La pierre : 25 ans d’évolution du paysage…

Entretien avec David Dessandier Animateur du Pôle Géomatériaux » à la Direction des Géoressources du BRGM.

dessandierPouvez-vous nous dresser un paysage de la ressource minérale issue des carrières ?
Il y a aujourd’hui, en France, environ 4700 carrières dont 90% produisent des granulats. On compte plus de 350 carrières qui produisent des roches ornementales ou des pierres de construction.
La consommation de granulats est stable : si la consommation moyenne par habitant présente une tendance à la baisse, elle est contre balancée par la croissance de la population. Toujours pour ce qui concerne les granulats, on constate une concentration de l’industrie sur les gros gisements.
L’industrie extractive est toujours aux prises avec des problèmes d’acceptabilité sociale et d’enjeux environnementaux, mais, compte tenu des besoins en matériaux, la position des pouvoirs publics intègre de plus en plus une approche socio-économique et prospective des besoins. Compte tenu de la part du transport dans leur coût global, les granulats doivent être envisagés comme des matériaux de proximité, ce qui implique que leur problématique doit faire l’objet d’une véritable politique d’aménagement du territoire. loin d’être dans la position des granulats, souffre de la concurrence de pierres qui peuvent venir de très loin, d’endroits où le coût environnemental n’est pas pris en compte et où la main d’œuvre est moins chère.. Aujourd’hui heureusement, le travail du Centre Technique des Matériaux Naturels de Construction (CTMNC) fournit à la filière pierre française  des arguments techniques qui permettent de rééquilibrer le débat.

« Compte tenu de la part du transport dans leur coût global, les granulats doivent être envisagés comme des matériaux de proximité, ce qui implique que leur problématique doit faire l’objet d’une véritable politique d’aménagement du territoire. »

 

Nous traiterons ailleurs de la normalisation des granulats… L’évolution normative a-t-elle accompagnée l’industrie de la pierre tout au long de ces années ?
Oui, c’était inévitable… et souhaitable ! La directive européenne sur les produits de construction a généré une série de normes européennes harmonisées qui ont été transposées dans la normalisation française pour permettre la mise sur le marché européen des produits hexagonaux.
L’ensemble des domaines d’emploi de la pierre naturelle sont maintenant bien encadrés : maçonnerie, dallage, voirie, parements…
L’appareil normatif comprend aujourd’hui environ 35 méthodes d’essais et la norme B 10-601 de 2006, est centrale pour ce qui nous intéresse, puisqu’elle traite des prescriptions générales d’emploi des pierres naturelles et de leurs aptitudes à leur emploi de destination. Cette norme est d’ailleurs actuellement en cours de « toilettage », rendu nécessaire suite aux révisions de certaines normes d’essais auxquelles elle fait référence
Le CTMNC, en se faisant l’écho des exigences normatives auprès de l’ensemble des acteurs de la filière, permet d’apprivoiser ces normes et contribue également à les faire évoluer.
Ce qui est aujourd’hui étonnant pour le géologue, c’est le hiatus qui existe encore assez souvent  entre le nombre de normes applicable aux produits en pierres et le relatif manque  de données disponible sur les carrières, leurs différents bancs, et leur suivi dans le temps.
La  norme B 10-601 prescrit l’usage des pierres en fonction de leur destination… un peu comme,pierres-pavees-lerm pour l’approche performantielle concernant les bétons, une caractérisation minéralogique fine permet sans doute une adéquation précise de la pierre à son usage ? Cette question est d’ailleurs peut-être  plus particulièrement pertinente concernant  la pierre de substitution en monuments historiques…
Oui, le respect de la norme ne dispense pas, dans certains cas, de conduire des investigations plus poussées mais la caractérisation de la pierre ne doit pas seulement être minéralogique, elle doit avant tout être  hydro-mécanique.
Pour ce qui concerne la deuxième partie de votre question, la problématique de la compatibilité physique des pierres de substitution avec les pierres en œuvre dans lesquelles elles viennent s’insérer existe bien et est importante pour la réussite de l’opération, mais elle est vraiment spécifique aux monuments historiques.

