Portrait de Claude N’Gwé Moweni, chimiste au Lerm

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Bonjour Claude… tu es chimiste, peux-tu nous décrire ton activité au sein du Lerm ?

Les choses ont évolué au fil du temps…  Je suis entré au Lerm, à Bagnolet, en 1995. J’y faisais un stage de maîtrise au département de chimie, sous la direction de Bernard Thuret. J’enchaîne ensuite par un CDD de quelques mois dans le département essais physiques, dirigé par Jean-Pierre Commène. A l’issue  de ce contrat Bernard Thuret, qui souhaitait renforcer son équipe de chimistes qui n’était composée que de trois personnes, m’ offre de m’embaucher à la condition que je suive le laboratoire qui préparait , à cette époque, sa venue sur Arles. Qu’est-ce que je fais à ton avis ?…  J’accepte, bien sûr ! Non seulement pour l’intérêt du travail, mais aussi parce que tout ce qui peut me rapprocher du soleil me fait du bien…

Comment évolue ta fonction au sein du laboratoire ?

La base de notre métier de chimistes, c’est la conduite d’essais de contrôles de matériaux ainsi que l’analyse de liants. Progressivement mon activité s’est diversifiée : je gère l’appareil normatif nécessaire au fonctionnement du labo de chimie. Je valide les essais des techniciens de laboratoire, c’est- à-dire que je contrôle à la fois les résultats obtenus et les procédures mises en oeuvre. Je participe également aux projets de recherches internes quand il s’agit de mettre au point de nouvelles méthodes et de nouveaux essais. Enfin, la dimension de diffusion des connaissances est importante pour moi, qu’il s’agisse de la formation interne au Lerm ou de la formation dispensée auprès de nos clients.

Tu me racontes un peu ta formation ?

Au départ, dès mon enfance, je souhaitais être médecin. Je suis né et j’ai grandi au Congo. Tout jeune, là-bas, tu es confronté à la mort et aux maladies dont les causes sont multiples… Bref, je souhaitais faire quelque chose d’utile pour les autres et pour mon pays. Je voulais donc m’orienter vers la santé publique. C’est ainsi qu’avec mon bac « D » en poche, je pars pour la France dans l’intention d’y faire médecine. Mon père m’aide dans ma démarche en vendant la maison familiale pour me payer le voyage : je fais, comme on dit, les études de mes frères et sœurs… qu’en retour je soutiens financièrement.

Et tu arrives à Paris ?

Oui chez des oncles qui y sont déjà installés… En fait, ils me dissuadent rapidement de faire médecine : ce sont des études trop longues au regard des moyens financiers dont je dispose, car je ne suis pas boursier. Je vais donc d’abord travailler pendant 4 ans pour économiser de quoi me payer mes études.

Que fais-tu alors comme travail ?

Je suis d’abord manœuvre dans une entreprise de construction métallique, puis je serai agent de service hospitalier (la médecine, toujours, mais tout en bas de l’échelle !…), activité que je ne quitterai qu’en entrant au Lerm.

Quelles sont tes impressions en arrivant à Paris ?

Ah, imagine, c’est le choc ! Tout est complètement différent, mais surtout, ça manque de chaleur, ça manque de soleil… Je débarque, en plein février, d’un pays où on ne connaît qu’une saison, l’été. Je découvre alors l’hiver et me demande comment les êtres humains peuvent vivre ainsi dans des chambres froides.

Pour dire la vérité, cela manque aussi de chaleur humaine… Je me sens isolé pendant plusieurs mois… Non pas, vois-tu, que les gens soient racistes, tout simplement, ils sont individualistes et vivent eux-mêmes isolés les uns des autres, à distance. Je me demande, à ce moment comment les Français vivent vraiment la devise de fraternité de leur république. Je comprends progressivement, en gagnant la confiance des gens qui m’entourent que le mot communauté n’a pas partout la même intensité. Je suis aidé, dans cette période par les rencontres que je fais lors de la formation en théologie que j’entreprends.

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Comment viens-tu à la chimie ?

Toujours intéressé par les sciences du vivant, même si je ne peux faire médecine, je m’inscris en bio-chimie à Jussieu…  et je dois passer un examen d’admission car on était étonné, à Paris 7, de me voir arriver 4 ans après mon bac avec, pour bagage, un parcours pas très académique !  Comme la bio-chimie m’oriente plutôt vers la recherche fondamentale à long terme, je me dirige ensuite vers une application plus professionnelle et obtient une maîtrise de chimie physique /instrumentation minérale. Mes études se passent bien et ceci montre la qualité de ma formation initiale au Congo.

Et c’est là que tu croises le Lerm…

Exactement… Ce qui me motivait en venant en stage au Lerm, c’était l’instrumentation disponible : ICP, absorption atomique, diffraction des rayons X… En prime, je découvre réellement la chimie minérale et le monde complexe des liants hydrauliques et du ciment, chimie un peu particulière que nous ne sommes pas si nombreux à pratiquer… C’est d’ailleurs en travaillant sur les liants que je découvre au Lerm une équipe particulièrement liée. Le Lerm, c’est alors une sorte de famille. En fait, de 1995 à 1999, j’y passe ma vie. Cela tombe bien : il y alors beaucoup de travail de démarrage et de structuration du laboratoire.

Cette chimie dont tu parles ici, Claude est au fond une méthode traditionnelle de chimie dite de paillasse, ou de référence, peu courante dans les laboratoires d’aujourd’hui, usagers d’appareils « boites noires » de chimie analytique…

As-tu gardé des liens avec le Congo ?

Je n’y suis pas retourné depuis 14 ans…  C’est un pays instable et difficile à vivre. Bien-sûr, j’ai gardé des liens avec ma famille, liens facilités heureusement par internet. Et puis certains de mes frères se sont installés en France ou en Belgique.

Tu m’as parlé de tes études de théologie…  Comment cela se concilie-t-il avec ton activité scientifique ?

La science ne peut expliquer la foi, foi que j’ai connue dès mon plus jeune âge. Ces deux aspects de ma vie intellectuelle et spirituelle ne s’opposent pas ; ils me semblent même se compléter.