Un exemple de durabilité : le mortier romain des arènes de Béziers, une étude de caractérisation du LERM

Dans le cadre de l’étude préalable aux travaux de consolidation des Anciennes Arènes romaines de Béziers, le LERM a réalisé, en juin et juillet 2000, une étude d’investigation sur site et de caractérisation en laboratoire des maçonneries.

Ces vestiges de l’amphithéâtre d’époque romaine correspondent à une portion de la  » demi-voûte  » qui subsiste en surplomb de l’ambulacre et à des restes de l’assise des gradins situés au-dessus. La construction de ces arènes se situe aux alentours de l’An 80 de notre ère, sous l’Empereur Flavien. Elle est contemporaine de celle du Colisée de Rome.

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Vue générale des arènes

 

L’étude avait trois objectifs :

la détection d’éventuelles zones très fissurées, de vides importants, ou de zones de remplissage hétérogène après l’utilisation du site en carrière, ceci afin de confirmer l’homogénéité de la structure, notamment au-dessus et à l’arrière de la voûte dans la zone d’ancrage des tirants d’ancrage de renforts à apporter;
l’identification et la caractérisation des matériaux en place, et de leur état d’altération ;
le conseil au choix d’une ou plusieurs formulations de coulis d’injection approprié aux matériaux en présence pour le comblement des vides et la consolidation éventuelle des maçonneries.

 

Nous ne nous intéressons, dans ce compte rendu d’étude, qu’à l’identification et à la caractérisation des matériaux, et de leur état d’altération.

Essais réalisés sur les maçonneries et les mortiers

Au laboratoire

Les essais en laboratoire avaient pour but de caractériser d’un point de vue physico-chimique différents échantillons de mortier extraits du cœur des maçonneries en vue d’une proposition de formulation de coulis d’injection approprié aux matériaux en place et aux types de désordres détectés.

Prélèvement des échantillons

A l’issue d’une première analyse des résultats des auscultations radar, les sondages ont été implantés dans certaines zones caractéristiques (zones d’anomalies, zone homogène…).

La maçonnerie est apparue constituée de blocs ou d’éléments de calcaire coquiller beige / crème, moyennement poreux, et d’un mortier gris clair de sable et gravillons (additionnés de fragments de briques ou de charbon de bois), relativement poreux mais assurant généralement une très bonne cohésion aux moellons.

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Vide dans la maçonnerie
avec trace de circulation d’eau

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Bon contact mortier – pierre

 

Mesures de la masse volumique et de la porosité du mortier

La porosité totale accessible à l’eau et la masse volumique du matériau ont été mesurées par pesée hydrostatique selon le mode opératoire proposé par l’AFPC-AFREM.
Les résultats obtenus ont indiqué que les mortiers possédaient des porosités comprises entre 33 et 42% environ indicatives d’une compacité normale pour ce type de matériau.

Dosage des sulfates

Les teneurs en sulfates ont été déterminées par chromatographie ionique après solubilisation par attaque à l’acide chlorhydrique au 1/50.
Le calcul estimatif permettant d’exprimer ces résultats par rapport au poids de liant estimé a montré que les teneurs en sulfates étaient relativement faibles (inférieures à 1 % rapporté au poids de liant estimé).

Analyse par diffractométrie des rayons X

L’analyse minéralogique qualitative par diffractométrie des rayons X de la fraction fine de trois des mortiers prélevés a permis de mettre en évidence que la phase liante des trois mortiers était essentiellement constituée par de la calcite, pour partie issue de la carbonatation de la chaux hydratée Ca(OH)2, d’ettringite et de tobermorite. Le quartz, les plagioclases et les argiles associées provenaient vraisemblablement de la fraction fine du sable constituant le mortier.

Examen au microscope optique en lumière réfléchie

L’examen, au microscope optique en lumière réfléchie, de sections polies confectionnées à partir des mortiers, a permis de mettre en évidence que :

ces mortiers renfermaient des quantités notables de vacuoles dont la dimension maximale était de l’ordre d’un millimètre,
le mélange granulaire correspondait à un sable roulé d’origine alluvionnaire dont le diamètre maximal était de l’ordre de 5 millimètres,
la matrice était apparue caractérisée par la présence de nombreux amas de chaux hydratée (Ca(OH)2), auxquels étaient associés des silicates de calcium hydratés (C-S-H),

Par ailleurs, il est important de souligner la présence de fines particules plus ou moins vitreuses semblant avoir réagi avec la matrice. Ces particules pourraient correspondre à des pouzzolanes naturelles ; le liant constitutif des trois mortiers observés semblait bien correspondre à un mélange de chaux et de pouzzolanes naturelles, apportant une hydraulicité au mélange.

Examen au microscope électronique à balayage

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(fig. 1)
Microscopie électronique à balayage
Contact liant-mortier
( 1- liant, 2- granulat)

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(fig. 2)
Microscopie électronique à balayage
Détail de la matrice du mortier
(1 : pouzzolane, 2 : C-S-H)

L’examen de fractures fraîches au microscope électronique à balayage couplé à l’analyse élémentaire par spectrométrie X à dispersion d’énergie, a permis de mettre en évidence les points essentiels suivants :

les mortiers étudiés présentaient des caractéristiques minéralogiques et microstructurales similaires. Ils étaient caractérisés par une macroporosité variable marquée par la présence de vacuoles et de bulles, vraisemblablement liée à la mise en œuvre, et dont la dimension maximale pouvait atteindre le millimètre dans les échantillons les plus macroporeux, notamment au-dessus et à l’arrière de la voûte dans la zone d’ancrage des tirants ;
ces mortiers étaient également caractérisés par une microstructure compacte se traduisant par un contact étroit entre le liant et les grains de sable (fig. 1), et par des assemblages serrés de produits issus de l’hydratation du liant ;
ces produits correspondaient à des silicates de calcium hydratés (C-S-H), parmi lesquels de la tobermorite, ainsi qu’à de la chaux hydratée ou carbonatée.
Par ailleurs, de nombreuses particules, qui semblaient avoir réagi avec la chaux pour former des C-S-H, ont également été mises en évidence. Ces particules, généralement de composition silico-alumineuse ou silico-calco-alumineuse, correspondaient vraisemblablement à des pouzzolanes naturelles (fig.2),
enfin, il est important de souligner la présence, dans certains mortiers, d’ettringite massive vraisemblablement recristallisée par circulation des eaux d’infiltration dans les pores de la matrice. Cette ettringite pouvait localement présenter des faciès à caractère expansif.

Conclusion

Le mortier, analysé, se caractérise par des propriétés texturales comparables à celles de mortiers actuels.
Ce mortier de près de 2000 ans, de par l’hydraulicité apportée par les pouzzolanes et par la qualité de sa préparation, présente donc encore des caractéristiques de compacité comparables à celles d’un mélange contemporain. Dans des conditions favorables de conservation, le temps a eu peu prise sur ce matériau.