L’expérience du LERM en termes d’approche performantielle de la durabilité du béton

 

 

Nous avons, jusqu’ici, dans cette Lettre d’information, exploré les grands témoins de la durabilité que peuvent être le mortier romain et les bétons historiques. Nous nous intéressons maintenant à la durabilité de ce que nous construisons pour l’avenir. Dans cet entretien, Gilles Martinet, Directeur général du LERM, synthétise très rapidement l’expérience du laboratoire en termes d’approche performantielle de la durabilité du béton.

Lire aussi en fin d’article : La durabilité au LERM, une compétence historique et transversale qui structure le laboratoire

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Sur le pont Vasco de Gama

Lerm
Comment définirais-tu l’approche performantielle de la durabilité des bétons ?

Gilles Martinet
La durabilité du béton est soumise à la prescription normative. Cette prescription considère principalement la formulation du béton et certaines propriétés mécaniques comme, par exemple, la résistance caractéristique à la compression. Le respect de la prescription normative et de l’obligation de moyens suffit, dans la plupart des cas, à la durabilité d’ouvrages classiques non soumis à des sollicitations particulières.

L’approche performantielle privilégie des caractéristiques du matériau, qui servent d’indicateurs de prévision de son évolution quand il est soumis aux conditions environnementales dans lesquelles il est destiné à être mis en œuvre et à servir. C’est cette approche qui est suivie quand les ouvrages considérés sont exceptionnels, soit par leur taille, soit par les contraintes auxquelles ils sont soumis, soit par la durée minimale de vie et de service qui leur est assignée.
Au LERM, notre expérience dans ce domaine s’est construite, entre autres, lors du contrôle des grands ouvrages de génie civil que sont les ponts Vasco de Gama, sur le Tage, au Portugal et Rion-Antirion dans le Péloponèse.

Lerm
Indépendamment de telle ou telle réalisation, peux-tu nous préciser les étapes d’une telle démarche ?

Gilles Martinet
Cette démarche justement n’est pas indépendante de l’ouvrage auquel elle s’attache : son premier acte est d’analyser les exigences du maître d’ouvrage, en termes de durée de service notamment, et les contraintes environnementales précises auxquelles sera soumis l’ouvrage sur cette période de temps. Cette analyse permet d’identifier les risques encourus par l’ouvrage et donc de focaliser la démarche sur le développement de résistances spécifiques.
Les ouvrages sur lesquels nous avons travaillé étaient des ponts situés dans un environnement marin, dont certains éléments étaient, de plus, en zone de marnage. Le problème numéro un y était donc la prévention de la corrosion des armatures.

Ce diagnostic anticipé établi, au-delà des caractéristiques de base du matériau (spécifiées notamment dans les documents normatifs), il convient d’identifier les indicateurs de durabilité pertinents. Ces indicateurs sont autant de paramètres qui permettent l’évaluation et la prévision de la durabilité du béton armé au regard de la dégradation prévue, en l’occurrence la corrosion de ses armatures.

Les indicateurs retenus au regard de la corrosion regardent principalement les propriétés de transferts du béton : perméabilité à l’oxygène, coefficient de diffusion des ions chlore mesuré par essai de migration sous champ électrique et porosité accessible à l’eau. Un indicateur supplémentaire est presque toujours retenu : la profondeur de carbonatation.

Ces indicateurs sont quantifiés par des essais de laboratoire, souvent accélérés. Des seuils sont définis en fonction des exigences de durée de vie et des risques de dégradation ; ils permettent de prédire la durabilité du matériau en œuvre dans son environnement spécifique.

news_letter13_durabilite1Lerm
Comment passe-t-on de la caractérisation et de la quantification de ces indicateurs au béton adapté proprement dit?


Gilles Martinet

C’est là tout le travail de qualification des formules de béton. Il s’agit de mettre au point des formules de béton qui satisfassent aux critères fixés notamment en terme de respect des seuils dont je viens de parler.

Dans un premier temps, le contrôle du respect des seuils fixés pour chacun des indicateurs de durabilité est effectué sur des bétons de laboratoire au cours des études préalables des différentes formulations, puis sur les bétons prélevés en centrale avant le coulage. Ces mesures sont ensuite validées par des tests sur des carottes extraites de l’ouvrage lui-même après la mise en oeuvre de la procédure de cure du béton définie par le chantier.

