Entretien avec Thibault Chatillon, Chef de projet « Setec Capture » et Yann Bagbonon, Responsable du « pôle Inspections », Diadès Vitrolles
Pourriez-vous tout d’abord nous présenter Diadès ?
Thibault Chatillon : Diadès est une société du groupe setec, spécialisée dans le diagnostic et la réparation des ouvrages de génie civil, et qui réalise notamment des inspections et les études de réparation de tous types de structures : ponts, tunnels, cheminées, barrages, aéroréfrigérants, bâtiments, …
Nous souhaiterions connaitre les applications de captures d’images que vous mettez en oeuvre. Quelle est la fonction du drone chez Diadès ?
TC : C’est un outil déporté qui capture des images permettant l’aide au diagnostic. Cette vue déportée des structures était auparavant effectuée soit par des cordistes soit depuis des nacelles élévatrices. Aujourd’hui, le drone permet de pallier ces techniques un peu plus dangereuses, et de récupérer beaucoup plus d’informations, pour produire des éléments qu’un cordiste ou un inspecteur sur nacelle n’était pas capable de produire, hormis un reportage photo et une cartographie. La photogrammétrie, la modélisation ne faisaient pas partie de ces éléments.
Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur les technologies utilisées ?
TC : Il existe plusieurs méthodes : soit un inspecteur procède à une levée de doutes en effectuant une prise de photos qui n’est pas destinée à une modélisation mais à un simple reporting photo ; soit le recouvrement total de la surface inspectée par photographies HD est réalisé, qui génère de la photogrammétrie, permettant d’avoir différents rendus : modèle 3D, modèles 3D avec texturage, nuages de points, orthophotos, cartographie sur l’orthophoto projetée sur un modèle 3D …
Comment se décide en quoi va consister la mission ?
TC : Le cahier des charges du client sert de base pour permettre le choix du type d’engin à utiliser et la distance de capture, en fonction du capteur à embarquer. Chaque engin a un capteur avec des capacités spécifiques qui détermine la distance à adopter en fonction de la résolution attendue. Le plan de vol, le recouvrement ainsi que le nombre de trames de trajectoires qui vont se croiser pour pouvoir recouvrir en totalité la zone, sont définis. La photogrammétrie exige en effet un recouvrement plus complet que pour une photo classique. En règle générale, il doit être de 60 à 40% à l’horizontal et en vertical, et parfois plus si l’on recherche beaucoup plus de définition.
Aujourd’hui, l’ouverture classiquement recherchée est de 0.3 mm, mais elle peut parfois être de 0.1 mm, ce qui oblige à avoir une méthodologie pour obtenir une définition précise par pixel, voire en deçà…
Des précisions sur le facteur météo qui peut avoir une incidence sur la mission ?
TC : Autant le vent que la luminosité peuvent influencer la qualité des rendus. Aujourd’hui, nos engins peuvent voler entre 30 et 40 km/h maximum. Mais ce n’est pas non plus un confort de réalisation, parce qu’on doit se positionner relativement près des ouvrages ; s’il y a du vent, on peut toucher la structure. La luminosité est ce qui va contribuer à la qualité de l’image. Et cette qualité est aujourd’hui relativement importante surtout si une définition relativement élevée est exigée. Enfin, la pluie est un scénario difficile. Certains de nos engins peuvent évoluer quand il pleut, néanmoins la photo n’est pas exploitable lorsque le capteur est mouillé et des gouttes d’eau présentes sur l’objectif.
Dans le cas des cheminées, quels sont les réglages à effectuer, en particulier à l’intérieur des conduits où l’espace et la luminosité sont des facteurs particuliers ?
TC : Auparavant, nous avions un outil qui permettait de faire presque tout, mais de façon moins précise. Depuis plusieurs années, nous définissons différents outils et approches pour différentes applications et choisissons nos capteurs et le drone adapté à la mission en fonction du cahier des charges et des conditions de vols de chaque mission. Une des solutions proposées est un engin équipé de protection et de lumières, qui permet d’aller relativement près et même au contact du parement. S’il s’agit d’un espace confiné, il s’agit du même engin que celui qui permet d’effectuer les inspections de canalisations ou de conduites…
Aujourd’hui, nous avons également des applications autres que les drones, comme des solutions de perches ou de câbles qui permettent de descendre un outillage avec une vision panoramique, ou bien un système qui permet de faire l’acquisition de tunnels avec des caméras thermiques. Nous menons différentes expérimentations qui nous permettront de décider des cas où il est plus pertinent d’utiliser l’une ou l’autre des solutions. Dans le cas de cheminées, nous réalisons les rendus de l’intérieur et l’extérieur, en les faisant correspondre, ce qui n’est pas évident à reconstituer.
