Sous emprises phénoménales : les désordres

Les matériaux (béton et brique) qui composent la cheminée industrielle peuvent être, comme dans toute autre structure bâtie, sous l’emprise de phénomènes de vieillissement, d’usure et d’agressions.

©lerm. Carotte composée de deux bétons distincts, décollés. Face externe (à gauche) et face interne (à droite) de la cheminée.

Les deux spécificités de la cheminée sont sa forme de tour, une structure en hauteur soumise aux pressions des vents, et sa fonction de conduit, qui met ses matériaux en contact et en interaction continus avec les substances de la fumée susceptibles de leur porter préjudice.

Parmi les phénomènes observés

Carbonatation

Comme son nom l’indique, la carbonatation met en jeu le dioxyde de carbone (CO2), naturellement présent dans l’air et de façon accentuée dans les fumées selon leur nature. C’est un phénomène de vieillissement inhérent à la nature minérale des bétons. Le CO2 entre en réaction avec certains composants du ciment (principalement la portlandite) et des carbonates de calcium se forment, provoquant une baisse du pH de 13,5 à environ 9.

En langage chimique, cette combinaison se formule ainsi :

L’humidité et la température sont des facteurs influençant la cinétique du phénomène de carbonatation de la pâte de ciment.

©setec LERM. Carbonatation d’un béton (zone non colorée). Test à la phénolphtaléine

©setec LERM. Carbonatation d’un béton (zone non colorée). Test à la phénolphtaléine

Conséquences : ce phénomène génère, lorsque le front de carbonatation atteint les armatures, leur dépassivation et la formation d’oxydes et d’hydroxydes de fer, induisant un gonflement et l’apparition de désordres (épaufrures et fissures).

Agression par les ions chlorures

Le béton, matériau poreux, est perméable aux ions chlorures. La mobilité des ions chlorures dans le béton varie, certains se combinent et sont fixés (par les hydrates), d’autres sont libres.

Les ions chlorures peuvent provenir des fumées, mais également des embruns marins si la cheminée se trouve à proximité de la mer. Cependant, leur origine peut être intrinsèque au matériau de la cheminée. En effet, le ciment utilisé jusque dans les années 1960 peut contenir un adjuvant chloré (CaCl2).

En langage chimique, la formation des chloroaluminates de calcium hydratés peut se produire ainsi :

(C3A.CaCl2 .10H2O ou sel de Friedel) à partir de l’aluminate tricalcique (C3A)

©setec LERM. Mesure de diffusion des ions chlorures.

Conséquences : Les ions chlorures traversent le béton d’enrobage, et en arrivant au niveau des armatures, génèrent des piqûres et la corrosion s’amorce. La propagation est plus ou moins longue selon la qualité du béton, l’humidité … De manière globale, le seuil de la teneur en chlorures admis est de 0.4% (exprimé par rapport à la masse du ciment) dans le cas du béton armé, et de 0.2% dans le cas de la précontrainte (norme EN 206/CN). Au-delà de ces seuils, le risque de corrosion est élevé.

Attaque par les sulfates

Les sulfates proviennent des fumées mêmes de la cheminée (anhydride sulfureux SO2 ou dioxyde de soufre) mais ils sont également présents sous forme gazeuse dans l’atmosphère, provenant des gaz de combustion (charbon, hydrocarbures divers).

L’anhydride sulfureux SO2 s’oxyde et se transforme en sulfate. En présence d’humidité et au contact de la matrice cimentaire, il décompose certains hydrates (portlandite principalement). Puis il donne naissance à des phases expansives, avec du calcium pour former du gypse, avec des aluminates pour former de l’ettringite qui peut être massive. Cet effet du dioxyde de soufre est à mettre en parallèle avec le phénomène bien connu des fumées issues des tuyaux d’échappement sur les périphériques.

L’effet des sulfates peut être minimisé si un ciment résistant aux sulfates est utilisé (norme NF P15-319).

En langage chimique, cette combinaison peut se formuler ainsi dans le cas de l’ettringite

(ettringite ou trisulfatealuminate tricalcique hydrate ou encore sel de Candlot).

©setec LERM. Ettringite massive

Conséquences : le béton est endommagé avec apparition de fissures, suite aux contraintes engendrées par l’expansion interne du matériau. La fissuration rend le matériau encore plus perméable. S’ensuivent des pertes de résistance mécanique.

 Attaque acide

Certains éléments présents dans les fumées peuvent produire des acides (acide sulfurique, dioxyde de carbone, acide chlorhydrique…), (H2SO4, HCl…), qui provoquent la dissolution des hydrates constitutifs de la matrice du béton, souvent accompagnée d’une lixiviation.

Conséquences : en plus d’une baisse du pH, il y aura une augmentation de la porosité (départ de matière) et une baisse de résistance mécanique et de rigidité.

 En ce qui concerne les briques

Dans le cas du ciment des joints de maçonnerie des briques, les attaques chimiques engendrent des cristallisations secondaires qui peuvent se révéler expansives et délétères. La porosité augmente et la cohésion des mortiers de joint s’affaiblit. Les mortiers de jointoiement peuvent à la longue se morceler et se désagréger. Le contact avec les briques devient peu étroit et éventuellement disparaît par endroit.

©lerm. Interface brique et joint. Photographie à la loupe binoculaire. 1. mortier de joint morcelé. 2. surface de la brique. 3. brique

Les briques quant à elles, peuvent subir des attaques acides dues aux mêmes éléments évoqués plus haut et présenter des néoformations délétères (le plus souvent du gypse) engendrant généralement  un écaillage.

Témoignage de Pascal Hiriart, MCC2I :

Les joints des briques : faits de sable et de chaux, avec ciment et même parfois sans ciment, ils redeviennent du sable avec le temps.

Cela provoque un phénomène de descellement des briques, qui engendre, en hauteur, des chutes de briques, et se manifeste plus bas par un écrasement des briques, d’où le fait que les cheminées se penchent en prenant la forme de bananes.

 

Tous ces effets amènent à une décohésion et une fragilisation de la structure.

Le mot de l’ingénieure matériaux (Alexa Bresson, lerm)

« Les relevés visuels sont importants, pour détecter les zones sensibles sur la cheminée. »

« La connaissance des vents est primordiale pour être en mesure de connaître les zones à risques de dégradations. Les fumées sont en effet repoussées par les vents dominants à ces endroits. Cela détermine où l’on doit effectuer les prélèvements de matériaux à analyser. »

« Les prélèvements sont en général à effectuer à différentes hauteurs et, selon la hauteur,  à différentes épaisseurs. »

« Le diagnostic se doit d’être exhaustif parce qu’on ne sait pas a priori où et comment d’éventuelles dégradations (externes ou internes) peuvent s’être manifestées. »

« Des essais mécaniques peuvent être mis en œuvre pour mesurer la résistance résiduelle des matériaux. »

« Les résultats des analyses des matériaux portent sur des profondeurs d’altération, des niveaux de pollution par des agents agressifs, des teneurs en phases agressives, des faiblesses de cohésion…»