Entretien avec Pascal Hiriart, Directeur Général de MCC2I
Bonjour Monsieur Hiriart, pouvez-vous tout d’abord nous présenter MCC2I ?
MCC2I est une entreprise fondée en 1996, dont le métier est la maintenance des cheminées industrielles. Il s’agit de notre métier dédié, autour duquel nous réalisons quelques prestations annexes et proches. L’entreprise est entrée en 2011 dans le groupe Poujoulat qui était alors spécialisé dans les cheminées des habitations de particuliers, et souhaitait étendre son périmètre vers l’industrie. Le groupe avait préalablement acquis la société Beirens, fabricant de cheminées neuves dans la région de Châteauroux. Avec l’intégration de MCC2I, Poujoulat a prolongé sa diversification en intégrant le métier de la maintenance des cheminées industrielles.
Nous travaillons quelquefois pour des particuliers mais majoritairement pour l’industrie, et principalement l’industrie lourde qui possède des grosses cheminées (raffineries, verreries, cimenteries, chaufferies, entreprises de l’agro-alimentaire…).
Avant d’aborder le sujet de la maintenance elle-même, pouvez-vous nous rappeler à quoi sert la cheminée sur un site industriel ?
Un site industriel est doté d’une cheminée dès lors qu’existe une installation à combustion, soit des chaudières pour produire de l’eau chaude ou de la vapeur, soit des fours qui servent à chauffer un produit pour le transformer.
Son rôle principal est celui d’aspirateur à fumée. Par sa hauteur, la cheminée crée une dépression et connectée en amont à un four ou à une chaudière, cette dépression a pour effet d’extraire du foyer les fumées de combustion.
Le deuxième rôle de la cheminée est de rejeter et de dissiper au mieux les fumées issues de la combustion, c’est-à-dire le plus haut possible pour une meilleure dispersion et ainsi limiter l’impact sur l’environnement. Si le calcul ‘environnemental’ de la hauteur (défini par des textes réglementaires) donne une hauteur supérieure à celle nécessaire à l’aspiration, c’est cette hauteur-là qui sera prise en compte.
Pour revenir à votre métier lui-même, quelles sont les opérations de maintenance qu’il est nécessaire de réaliser sur les cheminées ?
Il n’y a pas d’obligation légale, mais il existe une norme (NF EN 13084-1, septembre 2007) qui recommande de contrôler les cheminées tous les 2 ans. Cette norme ne présente pas de liste de points de mesure obligatoires.
La question que se pose – ou doit se poser – tout propriétaire de cheminée industrielle est : ma cheminée est-elle en bon état ? Les parties intérieures ne sont-elles pas corrodées, abîmées, percées ? Les parties extérieures présentent-elles une bonne sécurité ?
En termes de sécurité des parties extérieures, c’est assez similaire avec l’entretien d’un bâtiment.
Cependant, la spécificité des cheminées est que ce sont des appareils chauds qui subissent, du fait des fumées, de nombreuses attaques acides, qu’elles soient en métal, béton ou briques. Il faut donc régulièrement vérifier que ces attaques ne les abîment pas.
Par exemple, pour les cheminées en béton, on va trouver du vieillissement chimique ou des délavements en surface, qui font réapparaître des granulats, alors que normalement le béton devrait être lisse. Au fil du temps l’acidité ronge les parties extérieures, on perd un peu d’épaisseur.
Il faut aussi vérifier qu’aucun vieillissement structurel ne pose problème, c’est rare mais cela arrive, sur des ouvrages très vieux, sur des ouvrages en briques. Les vieillissements structurels peuvent également se révéler normaux et acceptables. Typiquement de la fissuration ou des épaufrures sur du béton sont les manifestations d’un vieillissement structurel, accentué par des effets induits pathologiques (corrosion…).
Enfin, l’état de tous les accessoires d’accès est contrôlé (échelles, passerelles…) mais aussi les accessoires de type paratonnerre, balisage lumineux aérien, et tous les piquages d’instrumentation.
