Les blockhaus du Mur de l’Atlantique : des éprouvettes in situ et en temps réel

news_letter13_guedonSylvine Guédon est Docteur en Pétrographie Volcanologie, Chef de la Section Géologie, Mécanique des Roches et Géotechnique de l’Environnement (GMRGE) au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées (LCPC).

LERM
Vous avez fait une communication en juin 2007 sur une recherche concernant l’état de conservation et la formulation originelle des bétons du mur de l’Atlantique. L’une de vos préoccupations était, par l’étude de ces structures vieillies naturellement sur site pendant 50 ans, de comparer le vieillissement observé in situ au vieillissement obtenu par essais accélérés en laboratoire. Cette démarche sur la durabilité située à l’intersection de l’étude du passé des ouvrages et de la modélisation du devenir des matériaux des structures à construire s’inscrit parfaitement dans la thématique de notre lettre d’information…
Sylvine Guédon
Cette image du carrefour entre le passé et le futur est intéressante pour ce qui concerne les études d’aujourd’hui sur la durabilité. On ne construit pas de modèles de durabilité sans faire appel à l’expérience : à partir de l’inventaire détaillé des caractéristiques physico-chimiques des matériaux anciens, on évalue leur transformation au cours du temps et les mécanismes de leur vieillissement. On en déduit les paramètres d’évolution des matériaux, paramètres qui sont ensuite introduits dans les modèles numériques de comportement. L’accélération des processus de vieillissement et les retours d’expérience in situ sont des méthodes qui se tiennent en constante complémentarité.

LERM
Comment avez-vous été amenée à concevoir cette étude originale sur les bétons du Mur de l’Atlantique ?

Sylvine Guédon
Si cette étude est originale, sa genèse relève d’une anecdote qui l’est sans doute tout autant : il se trouve que je reçois un jour un coup de téléphone d’un maire d’une commune du littoral de la Seine-Maritime. Un blockhaus est tombé et s’est littéralement planté sur une plage de la commune ; il s’inquiète de la sécurité de la plage et des personnes qui peuvent s’y trouver.

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Sainte-Marguerite-sur-Mer

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Hardelot-sur-Mer

Il me demande donc d’étudier l’évolution de cet édifice et de déterminer les dangers susceptibles d’être occasionnés par sa présence. Autre originalité de cette étude, je la mène sans mandat officiel, dans un souci de service public, dans le souci d’apporter une réponse aussi rapide que possible à l’inquiétude de cet interlocuteur.

Une visite sur le site révèle que, du fait du caractère menaçant que prenait cette construction au sommet d’une falaise soumise au retrait, les pompiers ont fait tomber le blockhaus d’une hauteur de 30 mètres… sans que sa structure en souffre. Un examen des faces du bunker révèle, sur l’une d’elle, une énorme pustule à la surface du béton. Les pompiers n’ayant pas utilisé d’explosif (ils ont déchaussé l’édifice à la lance à eau), cette pustule n’a pu être occasionnée par explosion. L’examen des prélèvements révèle une réaction alcaline très évoluée et très expansive.
Mes promenades dans la région (n’oubliez pas que je mène cette investigation sur mes week-ends), me font mesurer l’ampleur de ce qu’on appelle le Mur de l’Atlantique et la quantité d’ouvrages qui le constituent.
Géologue de formation, je m’intéresse au béton, et particulièrement aux granulats. La diversité géographique des ouvrages du Mur me donne l’idée de le mettre à contribution pour étudier le rapport qu’il peut y avoir entre la nature minéralogique des granulats employés localement et l’état de vieillissement des blockhaus.

LERM
L’aire géographique retenue est une autre originalité de cette étude…
Sylvine Guédon
En effet, elle s’étend sur 300 km, du Cap Gris-Nez à la pointe du Cotentin. Face aux 2000 km de longueur du Mur de l’Atlantique et les 15 000 blockhaus construits, l’étude de 7 blockhaus sur 300 km de cotes peut paraître réduite.

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Localisation des échantillons de l’étude

 

LERM
Cette diversité ne vous a-t-elle pas posé des problèmes méthodologiques supplémentaires ?

