisée, mise en évidence par l’écartement de deux aiguilles disposées sur un moule fendu (appareil Le Chatelier).
Les exigences chimiques relatives aux ciments courants concernent la perte au feu, le résidu insoluble, la teneur en sulfate, trois paramètres qui sont contrôlés par les essais de la norme NF EN 196-2, la teneur en chlorure (NF EN 196-21) et la pouzzolanicité (NF EN 196-5).
Je me permets de préciser que la conformité des 27 ciments à la norme NF EN 197-1 doit être évaluée en continu sur la base d’essais effectués sur des échantillons ponctuels. Propriétés, méthodes d’essai et fréquences minimales d’essais applicables pour les essais d’autocontrôle du fabricant sont mentionnées dans cette norme.
LERM
Peux-tu nous parler du contrôle des ciments non couverts par la norme NF EN 197-1 ?
Jean-Pierre Commène
La norme NF EN 197-4 définit plus spécifiquement les exigences fixées pour les ciments de haut fourneau à faible résistance à court terme. Aux méthodes d’essais décrites plus haut, viennent ainsi s’ajouter la mesure de chaleur d’hydratation, effectuée selon les normes NF EN 196-8 (méthode par dissolution) ou NF EN 196-9 (Méthode semi-adiabatique).
Enfin, certains ciments déjà conformes à la norme NF EN 197-1 peuvent accéder à une notification de qualité d’usage en relation avec la nature et la proportion de leur constituants. Les exigences initiales de la norme NF EN 197-1 sont alors révisées ou complétées par des exigences chimiques, physiques et minéralogiques supplémentaires. Ces notifications sont définies par les normes NF P 15-317, NF P 15-318 et NF P 15-319 qui les rendent respectivement aptes, aux travaux à la mer ou en environnement moyennement agressif vis à vis des sulfates (PM), en utilisation pour béton précontraint (CP) et aux travaux en eaux à haute teneur en sulfates (ES).
L’aptitude générale à l’emploi est également établie pour le ciment prompt naturel conforme à la norme NF P 15-314 et pour le ciment alumineux fondu conforme à la norme NF P 15-315.
LERM
Avons-nous fait le tour des contrôles possibles des ciments en laboratoire ?
Jean-Pierre Commène
Non !… car les producteurs et les utilisateurs de ciments disposent d’essais complémentaires, dont les méthodes sont normalisées ou non, d’ailleurs, méthodes qui leur permettent une caractérisation encore plus complète des produits, sans que les niveaux d’exigences ne soient obligatoirement indiqués dans la norme NF EN 197-1, puisqu’il s’agit là du savoir-faire du producteur.
Ainsi, l’analyse chimique complète des matières premières de cimenterie, des crus de fabrication et du clinker Portland, produit de cuisson à la base des ciments courants, reste un préalable essentiel à une production adaptée de ces produits en vue de leur normalisation. Par l’intermédiaire du calcul minéralogique de Bogue on peut alors revenir à la composition potentielle des clinkers et des ciments Portland (CEM I).
Cette composition minéralogique peut être vérifiée par analyse diffractométrique aux rayons X, qui permet, par ailleurs, de vérifier et quantifier l’état de vitrification des laitiers de haut fourneau. L’examen au microscope optique des clinkers, des ciments et de leurs constituants permet d’accéder à des informations sur l’aspect des minéraux présents, leur distribution, leur association et leur porosité et de renseigner ainsi sur la qualité des matériaux de production.
LERM
Il n’a pas été jusqu’ici question du contrôle de la finesse…
Jean-Pierre Commène
Tu as raison d’aborder ce paramètre qui est essentiel pour la qualité d’un ciment. En ce qui concerne les mesures physiques, la connaissance de la finesse des ciments revêt un rôle majeur lors des opérations de broyage. Les laboratoires disposent, dans cette perspective, des appareils de mesure de type Blaine (NF EN 196-6) qui, couplés à la mesure de masse volumique absolue des poudres (voluménomètre de Le Châtelier), permettent d’évaluer ce paramètre. D’autres mesures de finesse par tamisage à la main ou sous dépression d’air (méthode Alpine : X 11-640) existent, sans oublier la mesure de granulométrie laser, que nous pratiquons au LERM. Elle a l’avantage de présenter la distribution des particules selon leur taille.
N’oublions pas, enfin, le retrait en ambiance dessicative et le gonflement en eau. Ils sont mesurés sur éprouvettes prismatiques de mortier normal équipées de plots à chacune de leurs extrémités. Ces essais sont régis par la norme NF P 15-436. Cette méthode de mesure est également à l’origine de nombreux essais de gonflements réalisés au laboratoire en milieux agressifs (eau sulfatique, eau de mer, solutions acides…) sur pâte de ciment ou sur mortier.
LERM
Dans un laboratoire comme le LERM, la norme règne donc en maître quant au contrôle des ciments ?
Jean-Pierre Commène
Tu as pu le constater, on n’y échappe pas !… Et nos accréditation COFRAC sur les essais sont là pour le rappeler.
Défini par la norme NF EN 206-1, le béton est un matériau formé par mélange de ciment, de sable, de gravillons et d’eau, et éventuellement d’adjuvants et d’additions, et dont les propriétés se développent par hydratation du ciment.
Cette norme précise encore que seuls les constituants dont l’aptitude à l’emploi pour l’usage prescrit est établie doivent être utilisés dans les bétons qui lui sont conformes.
Le contrôle, par le laboratoire, des constituants du béton, dont le ciment qui nous occupe aujourd’hui, est donc encadré par un dispositif normatif cohérent.
Dans un objectif de durabilité, ce contrôle s’effectue dans le cadre de la recherche de la meilleure adéquation possible du béton aux fonctions et aux conditions environnementales qui seront les siennes.
L’avant-propos de la norme NF EN 206-1 ( je m’y tiens ! ), précise que cette norme ne peut être utilisée qu’en association avec les normes produits relatives aux constituants, dont un fois encore le ciment… C’est ce que je viens d’essayer de montrer en répondant à tes questions.