Comment se réalise cet état de la cheminée ?
La maintenance et le diagnostic sont réalisés par du personnel différent, dédié à l’une et l’autre de ces deux activités.
En matière de diagnostic, nous déroulons sur site un programme type d’examen, quel que soit le type de cheminée. Il va consister à inspecter systématiquement toutes les parties citées auparavant (la partie interne pour le vieillissement chimique, la partie externe pour le chimique et le structurel, et enfin tous les accessoires).
Dans une cheminée, il y a deux tubes l’un dans l’autre. La partie extérieure assure la tenue structurelle au vent et autres intempéries (neige, séisme etc.). La partie interne n’est là que pour guider les fumées.
Les examens de la cheminée sont différents selon les matériaux. Si la cheminée est en acier, des mesures d’épaisseur par ultrasons sont réalisées. Si la cheminée est en béton, nous procédons à des contrôles visuels.
Nous prenons des photos, nous effectuons des relevés dimensionnels, des vérifications d’épaisseur… A la suite des diagnostics visuels, il arrive que nous préconisions des diagnostics complémentaires plus approfondis, parce que des zones présentant une usure anormale ont été détectées. Le matériau présente une apparence poreuse, il s’effrite… ces signes déclenchent une alerte, et nous indiquons au propriétaire qu’il faut investiguer plus avant et se préoccuper de savoir si le matériau dans ces zones n’est pas chimiquement affecté, parce que visuellement nous le suspectons. Voilà comment se déroule le processus d’expertise.
Comment ausculte-t-on l’intérieur des cheminées ? y a-t-il assez de place à l’intérieur ?
La plupart des cheminées industrielles ont un diamètre important. Un homme peut y entrer, voire plusieurs. Ce qui se fait de plus grand en cheminée se trouve dans les centrales électriques, thermiques, au charbon ou au fioul. Ce sont en France principalement des cheminées d’opérateurs de production d’électricité. La plus grande de France fait 300 mètres de hauteur. Le diamètre est de l’ordre de 12 mètres au sommet et de 30 mètres à la base. Mais en général, les cheminées thermiques font 200 ou 220 mètres environ de hauteur, avec un diamètre de 8 à 10 mètres au sommet.
Cependant, une chaufferie industrielle qui procure le chauffage urbain sur un petit quartier, a parfois des diamètres de l’ordre de 400 ou 500 millimètres. Il n’est pas alors possible de s’y glisser. Un mètre de diamètre environ est nécessaire pour qu’un homme puisse travailler à l’intérieur d’une cheminée.
Il existe des équipements spéciaux pour pénétrer dans la cheminée. C’est le même principe que le travail de cordiste, mais ce sont des petites sellettes et non des cordes qui sont utilisées. A l’aide de câbles, il est possible de progresser de haut en bas dans la cheminée pour aller faire l’inspection visuelle, les prises de mesures, et vérifier l’état. Pour les gros diamètres et les travaux lourds, on installe des passerelles circulaires dans les cheminées, qui montent et descendent sur des systèmes de treuils à câbles.
Lorsque vous détectez donc un problème chimique, un problème d’usure… que se passe-t-il ?
S’il y a un caractère d’urgence majeure, cela arrive rarement mais cela arrive tout de même, le propriétaire en est informé immédiatement, parce qu’il y a danger, une menace de chute par exemple. Il nous est arrivé de dire le jour même de l’inspection qu’il fallait impérativement établir un périmètre de sécurité autour de la cheminée et prévoir une intervention extrêmement rapide.
Mais le cas le plus classique est la rédaction dans le rapport d’expertise d’une liste de préconisations de maintenance : les garde-corps de la passerelle sont abîmés, il faut les remettre en état ou bien il faut les remplacer, la garniture réfractaire est endommagée mais cela peut encore fonctionner pendant six mois, un an, deux ans etc.
Un message particulier à faire passer concernant la maintenance des cheminées ?
Je pourrais faire une analogie avec la voiture et son pot d’échappement. Ce dernier ne suscite pas en général la même attention que celle que l’on porte aux autres parties du véhicule.