Les essais préalables permettent d’alimenter la base de données du modèle prédictif retenu. Le Lerm, grâce aux travaux de recherche d’Olivier Houdusse, a développé son propre modèle de transport d’ions. On confronte ensuite régulièrement les données récoltées lors du suivi de l’ouvrage aux informations fournies par le modèle. Il est en effet absolument nécessaire de vérifier que la structure évolue conformément au modèle. D’un autre côté, les données recueillies lors du suivi de l’ouvrage permettent d’alimenter le modèle prédictif non plus du béton théorique, mais du béton en œuvre. La confrontation entre les deux modèles permet de valider et/ou d’affiner les choix initiaux, ce qui autorise, pour l’avenir, des possibilités de prédictions toujours plus précises et performantes.

En savoir plus :

Christophe Carde, Gilles Martinet : Pont Vasco de Gama, dix ans de démarche durabilité, Bétons Magazine, n° 17, juillet -Août 2008.

Hugues Hornain et Gilles Martinet : Un exemple d’application des indicateurs de durabilité : le Pont Vasco de Gama à Lisbonne. Communication au Séminaire scientifique et technique Indicateurs de durabilité, Paris, 19 mai 2006

Olivier Houdusse et Noureddine Raffaï : Modèle du LERM des transport des ions, application à la pénétration des chlorures et des sulfates dans le béton. Communication au Séminaire scientifique et technique Indicateurs de durabilité, Paris, 19 mai 2006

La Durabilité des bétons, sous le dir. de J. P. Ollivier et A. Vichot. Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2008

Voir aussi l’article de cette Lettre d’information consacrée au projet GranDuBé.

 

La durabilité au LERM, une compétence historique et transversale qui structure le laboratoire

La durabilité au LERM, une compétence historique et transversale qui structure l’entreprise.

L’acte de naissance du LERM s’inscrit dans les premières démarches françaises sur la question de l’alcali-réaction. Les compétences du laboratoire dans le domaine de la microstructure, d’un côté et de la physico-chimie de l’autre, incarnées par les personnalités de Hugues Hornain et de Bernard Thuret, mettent le LERM en pointe sur cette problématique et sèment le germe d’un engagement permanent dans le souci de la durabilité des bétons.

L’équipe s’étoffe progressivement et les compétences s’agrègent, mais un saut décisif est franchi lorsque, avec l’arrivée de Michel Salomon, le suivi de la durabilité du second Pont sur le Tage échoit au LERM. Pour la première fois, le seul critère demandé est un critère de durée de vie : 120 ans sans entretien majeur !

Le démarrage du suivi de la durabilité de l’ouvrage et la réflexion collective sur le logigramme qui nous est proposé diffuse cette problématique de la durabilité au sein de l’ensemble de l’équipe du LERM. L’intérêt de la relation microstructure/durabilité et les essais non destructifs, récemment apparus, sont naturellement et utilement mis à contribution et intégrés dans la démarche.

Le laboratoire est désormais en prise directe avec le chantier : une grande partie de l’équipe va transiter sur le site portugais et les outils vont progresser au rythme des expertises in situ :

  les examens microstructuraux, la mesure des indicateurs clés, la quantification de la pénétration des agents agressifs,
  les essais non destructifs : la technologie radar et les mesures de corrosion en particulier,
  le modèle LERM de transport et de diffusions des ions chlorures.

Après 14 ans de suivi, le LERM est devenu dépositaire de la mémoire durabilité de l’ouvrage et est devenu un service intégré du client gestionnaire de l’ouvrage.
La durée exceptionnelle du suivi a impliqué une organisation, des prises de relais de compétences et de responsabilités au sein du LERM. Ces transmissions sont facilitées par le fait que les missions sur l’ouvrage sont des temps forts de la vie du laboratoire et parce qu’elles créent un sentiment fort d’appartenance à l’entreprise.

Notre mission est continue jusqu’en 2043 et nous surveillons régulièrement 74 zones représentatives de l’ensemble de l’ouvrage. Avec le temps, nous développons une série de propositions d’entretiens et d’actions préventives, notamment en termes de protection et d’inhibition, dont nous testons les produits in situ.

Hugues, Michel, Olivier, Karim, Alex, Christophe, Jean-Luc, Jean-Pierre, Gilles et tous les techniciens du laboratoire, sont autant de passions et de compétences, oeuvrant pour la durabilité du Pont Vasco de Gama et, depuis, pour bien d’autres ouvrages situés en milieu marin ou considéré comme agressif.

Nous sommes cette année, à la veille d’une grande campagne d’expertise et de suivi, et nous nous réjouissons déjà de retrouver nos collègues portugais, avec qui les liens de confiance et d’amitiés sont maintenant eux aussi… durables.