Parlez-nous effectivement des restitutions que vous effectuez ?
TC : Selon l’attente du client, nous proposons différentes options. En règle générale, c’est une cartographie à plat, éventuellement des ortho-photos : la représentation de l’ouvrage en photos à plat. Les autres options peuvent être des modèles 3D tuilés qui permettent de zoomer relativement près. Les nuages de points servent à différentes autres analyses, à des créations de modèles.
Nous pouvons également réaliser des nuages de points, parce que, dans le cadre d’avant-projets, cela permet de pouvoir dessiner par-dessus, d’observer des corrélations avec d’autres plans déjà élaborés. La technique du nuage de points permet d’effectuer des mesures entre plusieurs points et de comparer. Lorsqu’il y a un texturage ou même un maillage, hormis d’aller dans les précisions très pointues, c’est toujours une approximation, une extrapolation de certains points qui parfois peut être facteur d’erreur, de par la présence d’un artefact, un fantôme. La photo est une vision qui peut être perturbée par un reflet, quelque chose qui se trouve devant l’objectif.
Ce que nous voyons sur la tablette n’est pas assez significatif pour pouvoir observer par exemple une fissure. Des éléments de l’ordre du centimètre ou du millimètre sont très délicats à observer sur le terrain. Bien sûr, si les pilotes observent quelque chose de vraiment rarissime, ils en font un reporting quasiment en temps réel. Mais le détail des données est exploité au bureau. Et au final, les inspecteurs délivrent les interprétations. Le diagnostic est alors élaboré par nos inspecteurs spécialisés à partir des modèles 3D et des traitements semi-automatiques des images.
Aujourd’hui, peut-on imaginer envoyer un drone sans pilote ?
TC : C’est aujourd’hui un projet envisageable. Nous réalisons actuellement un POC (Proof Of Concept) en expérimentation sur des écluses, où un drone autonome, placé dans une boîte et intégrant des plans de vols prédéfinis, pourra aller se recharger automatiquement. L’intérêt de l’automatisation dépend du type d’inspection. Le survol d’un champ ne nécessite pas de pilote. Sur une cheminée où réside une multitude de risques, un opérateur qualifié est exigé. Cependant, une machine faisant seule le recouvrement d’un ouvrage inscrit dans son programme est une solution que des fabricants proposent déjà. La précision reste à affiner mais cela existe. Sur la ligne AEB (Aix Etang de Berre), nous avons réalisé un vol autonome, en modélisant et planifiant le parcours, identifié au bureau, confirmé et lancé sur le terrain. Le vol autonome, répondant à des critères et à des positionnements techniques, est parfois plus précis que le relevé humain.
La solution mobilité sera peut-être totalement envisageable dans 10/15 ans. Aujourd’hui, c’est un peu prématuré. De nombreuses problématiques viennent se greffer, comme la présence d’un pilote rendue obligatoire par la réglementation, les contraintes de l’interactivité des sites (voies ferrées, routes…) et la population, qui doivent à terme être identifiés.
Mais au-delà de la surveillance de structures, les secteurs d’application de la mobilité sont le transport de marchandises ou d’humains, le sauvetage, la livraison du courrier sur les derniers kilomètres…Techniquement, c’est faisable. La dernière brique à positionner dans ce domaine est la gestion des engins volants, l’organisation de la logistique autour de l’information mutualisée des engins référencés, et de l’espace aérien.
Il s’avère que l’automatisation est bien un sujet en plein développement.