 

« L’appareil normatif comprend aujourd’hui environ 35 méthodes d’essais et la norme B 10-601 de 2006, est centrale pour ce qui nous intéresse, puisqu’elle traite des prescriptions générales d’emploi des pierres naturelles et de leurs aptitudes à leur emploi de destination. »

 

La pierre est, par définition un matériau ancestral, qu’est ce qui cependant,  ces dernières années a pu évoluer la concernant.
Bien sûr, la pierre est et reste la pierre… ce qui change, c’est le contexte économique et environnemental dans lequel son usage s’inscrit. Ces dernières années, l’environnement s’est révélé comme un enjeu sociétal et économique majeur qui a amené sur la place publique les exigences d’un développement durable. Dans cette perspective l’analyse du cycle de vie des matériaux, qui permet de mesurer leur empreinte environnementale, ne pouvait pas ne pas concerner la pierre. Cette démarche, en permettant de comparer la pierre à d’autres matériaux offre aux prescripteurs la possibilité d’un choix argumenté.

La conduite d’une ACV demeure toutefois assez lourde et il faut vraiment espérer pour la filière pierre que les effets escomptés seront au rendez-vous. Une telle démarche, dans tous les cas, témoigne du volontarisme de ceux qui l’entreprennent et reste incontournable.
A ce jour 4 fiches de déclaration environnementales et sanitaires (FDES) sont disponibles sur le site de l’INIES :
– pour les  maçonnerie de mur double, elles concernent le grès des Vosges,
– pour la pierre mince attachée, la pierre calcaire ferme de Bourgogne,
– pour le revêtement de voirie en pavés, le granite de Bretagne
– et pour la maçonnerie de mur massif, la pierre tendre du Bassin Parisien.

Ce qui émerge, également, c’est une vision d’ensemble et une connaissance de la ressource minérale et la possibilitéacv-pierres-carriere de la diffusion de cette connaissance grâce à des bases de données consultables via des portails internet. Ce sont donc aujourd’hui toutes les carrières autorisées d’un point de vue administratif ainsi que les carrières abandonnées (près de 100 000 à ce jour) qui sont recensées dans la base nationale « Carrières et Matériaux » gérées par le BRGM et le MEDDE (http://materiaux.brgm.fr/Default.aspx) qu’elles concernent les granulats, les roches ornementales et de construction ou les minéraux industriels.

 

« Ce qui émerge, également, c’est une vision d’ensemble et une connaissance de la ressource minérale et la possibilité de la diffusion de cette connaissance grâce à des bases de données consultables via des portails internet. »

 

Pour ce qui concerne la pierre de construction et les roches ornementales, la base de données du CTMNC, le Lithoscope (http://www.ctmnc.fr/pages/cat_6.php), vient compléter cet état des connaissances, en fournissant un inventaire de  pierres françaises exploitées et commercialisées, et une fiche descriptive accompagnée d’illustrations photographiques pour chacune d’entre-elles.

Enfin, la base MONUMAT (http://monumat.brgm.fr/), crée en 1996  et gérée par le BRGM et le Ministère de la Culture, fournit de nombreuses informations sur les pierres mises en œuvre dans les monuments historiques français et sur leurs carrières d’origine. Ces dernières années, des initiatives régionales (en Languedoc-Roussillon puis PACA) ont aussi vu le jour aboutissant à des systèmes d’informations territoriaux tel que PierreSud (http://pierresud.brgm.fr), préfigurant des évolutions futures de la base MONUMAT.
Quelles seraient vos conclusions principales concernant la pierre au regard des évolutions récentes ?
Si l’on examine les derniers chiffres de l’UNICEM, on constate que, depuis 2007, le marché de la pierre de construction est en repli de 18% et les effectifs en recul de 20%. Depuis la même date, le volume des exportations de pierre a perdu 365 M d’euros, ce qui représente 50% de notre déficit d’échange de matériaux.

Mes conclusions seraient que la mondialisation impose à la filière pierre comme à d’autres, une forte concurrence face à laquelle elle est en train de s’organiser, avec, pour preuve, les initiatives de ces dernières années portant sur l’évaluation environnementale des produits en pierre ou plus récemment la démarche entreprise d’Indication Géographique Protégée. Dans le même temps, chaque citoyen doit prendre conscience de la nécessité de maintenir ouvertes les carrières existantes et d’en ouvrir de nouvelles – dans le respect de l’environnement – afin de répondre aux besoins en matériaux de construction, et parallèlement de contribuer à maintenir une activité économique indispensable au développement des territoires.

 

« …la mondialisation impose à la filière pierre comme à d’autres, une forte concurrence face à laquelle elle est en train de s’organiser, avec, pour preuve, les initiatives de ces dernières années portant sur l’évaluation environnementale des produits en pierre ou plus récemment la démarche entreprise d’Indication Géographique Protégée. »

 

Propos recueillis par Philippe Souchu, documentaliste au Centre de documentation du Lerm. Juin 2013