Chantiers de restauration des monuments historiques : le problème des carrières

Entretien avec Lise Leroux, Ingénieur géologue au Laboratoire de Recherches des Monuments Historiques

 

LERM
Connaissez-vous des exemples de chantiers qui ont impliqué la réexploitation de carrières ?

Lise Leroux
Ces cas de figures sont assez peu nombreux, mais ils existent, en effet. Ainsi, c’est le chantier de restauration de la cathédrale de Chartres qui a entraîné la réexploitation de la carrière de Berchères  par l’entreprise de restauration de monuments historiques Quelin. Ici c’est le l’entreprise de taille de pierre, qui, par besoin, se fait carrier.

LERM
Quels sont les éléments qui ont motivé cette réouverture ?

Lise Leroux
Plusieurs éléments sont conjugués : d’abord la spécificité de la pierre de Berchères dont est bâtie en grande partie la cathédrale, difficile à remplacer, le volume relativement important de pierre pour les besoins de la restauration, la valeur et la notoriété de l’édifice, et enfin, élément à ne pas négliger, la bonne volonté de l’entreprise de restauration.

LERM
Connaissez-vous d’autres exemples de telles réexploitations de carrières ?

Lise Leroux
Oui, à chaque fois les problématiques ont été différentes. La pierre de Charly, à Blet, dans le Cher, a été réextraite par l’entreprise Jacquet à destination de la cathédrale de Bourges. La carrière de Villentrois, dans l’Indre, a été réexploitée par l’entreprise Lefèvre de Paris, pour en extraire du tuffeau ; celui-ci n’est pas destiné à un seul monument mais à un grand nombre qui se situent le Val de Loire.
On peut également citer le cas, assez exemplaire, de la réouverture de la carrière de Cintheau pour l’extraction de la pierre de Caen. Cette carrière, active depuis le 12e siècle avait alimenté de nombreux chantiers du Nord de la France et de l’Angleterre. L’exploitation a repris en 2002 : motivées par la restauration de la ville de Caen, du château de Caen et de l’Eglise St Pierre, les collectivités locales ont soutenu la création de la Société des Carrières de la Plaine de Caen qui fournit de la pierre aux chantiers de restauration, mais qui vise aussi le marché de la construction et de la décoration.

LERM
Comment les choses se passent-elles, administrativement parlant ?

Lise Leroux
Vous abordez-là un point délicat… Tout dépend d’abord de la période évoquée. Les exemples que je vous ai donnés datent d’avant 2005. Avant cette date, et depuis la loi du 4 janvier 1993, le transfert du régime des carrières du code minier à la législation sur les installations classées, a eu pour conséquence de supprimer le caractère dérogatoire des demandes d’ouverture ou de renouvellement pour les carrières de faible débit. Toutes les carrières d’extraction de pierre de taille, sans exception, étaient désormais soumises à autorisation préalable, assortie de procédures administrative et de contrôle lourdes.
Le rapport du BRGM de 2003 « Autorisation des carrières pour la restauration des monuments historiques : étude technique et réglementaire » a préludé à la loi 2005-157 du 23 février 2005 dont l’article 42 prévoit, que les carrières sont soumises à autorisation sauf  pour deux exceptions, dont l’une concerne les monuments historiques. Je cite : « exception […] applicable aux carrières de pierre, de sable et d’argile de faible importance destinées à la restauration des monuments historiques classés ou inscrits ou des immeubles figurant au plan de sauvegarde et de mise en valeur d’un secteur sauvegardé en tant qu’immeubles dont la démolition, l’enlèvement ou l’altération sont interdits, ou à la restauration de bâtiments anciens dont l’intérêt patrimonial ou architectural justifie que celle-ci soit effectuée avec leurs matériaux d’origine. »
Des contraintes demeurent : il convient de préciser la destination des pierres ; il faut respecter un certain nombre d’obligations environnementales ; il existe un plafond d’extraction de 500 m3 en 5 ans,  pertes et remise en état du front de taille comprises, ce qui est très peu. Enfin, bien sûr, restent les problèmes de propriété foncière.

LERM
Existe-t-il un inventaire des carrières exploitables pour des raisons de restauration ?

Lise Leroux
repertoire-1889Il n’existe pas un inventaire, mais une série d’inventaires dont aucun n’est à jour ou exhaustif. On peut peut-être commencer par le grand ancien, le Répertoire des Carrières de pierre de taille exploitées en 1889, travail du Ministère des travaux publics d’alors, qui est d’autant plus intéressant pour nous, qu’il est contemporain de la première vague de grands travaux de restauration.
Il y aurait ensuite l’Essai de nomenclature des carrières françaises de construction et de décoration paru en 1976 au Mausolée. Il présente la particularité de préciser si les carrières sont en activité, fermées, ou susceptibles d’être réexploitées. Ce travail souffre du grand nombre de disparitions de petites carrières ces 30 dernières années, disparitions qui handicapent les chantiers de restauration de petits monuments dans lesquels sont mis en œuvre des pierres anecdotiques.
Au Laboratoire de Recherche des Monuments Historiques, nos activités nous amènent à enrichir une liste de carrières au fur et à mesure de nos études, mais celle-ci est loin d’être exhaustive.
Enfin il convient de mentionner le travail du BRGM. Ainsi « Monumat » est une base de donnée nationale, en ligne, qui intègre diverses sources antérieures, dont celles du LRMH et des bases de données régionales (Centre, Corse, Réunion…). Des développements de projet régionaux soutenu par les DRAC sont en cours, par exemple en Languedoc Roussillon.

LERM
Comment, selon vous, aborder globalement cette question de la pénurie d’approvisionnement des chantiers de restauration ?

Lise Leroux
Toutes les pistes d’assouplissement des contraintes de réexploitation et de protection du patrimoine des carrières, dont certaines sont tracées dans le rapport 2003 du BRGM, sont loin d’avoir été étudiées. Il y a là sans doute encore des solutions à envisager.
D’un autre côté, cette difficulté d’approvisionnement influe directement sur les pratiques de restauration. Ainsi on envisage parfois la récupération de blocs sur le chantier (ou ailleurs), plutôt que le remplacement ou la substitution par des pierres neuves.  On privilégiera autant que possible la conservation des matériaux par des traitements et par des techniques de consolidation.

carriere-cintheau

Carrière de Cintheau (pierre de Caen)