Entretien avec Robert Giraud, Ingénieur, Expert près la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence
Dans les précédents entretiens de cette lettre d’information, nous avons vu ce qu’est un Expert et quand il fait appel à un laboratoire. Nous souhaitons, avec vous, voir comment l’Expert rédige son rapport et le rôle qu’y jouent les résultats du laboratoire… Mais peut-être convient-il de revenir, un peu en amont, à la définition du programme d’investigation ?
Avant même de contacter un laboratoire, l’Expert, lors d’une réunion d’expertise, est tenu d’informer les parties de sa première approche de l’affaire et des moyens d’investigations qu’il propose de en œuvre. Cette réunion est l’occasion d’un débat qui permet à chaque partie de donner son avis. S’il envisage de recourir à un laboratoire pour conduire des essais ou des analyses qu’il ne peut mener lui-même, l’Expert en informe les parties.
Le corps de la mission du laboratoire lui est fourni par l’Expert sous la forme de ce qu’on pourrait appeler un cahier des charges. Naturellement cet ordre de mission n’exclut nullement un échange entre l’Expert et le laboratoire pour compléter ou moduler la batterie d’analyses. Si cet échange devait modifier le programme de façon sensible, l’Expert en informerait chacune des parties.
A l’issue de ces discussions techniques, le laboratoire chiffre sa prestation. Le devis est diffusé aux parties qui, d’ailleurs peuvent demander la mise en concurrence du laboratoire, à moins que l’Expert pour une raison précise, comme la maîtrise d’un mode opératoire particulier par exemple, souhaite que les analyses soient menées par ce laboratoire en particulier.
Le laboratoire peut donc se mettre au travail ?
« Pas encore, ce serait imprudent ! L’Expert doit, au préalable demander au juge une ordonnance de consignation complémentaire qui permette de financer les travaux du laboratoire. C’est seulement quand cette consignation est provisionnée par la ou les parties désignées que l’Expert peut passer commande au laboratoire car c’est lui même, qui le paiera. L’Expert doit alors informer les parties de la date des prélèvements in situ et même des dates des analyses, car théoriquement, par respect de la procédure contradictoire, chaque partie peut assister à l’ensemble des opérations ».
Après conduite des essais et analyses, le laboratoire remet donc à l’Expert ses résultats ?
Oui… Il convient de noter que ces résultats sont bruts. Ils doivent être factuels et sans conclusions. C’est en effet à l’Expert d’analyser les données qui lui sont fournies, de les commenter et de les synthétiser en un avis. Cela bien sûr n’interdit nullement les échanges entre le laboratoire et l’Expert.
A la livraison des résultats du laboratoire, l’Expert provoque en général une réunion technique à laquelle peut participer le laboratoire. Cette réunion est l’occasion d’un débat contradictoire sur l’étude menée. Les questions des parties ne portent pas tellement sur l’avis, qui n’est d’ailleurs pas encore clairement formulé, mais sur les techniques opératoires employées, les incertitudes sur les mesures, les tolérances, etc…et sur les premiers enseignements tirés.
C’est maintenant à l’Expert de rédiger son rapport…
C’est exact. Et cela se fait en plusieurs temps.
Les résultats du laboratoire appartiennent aux nombreuses informations que l’Expert a rassemblées à sa disposition : ses examens propres, l’historique de l’ouvrage, de sa construction, de sa maintenance, de ses réparations, son environnement, etc… l’opinion que se fait l’Expert à partir de l’analyse de l’ensemble de ces éléments est décrite dans un document dit pré-conclusions. Ce document fait l’objet d’un débat contradictoire. L’une des parties peut souhaiter approfondir ou préciser encore tel ou tel point et demander un complément d’analyse.
L’Expert doit alors retourner vers le juge pour demander une nouvelle consignation complémentaire, qui sera alors, en principe, versée par le demandeur. Avant diffusion des pré conclusions, une réunion de synthèse peut avoir lieu. A l’issue de cette réunion ou après les pré conclusions et dans le délai accordé par l’Expert, celui-ci prend connaissance des arguments des parties rédigées sous forme de dires à l’Expert et il y répond dans son rapport dans ce qu’on appelle les réponses aux dires.
Il peut arriver que l’opinion de l’Expert soit modifiée par l’argumentation de l’une des parties.
S’il révise ses conclusions provisoires, il doit alors proposer de nouvelles pré-conclusions qui vont faire, une fois encore, l’objet d’un débat. Je profite de ce moment pour souligner deux points essentiels de la procédure civile que sont le respect du contradictoire et le fait que
le procès est “la chose” des parties. Il peut ainsi arriver qu’à un moment de la procédure, les parties se mettent d’accord, sur une conclusion, dans ce cas, l’Expert constate la conciliation, en informe le juge et arrête ses opérations. La mission de l’Expert s’éteint alors automatiquement.
Mais revenons au déroulé de notre procédure : après le débat sur les pré-conclusions et la prise d’acte des différents dires, l’Expert rédige son rapport. Dès qu’il le remet au juge, l’Expert est dessaisi de sa mission.
Peut-il arriver que le juge entende directement le laboratoire ?
Non… Le débat technique a lieu devant l’Expert et non devant le juge. Dans la majorité des cas, le juge suit l’avis de l’Expert. Dans le cas où il ne le suit pas, c’est qu’il a été troublé par l’argumentation de l’une des parties. Il peut alors ordonner une contre-expertise, qui relance la procédure, ce qui est coûteux en temps et en argent. Ce cas de figure est rare, il est, le plus couramment prévenu par la bonne conduite du débat technique tout au long de l’expertise.
Il est rare, que des techniciens de bonne foi dans le cadre d’une expertise bien menée où chacun a pu exprimer son point de vue, ne tombent finalement pas d’accord sur les questions d’ordre purement techniques. C’est tout l’intérêt de l’expertise que de mener à la manifestation de cette “vérité” et d’y conduire par un processus contradictoire qui, non seulement assure la transparence, mais également l’efficacité de la procédure.
Nota : la procédure grossièrement décrite ci dessus doit en fait suivre rigoureusement le Code de Procédure Civile et notamment les articles 232 à 248.