Sédiments continentaux : études en amont

Entretien avec Marion Trapu, chargée d’affaires chez Setec Hydratec.

L’ingénierie de l’eau et des milieux aquatiques est votre métier. Nous souhaitons recueillir votre témoignage sur les sédiments continentaux. 

Pourriez-vous tout d’abord présenter Hydratec ?

hydratec, société d’ingénierie généraliste dans le domaine de l’eau, de l’assainissement et des milieux aquatiques, possède une grande expertise dans le domaine de l’hydrologie, de l’hydrogéologie et de l’hydraulique des systèmes fluviaux et des ouvrages associés. Nous réalisons notamment des missions d’études et conseil auprès de Maîtres d’Ouvrage publics, privés et industriels, comme des études générales concernant l’aménagement du territoire, des expertises scientifiques…

 En premier lieu, pouvez-vous nous résumer d’où proviennent les sédiments du domaine continental ?

La pluie en tombant sur le sol, a une force d’arrachage et en ruisselant, une force de transport : c’est le mécanisme général à l’origine de la formation des sédiments. Des gouttes d’eaux aux rivières, puis aux fossés, aux canaux… jusqu’à la mer. L’arrachage et le transport des sédiments est un mécanisme dont la plus grande masse est invisible parce que diluée. L’eau transporte des sédiments en suspension. Mais ceux qui nous intéressent sont ceux qui, une fois arrachés, reposent et se déplacent sous la pression d’une crue par exemple.

La nature du sédiment varie-t-elle ?

La nature du sédiment dépend de la nature du sol. La pluie n’arrache pas les mêmes éléments d’une terre arable, d’un sol développé sur roche granitique ou d’une voirie imperméabilisée.

Dans le Nord Pas de Calais, territoire sur lequel l’étude Alluvio (1) a été menée, et région grandement agricole, la terre est très travaillée en utilisant des techniques modernes. Des volumes importants de sols sont transportés. Des matériaux issus également de la forte urbanisation de cette zone se retrouvent dans les réseaux d’eaux pluviales ou unitaires, déversés dans les stations d’épuration, d’où ils sont envoyés dans le milieu naturel lorsque le volume limite est atteint. Une troisième catégorie provient de l’histoire industrielle du Nord, territoire de charbon et de fer pendant deux siècles. Des rejets directs dans les voies d’eaux sont présents, en moindre quantité que les deux autres sources de sédiments précédemment évoquées, mais d’une plus grande concentration, impactant donc la qualité du sédiment.

Est-il possible de quantifier les volumes des sédiments et d’évaluer leur origine ?

Nous avons réalisé des études sur des bassins versants expérimentaux. Le Bureau des Recherches Géologiques et Minières (BRGM) mène des recherches afin d’établir une relation entre la surface du bassin versant, la nature de l’activité qui y est exercée et les volumes de sédiments arrachés.

Sur les réseaux d’assainissement, pluviaux ou unitaires, nous disposons de données parce que les Agences de l’Eau veillent à ce que les rejets aient le moins d’impact polluant possible. Il existe donc des métrologies et des formes d’abaques résultantes.

 

La caractérisation du bassin versant et du mode d’occupation des sols peuvent permettre d’estimer des quantités de matière susceptible d’être arrachée et transportée en fonction de la pluie. Cette donnée entrante peut être calée, vérifiée et critiquée en comparaison de la quantité de dépôt existant dans les canaux.

Mais c’est un domaine très complexe. Le milieu récepteur peut être caractérisé par des biefs au comportement différent, dans lesquels le sédiment entre et sort en petite quantité, s’écoule ou pas.

Et ces métrologies ne correspondaient pas à l’étude d’Alluvio, où il s’agissait non pas de réaliser des micro études de petits bassins versants, qui, dans le cadre de recherches telles que celles réalisées par EDF et le lerm, servent à obtenir des données et de l’information scientifique essentielle dans ce domaine, mais de franchir une étape en travaillant à l’échelle d’une région.

Nous menons par exemple une étude sur la Scarpe, plan d’eau de niveau olympique servant à la compétition de canoë kayak, que la ville d’Arras est en charge de maintenir.

Le BRGM intervient pour affiner la compréhension des mécanismes d’apports et dispose d’un outil assez fin. Il n’est cependant pas envisageable de l’appliquer à l’échelle de la région des Hauts de France.