De même, la cheminée, c’est l’aval du processus industriel, le bout de la chaîne, et on pourrait avoir tendance à y attacher moins d’attention qu’au processus qui se déroule en amont. Or, les cheminées sont aussi un sujet de maintenance, comme le reste des installations.
Certains propriétaires industriels en sont très conscients, d’autres moins. Cela est dû à la méconnaissance des phénomènes interagissant entre les substances des fumées et les matériaux constitutifs des cheminées.
Et comme toujours en maintenance, plus on attend, plus les remises en état se révèlent coûteuses. Il faut aller voir de temps en temps. Mieux vaut le faire au fil de l’eau. C’est ça le message.
Quels sont les techniques et les métiers associés à la maintenance des cheminées industrielles ?
Au niveau du savoir-faire, dans les hommes et dans le matériel, tout est spécifique dans ce métier, parce que c’est un créneau étroit. Les techniciens qui montent sur les cheminées, savent ce qu’il faut y faire et comment le faire, à la fois en bonne sécurité et en bonne connaissance technique, représentent entre 50 et 100 personnes en France.
Les gens sont formés de A à Z parce qu’il n’y a pas d’école qui mène à ces métiers. Le savoir-faire est développé en interne, c’est un système qui s’apparente à de l’apprentissage.
Nous avons développé, au niveau des moyens d’accès, des techniques qui nous sont propres, basées sur des techniques existantes dans le commerce mais adaptées pour pouvoir travailler en cheminée, de manière sécurisée, rapide et efficace.
Cependant, toute la difficulté du métier est la mise en œuvre en grande hauteur, dans un environnement industriel. L’aspect sécurité est prépondérant, il y a une exigence de qualité, mais la singularité et la difficulté de cette activité tiennent au fait qu’elle se réalise dans un environnement où d’autres personnes évoluent et travaillent également autour de vous et au pied de la cheminée. Sans oublier la difficulté du planning, parce que la plupart du temps, les travaux sont à réaliser pendant les arrêts de production, qui sont par définition courts.
Petit détour du côté des premières cheminées d’usines qui étaient en briques. Quelle maintenance fait-on sur ces cheminées-là ?
Il existe deux catégories de cheminées en briques.
En France, un certain nombre de sites industriels anciens ont gardé leur activité industrielle et leurs cheminées en briques. Elles sont utilisées et font l’objet d’un entretien. Leur spécificité est leur âge. A ma connaissance, la construction de cheminées en briques s’est arrêtée aux environs des années 60-70. Les briques sont alors abandonnées pour le béton. Ces cheminées en briques datent donc des années 50, parfois d’avant. Certaines de celles sur lesquelles nous avons travaillé dataient de 1920. Elles peuvent donc avoir une centaine d’années.
Un programme de maintenance spécifique est appliqué, avec un suivi de vieillissement notamment des matériaux. La faiblesse réside principalement dans le vieillissement des joints de maçonnerie. Or, dans une usine qui a toujours été exploitée et entretenue, les briques restent en très bon état car elles sont chaudes en continu. Les matériaux résistent mieux en étant maintenus à température. Donc le niveau de dégradation, notamment vis-à-vis des intempéries, est moindre. Nous réalisons régulièrement les inspections intérieures et extérieures. L’entretien courant consiste à refaire du jointoyage et entretenir la partie réfractaire à l’intérieur.
Cela se complique un peu avec les cheminées qui ne sont plus en activité. Dans des régions qui ont un passé industriel important, comme la région Nord ou l’Est, l’on peut voir beaucoup de cheminées, le long des voies ferrées, des canaux et à proximité des villes. Certaines sont complètement à l’abandon, et quasiment en ruines, voire un peu dangereuses, car des éléments peuvent se détacher. Et d’autres sont maintenues en état, au titre patrimonial. Parce qu’elles ont un intérêt dans l’histoire industrielle. Il existe des programmes de réhabilitation. A ce moment-là, nous avons des donneurs d’ordre très variés, des communes, des particuliers ou éventuellement d’anciennes entreprises, qui ont encore une co-activité, qui entretiennent le patrimoine immobilier même s’il n’est plus utilisé.