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Pointe du Hourdel

Sylvine Guédon
Si, bien sûr, mais le problème méthodologique majeur s’est révélé être celui des sources bibliographiques. Avec Mr. Drouet, documentaliste du LCPC, nous avons mené une recherche, qui s’est avérée passionnante, pour tâcher de documenter les ouvrages, mais nous n’avons trouvé aucune formulation de béton… Sans doute parce que les bétons mis en œuvre sur de telles distances ont été formulés selon des recettes locales, formulations que nous n’avons pas retrouvées, les entreprises concernées n’ayant pas souhaité garder la mémoire de leurs activités pendant cette période difficile. C’est la disponibilité des sources qui a guidé le choix de la zone située entre Calais et Cherbourg, zone qui présente aussi la plus grande densité de construction.
Nos seuls témoins ont donc été les blockhaus eux-mêmes et nous les avons donc fait parler sur leur histoire et sur leur formulation d’origine en réalisant des analyses spécifiques couplant l’analyse chimique et thermogravimétrique, les observations microstructurales des phases ciment et granulat pour finalement, réaliser un calcul minéralogique.
LERM
Quels ont été les principaux résultats de ces analyses ?

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Construction du Mur (1942)

Sylvine Guédon
Du point de vue de la composition des bétons, nous n’avons pas recensé plus de trois faciès de granulats, issus donc, comme nous nous en doutions, de productions locales et nous avons identifié des ciments provenant de deux grandes cimenteries de la région.

Quant aux réactions internes du béton, elles peuvent se partager en deux grandes familles, l’alcali-réaction regroupant la réaction alcali-silice et la réaction alcali-silicates et la réaction sulfatique.
Les réactions se sont développées dans ces bétons à cause de la présence de granulats de type silex capables de libérer de la silice. L’incorporation de laitier dans la phase sableuse de certains bétons a pu empêcher l’apparition de produits de réaction. Les ciments étaient eux-mêmes généralement alcalins, ceci augmenté du fait de l’utilisation de l’eau de mer pour le gâchage et de sable de plage non lavé. Les réactions ont généré des produits de réaction classiques mais peu de gonflements délétères ont été enregistrés à cause de la présence d’un ferraillage intense destiné à résister à l’impact des bombes.
LERM
Qu’en est-il de la confrontation entre vieillissement in situ et vieillissement accéléré de la même formule en laboratoire ?
Sylvine Guédon
Cette étape de l’étude reste à réaliser : nous avons bien mis à jour les compositions originelles de ciment mais nous n’avons pas encore trouvé de ciment dont la composition serait proche de celles analysées. Cette étape serait pourtant riche d’enseignements.
J’ai été, par ailleurs, amenée à travailler sur ce même thème des leçons du passé sur un barrage qui devait être construit près d’un barrage précédent. L’ouvrage ancien a servi de témoin de vieillissement pour la conception des bétons de l’ouvrage à construire. Il est rassurant de constater que les analyses des vieillissements in situ confirment généralement les résultats des vieillissements accélérés.

LERM
Et si vous notez des discordances ?

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Graye-sur-Mer

Sylvine Guédon
Cela signifie souvent que les paramètres retenus pour les essais ne sont pas aussi importants qu’on avait d’abord pu l’imaginer. Ce qui compte le plus aujourd’hui, me semble-t-il, c’est de suivre aussi finement et aussi longtemps que possible la cinétique d’évolution d’une réaction. Imaginez que pour des ouvrages modernes comme le viaduc de Millau, la durée contractuelle de service est de 120 ans . A cette échelle, 50 ans de vieillissement, c’est peu. Le vieillissement à 5 mois est le temps demandé dans les normes et avec des essais réalisés en enceintes de vieillissement accéléré, s’il s’agit certes d’une donnée à prendre en compte. On doit aussi veiller à observer les résultats sur des périodes plus longues car les réactions mises en jeu ont une cinétique qui parfois tarde à se développer. Enfin la prédiction sur la durabilité doit s’accompagner d’un suivi des ouvrages, suivi qui permette l’alimentation des bases de données des modèles prédictifs certes, mais qui autorise aussi un processus permanent de diagnostic, d’entretien et de réparation préventive qui prévienne, justement, le développement des pathologies.

 

Référence :
A la recherche de la formulation originelle et de l’état de conservation des bétons du mur de l’Atlantique, avec F. Martineau, G. Martinet, A. Ammouche, in 11th Euroseminar on Microscopy Applied to Building Materials 5-9 June 2007, Porto, Portugal.