Patrimoniale, monumentale, ornementale

La cheminée symbole de l’usine s’expose au sein du patrimoine industriel, comme le témoignage d’une activité industrieuse dont on cherche à perpétuer le souvenir et comme élément architectural ornemental, vecteur de valorisation d’un bâti.

Autour de la Grand Place – Vue aérienne. Collection particulière de Daniel Labbé, en ligne sur http://www.bn-r.fr

 

 

Dénommées « beffrois du travail » dans le département du Nord, elles sont les représentantes du monde laborieux et le pendant des beffrois des églises.

 

En 2008, il en a été recensé 320 dans ce département par l’association Proscitec Patrimoines et Mémoires des Métiers.

La plus haute culmine à Tourcoing à 75 mètres ! En 2014, 15% d’entre elles aurait néanmoins disparu.

 

 

 

 

 

Le Centre d’Etudes et de Recherches du Patrimoine industriel du Pays du Gier (CERPI) s’est intéressé aux cheminées d’usines en briques rouges de cette vallée, dont la cheminée la plus haute d’Europe construite en briques, la cheminée Marrel (108,7 mètres !). Soubassement présentant un aspect religieux, statue de saint, frises, alternances de disposition de briques, usage de la polychromie, autant d’ornementations qui parent certaines de ces cheminées.

A l’île de La Réunion, plusieurs pré-inventaires et études du patrimoine industriel se sont déroulés dès 1976 et jusqu’aux environs de 2003, au cours desquels a été observé un élément de cheminée qui semblerait propre à l’île, le chaînage horizontal et vertical en bois.

73 d’entre elles en France sont à ce jour classées ou inscrites comme monuments historiques (interrogation Base Mérimée 07/06/2019), dont 34 à la Réunion (cheminées d’usines sucrières).

Sujets d’inventaires, les cheminées s’inscrivent dans un processus de reconnaissance de l’histoire industrielle d’un lieu, d’un temps, d’une société.

D’ouvrages en oeuvres…

La cheminée conservée et restaurée est parfois le lieu de manifestations culturelles alliant éléments patrimoniaux et artistiques. Elle accueille expositions, visites, débats, ateliers, et offre son parement aux chorégraphies et aux œuvres de plasticiens. Installations permanentes, signalétiques lumineuses en nocturne, œuvres plastiques visibles en journée…

De la marque de fabrique à l’image de marque…

Élément participatif d’un programme de valorisation, quand la cheminée d’usine se mue en hall d’accueil d’entreprise, elle impressionne les visiteurs ; quand elle entre dans la composition architecturale de logements de standing, alors elle figure l’héritage du mythe industriel et populaire du quartier ; sinon, elle se dresse là, ornement monumental, au sein d’une médiathèque, d’un musée, d’archives, d’un pôle événementiel…

…bref, la cheminée d’usine s’accommode de bien des destinées diverses

Témoignage de Pascal Hiriart, MCC2I

La maintenance pour la préservation patrimoniale

La ville de Mulhouse a fait une démarche patrimoniale sur de très belles cheminées anciennes, démarche gérée au niveau de l’agglomération. Des expertises assez globales et assez poussées ont été réalisées. Entre autres, des prélèvements d’échantillons de matériaux ont été analysés au laboratoire du lerm, pour estimer le vieillissement actuel des briques et des liants, de manière à pouvoir proposer à la ville de Mulhouse, une réflexion sur la pérennisation de ce patrimoine sur le long terme. Un programme de suivi des évolutions de position a également été mis en oeuvre avec un géomètre, en plaçant des capteurs sur les cheminées. Tous les 2 ans nous vérifions que les cheminées n’ont pas bougé, ce qui mettrait en évidence des affaiblissements de maçonnerie. Des analyses chimiques ont permis de savoir s’il était réaliste de prévoir un programme d’entretien à long terme ou si les ouvrages étaient en fin de vie, d’un point de vue de la chimie des matériaux.

En effet, la ville voulait à la fois mettre en évidence ces cheminées, les rendre belles et en faire des supports de communication. Elles sont louées à des artistes qui peuvent y accrocher des œuvres.

La ville de Troyes s’inscrit également dans ce type d’actions patrimoniales. La région comporte d’anciennes filatures et beaucoup de cheminées en briques. Il y a eu des programmes de réhabilitation, avec démontage de têtes de cheminées qui étaient devenues trop fragiles, et remontage à l’identique. Nous avons refait de belles têtes ouvragées pour garder l’apparence jolie de ces cheminées dans la ville.

Quelques particuliers aussi réalisent des travaux de ce type, mais cela peut être relativement coûteux. Si la cheminée est classée, des subventions sont possibles. Nous avons eu le cas d’un particulier en Normandie, qui possédait une cheminée non classée, qui a néanmoins réussi à obtenir un peu d’aides de la ville, de la région et du département, ce qui lui a permis d’effectuer les réparations.

Il existe de très belles cheminées dans toute la France. De mémoire, à Pont en Mousson, une chapelle est aménagée dans le pied d’une cheminée d’anciennes forges.

Un autre exemple de valorisation de ce patrimoine, pour lequel nous avons travaillé se trouve dans le Marais à Paris, où existait une usine « la Société des cendres ». Des artisans devaient y travailler les métaux et l’or. Le bâtiment a été transformé en magasin, et l’ancienne cheminée en briques a été gardée. Elle est donc au milieu d’une cour. Elle n’est pas très haute, elle sort au-dessus des toits, elle ne doit pas faire plus de trente mètres de hauteur. Elle ne se voit pas de la rue, ou à peine, il faut vraiment lever les yeux pour l’entrevoir. Cependant le pied de la cheminée est conservé dans le magasin, et comme le toit du magasin est une verrière, le reste de la cheminée également est visible de l’intérieur. Elle a été peinte d’une couleur un peu flashy, homogène avec le reste du magasin, c’est réussi.

 

Sources

L’inventaire à l’île de la Réunion / Sylvie Réol, Erik Zeimert. In Situ, n°3, 2003.

La cheminée d’usine entre « totem et tabou » : effacement versus appropriation d’un symbole du passé industriel / Vincent Veschambre. L’Homme & la Société, n°192, 2014/2, pp. 49-68.

Les cheminées d’usine : ces symboles fragiles / Stéphanie Fasquelle. La Voix du Nord, 26 mars 2011.

La cheminée d’usine, emblème du travail des hommes et des femmes à Roubaix, dans le Nord, possible symbole identitaire du patrimoine industriel en Europe ? / EFAITH, la Fédération Européenne des Associations du Patrimoine Industriel et Technique, 2015. www.e-faith.org/documents/2015/ChemineesduNord.pdf

Briqueteries de la Vallée du Gier, terre cuite et réfractaires : Bâtiments et cheminées en briques rouges / CERPI, 2018.