La maintenance est rendue plus compliquée, car ces cheminées sont restées arrêtées très longtemps, ont été soumises aux intempéries sans être chaudes, et ont été moins entretenues, ne faisant plus partie de la chaîne de production. Les pathologies sont plus nombreuses et plus fortes.
La maintenance pour l’environnement
Au niveau environnemental, que peut-on dire concernant les cheminées, au regard de nos préoccupations fortes d’aujourd’hui en matière de pollution ? Nuisance sonore, fumées… on ne peut pas éluder cette question d’évacuer la vapeur d’eau, les gaz etc. dans les sites industriels, les cheminées sont donc destinées à perdurer. Dans les fumées de combustion, il y a des polluants. Sur les gros sites, la gestion de la dépollution des fumées n’est pas traitée dans la cheminée, parce qu’il n’y a pas assez de place, mais entre le four et la cheminée. C’est là où vient s’installer le système de dépollution. Ce sont des équipements très différents d’une cheminée auxquels nous ne sommes pas confrontés, mais un département dans le groupe Poujoulat propose des systèmes de dépollution en amont des cheminées, sur la ligne d’échappement. Au niveau de la cheminée, nous mettons en place une instrumentation, des appareils qui prennent en permanence des mesures sur les fumées, afin de vérifier leur conformité à la réglementation pollution qui impose des seuils maximums pour chaque type de polluants. Réglementation assez complexe et technique, comme souvent les réglementations environnementales. Chaque usine doit d’une part respecter cela, mais également son arrêté d’exploitation, le document officiel qui lui donne le droit de fonctionner, dans lequel il peut y avoir localement des éléments plus restrictifs que la réglementation nationale. Pour l’aspect bruit, il y a aussi des normes. Chaque usine doit avoir un seuil de bruit à ne pas dépasser. Sont donc installés, effectivement la plupart du temps à l’intérieur des cheminées, des dispositifs silencieux. Des silencieux passifs sont posés dans le tube, pour diminuer le niveau sonore, généré en amont par les ventilateurs etc. Une autre question environnementale liée à la cheminée, est liée aux lois qui régissent les dissipations de panaches. Ces panaches de fumées contiennent des polluants, ils doivent être évacués le plus haut possible, pour une meilleure dissipation. La hauteur des cheminées en briques qui n’ont pas été conçues en fonction de ces normes récentes, est-elle bien adaptée à la dissipation des fumées ? Les réglementations actuelles sont immensément plus contraignantes qu’autrefois, et parfois il n’y avait même pas de réglementations. Mais les cheminées étaient déjà très hautes, pour assurer le tirage nécessaire aux fours de l’époque, et parce qu’on savait également que les panaches de fumées gênaient les populations. En général, il faut vérifier les hauteurs, mais il est rarissime qu’il y ait des cheminées en briques trop courtes. Le système servant à diminuer le niveau sonore est-il soumis à maintenance ? Les fumées ne sont-elles pas susceptibles de l’abîmer ? Ce sont des éléments statiques passifs, des plaques de 20 cm d’épaisseur, de plusieurs mètres de hauteur, dont les flancs sont perforés et qui sont remplies de laine de roche ou laine de verre, la même qui sert à isoler les bâtiments. Les vibrations de l’air pénètrent à l’intérieur par les trous et sont amorties par la laine de verre. Elles sont disposées parallèlement avec un espace entre elles, ou bien en bulbes concentriques (anneaux). Nous les vérifions, nous prenons des photos, nous utilisons un endoscope pour regarder l’état des plaques, si elles ne sont pas perforées, corrodées, abîmées ou décollées et pour voir si la laine de roche est toujours présente. Comme il y a un passage de fumée permanent, il y a effectivement un effet d’érosion sur ces matériaux. |