Liants hydrauliques et hydraulicité
Les liants hydrauliques (usuellement appelés ciments) sont des composés à base de silicates et d’aluminates de calcium anhydres. Leur gâchage avec de l’eau provoque leur prise, c’est-à-dire la cristallisation de produits hydratés plus stables. Ces produits hydratés ont des propriétés liantes qui peuvent se développer en l’absence d’air, sous l’eau, ce qui leur a valu cette dénomination de liants hydrauliques.
Les produits les plus courants à potentiel hydraulique sont le clinker de ciment Portland, le clinker de ciment alumineux et le laitier granulé de haut fourneau. Les chaux hydrauliques sont quant à elles des ciments naturels, qu’on appelait, au 19e siècle, des ciments romains. C’est l’étude de l’hydraulicité des chaux hydrauliques, à la fin du 18e et au tout début du 19e siècle, qui permit à Smeaton, en Angleterre, et à Vicat, en France, de jeter les bases de la chimie et du développement industriel du ciment artificiel (voir nos articles sur ce sujet : Entre chaux et ciment Portland, la naissance du ciment naturel et Naissance et triomphe du ciment Portland).
En conclusion, l’hydraulicité est la propriété qu’a un produit de durcir au contact de l’eau en présentant des caractéristiques d’adhérence et de cohésion.
Hydratation
L’hydratation commence dès que le ciment anhydre est mis en présence d’eau. La pâte fraîche se présente comme une suspension, c’est-à-dire un réseau de particules dans une phase aqueuse. Les mécanismes d’action de l’eau dans cette suspension sont alors nombreux.
Mécanismes d’action de l’eau dans la suspension de ciment
Adsorption
Cette fixation en surface d’un solide de molécules d’eau peut être physique ou chimique.
L’adsorption physique résulte des forces de Van der Walls. Il s’agit d’une liaison d’énergie faible et réversible qui ne modifie pas l’état électronique de la molécule adsorbée.
L’adsorption chimique résulte elle de mise en commun d’électrons. L’énergie de cette liaison est donc de haute intensité et modifie l’état de la molécule d’eau adsorbée qui devient alors une eau liée.
Hydrolyse
L’hydrolyse est une réaction qui met en jeu à la fois la transformation du solide et la décomposition de l’eau : l’ion H+ de l’eau s’associe à l’anion du composé et l’ion OH– s’associe avec le cation.
Dissolution (voir notre article sur l’eau comme solvant)
La dissolution est le changement d’état d’un solide ionique mis en présence d’un solvant. L’eau, du fait de ses molécules polaires, est un solvant puissant des structures cristallines ioniques par l’attraction qu’elles exercent sur les ions du cristal.
Solvatation (voir notre article sur l’eau comme solvant)
Les ions dispersés du cristal anhydre sont dispersés dans la solution puis solvatés, c’est-à-dire entourés de molécules d’eau qui les isolent.
Cristallisation
La cristallisation voit se succéder deux phénomènes qui sont la nucléation et la croissance du germe. Les ions passés en solution s’assemblent aléatoirement en germes. A partir de ces germes s’organise une accumulation d’atomes ou de molécules.
L’hydratation est donc une réaction complexe au sens de la cinétique chimique, c’est-à-dire d’une transformation qui résulte d’un ensemble de réactions simultanées… pour accroître la difficulté, les liants hydrauliques sont des mélanges de constituants actifs. (1)
En effet le clinker du ciment Portland est composé de gypse (introduit lors de sa fabrication pour réguler la prise du C3A notamment) de silicate tricalcique (C3S) de silicate bicalcique (C2S), d’aluminate tricalcique (C3A) et d’aluminoferrite tétracalcique (C4AF). Lors de l’hydratation, ces composés vont réagir et former les hydrates de la pâte de ciment : silicate de calcium hydraté (C-S-H), portlandite (Ca(OH)2, ettringite (AFt), monosulfoaluminate (AFm).
Les hydrates en question ne contiennent pas d’eau en tant que telle, mais ils sont composés de ses éléments ou de leur combinaison : hydrogène (H), oxygène (O) ou hydroxyle (HO). (sur ce sujet, voir notre article L’eau dans la pâte de ciment hydraté)
gel de C-S-H | Porlandite | Ettringite fibreuse aciculaire |
Produits d’hydratation examinés au microscope électronique à balayage
Une théorie de l’hydraulicité d’un liant doit ainsi coordonner plusieurs séries de phénomènes :
- phénomène chimique d’hydratation,
- phénomène physique de cristallisation
- phénomène mécanique de durcissement
Théorie de Le Chatelier a) Tout liant hydraulique est constitué par un corps ou un système de corps anhydre capable de se combiner à l’eau pour donner un système hydraté stable. b) Le système anhydre étant ainsi instable vis-à-vis de l’eau, doit thermodynamiquement être plus soluble. Il doit donc se former au contact de l’eau de gâchage une solution sursaturée, qui bientôt déposera spontanément des cristaux hydratés : le déclenchement de la cristallisation constitue la « prise ». c) Ce mécanisme se reproduisant indéfiniment, la pâte du ciment initial doit se transformer peu à peu en un enchevêtrement de cristaux qui, ayant pris naissance au sein d’une solution sursaturée, sont disposés en longues et fines aiguilles formant entre elles un feutrage par suite de leurs nombreux points de contacts. Ainsi se trouve expliqué le mécanisme du « durcissement ». Michaelis défendit, lui, à partir 1909 une théorie dite colloïdale ou topochimique selon laquelle les hydrates se forment, sous forme d’un gel insoluble, autour du grain anhydre. |
Aujourd’hui, les recherches sont toujours en cours pour comprendre le mécanisme complexe de l’hydratation. Avec leur avancée, il semblerait que les deux théories de l’hydraulicité soient moins opposées que complémentaires dans la mesure où elles peuvent s’appliquer à différents moments de l’hydratation et à différents hydrates. En effet, il a été montré que pour les C-S-H, germination et croissance avaient lieu aussi bien au sein de la solution que sur le grain de ciment anhydre.
Notes
(1) P. Barret, Modélisation et réactivité des matériaux, Ciments bétons Plâtres et Chaux, n° 755, avril 1985
En savoir plus
H. Le Chatelier. Recherches expérimentales sur la Constitution des mortiers hydrauliques. Thèsse de doctorat, Paris, France, 1887.
W. Michaelis. Mode de durcissement des liants hydrauliques calcaires. Revue des matériaux de construction, 53, 1909.
R. H. Bogue, La chimie du ciment Portland, Eyrolles, 1952. Dans cet ouvrage, l’auteur propose une description détaillée des théories de Le Chatelier de Michaelis et rend compte des débats scientifiques qui ont suivi.
H. Lafuma, Les liants hydrauliques, Dunod, 1952
M. Regourd, L’eau et ses différents états dans le béton in Le béton et l’eau, Séminaire du Collège international des sciences de la construction, ITBTP, 1985