Il était nécessaire de mettre en place une métrologie spécifique Alluvio pour mesurer d’autres paramètres que ceux que nous mesurions habituellement, et de le faire systématiquement. Par ailleurs, les réglementations changent et les paramètres également. Les mesures sont faites aujourd’hui non pas pour des raisons systémiques mais en réponse à des demandes ponctuelles, opérations de déblai ou de curage.

C’est une histoire qui commence. Une des recommandations issue de l’étude est de se mettre d’accord sur les mesures à faire et les systématiser. Pour que la filière des sédiments se stabilise, le processus devra se professionnaliser.

Quelles actions engendrer à partir des mesures effectuées ?

Hydratec traite les données afin d’obtenir des observations qui répondent à deux questions : quel sera à terme le stock permanent disponible et quelle sera la qualité de ce stock ?

La quantification permet de déterminer les acteurs du territoire impliqués. Il existe une solidarité potentielle des acteurs. En effet, tous subissent des dommages dus aux sédiments.

La profession agricole perd des sols. Les collectivités territoriales doivent gérer des risques de pollution des cours d’eaux. Les Voies Navigables de France (VNF) récupèrent des dépôts nuisibles à la navigation.

L’étude Alluvio a permis de montrer d’où venaient les sédiments. En fonction de leur origine et de l’endroit où ils se trouvaient, une hiérarchie a été définie, des acteurs avec qui travailler et des secteurs sur lesquels travailler. Ce plan d’action porté par VNF est composé de plusieurs grands axes : l’amélioration de la connaissance à l’échelle micro, pour affiner et définir précisément qui est à l’origine du rejet de tel produit, la préconisation d’améliorations de pratiques, notamment pour la gestion des eaux pluviales, des actions très ponctuelles auprès de différents acteurs, un travail avec la Chambre d’Agriculture. Ceci afin d’améliorer la qualité et de réduire la quantité des sédiments ruisselant vers les voies d’eau.

Peut-on transformer la contrainte en opportunité ?  

Alluvio est, à ce point de vue, une étude pilote car même si elle est réalisée par la région Hauts de France, où se trouve un vrai enjeu de préservation de la navigation dans le Nord de l’Europe avec le futur Canal Seine Europe, la problématique étudiée est également rencontrée dans d’autres territoires.

Un volet de l’étude a porté sur la réglementation qui se révèle aujourd’hui très contraignante et limite grandement l’utilisation de sédiments, car considérés comme des déchets, ils doivent répondre à des exigences spécifiques et fortes pour être traités à terre. Dans le cadre d’une économie circulaire qui tend aujourd’hui à se développer, l’étude Alluvio représente un des moyens de l’Etat pour mettre en adéquation l’ambition du circulaire, les pratiques industrielles et la stabilisation de la réglementation. Des échanges avec des industriels ont lieu afin de déterminer la qualité nécessaire des sédiments et les usages auxquels les destiner.

Au sujet de la valorisation, autre volet de l’étude Alluvio sur lequel le lerm est intervenu, l’on constate une synergie des différents acteurs, accompagnée d’un soutien fort de VNF prêt à accompagner les industriels et à les inciter à exploiter les sédiments. Développer des voies de recherches participe au lancement de la dynamique. Si ce n’est réaliser des bénéfices, il serait sans doute possible de diminuer le coût actuel de la gestion des sédiments.

Hydratec intervient-il dans des études visant à de la prévention ?

Un très grand nombre de nos prestations est réalisé dans le cadre de la prévention, à savoir la limitation des quantités de sédiments qui se créent.

Nous réalisons des études en amont, pour les collectivités qui souhaitent réduire les effets du ruissellement sur leur territoire, pour le domaine agricole qui ne souhaite pas perdre ses sols… Nous proposons des solutions à mettre en place, valider, généraliser et faire connaître aux différentes catégories d’acteurs.

 

(1) La démarche Alluvio, mise en place par Voies Navigables de France (VNF) et menée par setec hydratec et setec lerm, vise à déterminer des solutions alternatives à la gestion définitive à terre des sédiments fluviaux et à trouver des filières de valorisation. Pour en savoir plus, lire l’entretien avec Marion Delplanque, chargée de mission Sédiment chez VNF.