TC : C’est pourquoi le retour sur expérience (REX) de toute mission par drone joue un rôle de première importance. Les modes opératoires sont remis en question et évoluent constamment. Par exemple, dans le cadre de l’inspection d’une tour aéroréfrigérante ou d’une cheminée, les captures d’images par montées et descentes verticales a généré des reprises de recouvrement, suite à des doutes quant au déplacement du drone et à l’absence de GPS. Par la suite, la multitude de données à traiter s’est révélé chronophage. Nous avons ainsi, après plusieurs études, opter pour des captures hélicoïdales, ce qui permet d’éviter les écueils rencontrés. Nous recherchons aujourd’hui des optimisations et la garantie d’une qualité en constante évolution sur les techniques que nous utilisons.
Pouvez-vous nous dire quels désordres Diadès a été amené à observer sur les cheminées ?
Yann Bagbonon : Les principales pathologies que nous avons été amenés à diagnostiquer sur les cheminées en béton sont :
- des éclats de béton avec acier apparent, ou des éclats de bétons en formation (zones de décollement du béton)
- des fissures horizontales et/ou verticales
- des fissures plus ou moins traversantes (intérieur et extérieur). Ces fissures font naître des fuites à des endroits où des fluides ne sont pas censés s’échapper. Cela n’est pas toujours gênant pour l’exploitation, mais cela accélère la dégradation.
Les désordres dépendent de la nature des fumées qui sont évacuées dans les cheminées.
S’il s’agit de vapeur d’eau, des calcites sont visibles sur les parements externes, avec des traces de couleur de calcite. C’est plus ou moins un signe avant-coureur qu’il pourrait s’agir d’une fissure traversante.
S’il s’agit de gaz, on couple nos interventions avec une caméra thermique HR. Celle-ci permet d’observer les différences de température sur les parements, les zones un peu plus chaudes, les zones d’exfiltration qui traversent toute la paroi, et les zones d’éclats de bétons en formation (que ce soit traversant ou non).
Dans le cas de traces de calcites sur les parois, il est possible de savoir si elles sont ou non traversantes, en effectuant des relevés infrarouges, pour détecter les zones concernées.
Quand le désordre est moins conséquent, comment se présente-t-il ?
YB : Il existe effectivement une notion de qualification des désordres. Si les fissures sont de l’ordre de 0,1 à 0,3 jusqu’à 0,5 millimètre, ce n’est pas forcément grave si elles sont stabilisées. Par contre, de 0,5 à 1 mm d’ouverture, l’on doit s’interroger sur les causes possibles de ces désordres, et surtout sur les traitements, sans oublier qu’on ne voit jamais la cause mais toujours la conséquence…
Il peut s’agir d’un problème mécanique, issu d’un effort plus important à certains endroits de la structure, qui présenterait des faiblesses. Cela peut être dû à un phénomène physico-chimique, qui génère la corrosion des aciers sous-jacents et par la suite, provoque des poussées sur une partie du béton, et sa fissuration ; ou bien nous sommes face à un simple retrait du béton. Les fissures de retrait sont beaucoup plus fines et les ouvertures dans ce cas beaucoup plus légères. Elles sont néanmoins contrôlées dans le cadre classique des cycles habituels de surveillance des ouvrages. Si leur ouverture passe de 0,1 à 0,5 millimètre en peu de temps, l’on s’interrogera davantage sur le phénomène qui en est à l’origine.
L’ouverture de la fissure est donc un paramètre qui permet de qualifier le désordre ?
YB : Oui mais pas uniquement. L’ouverture, mais aussi sa position sur le fût, l’évolution, la profondeur, l’activité, …sont autant de facteurs à caractériser. Si une fissure se trouve en plein milieu du fût, qu’elle est horizontale et qu’elle fait le tour de la structure, on est amené à investiguer bien plus avant car ça peut être grave…. Certaines cheminées précontraintes portent des cerceaux, et les fissurations se produisent sur le cachetage des abouts de la précontrainte. La position et l’ouverture des fissurations participent à la caractérisation de la gravité du désordre.
Y a-t-il des pathologies se manifestant plus particulièrement sur certaines zones de la cheminée ?
YB : Les désordres les plus susceptibles de se produire dans la partie haute de la cheminée sont les éclats de béton et les éclats en formation. Ce sont les zones chaudes, comportant un certain taux d’humidité. En modifiant le pH du béton, la vitesse de corrosion augmente, le béton gonfle, et éclate.
Par souci de sécurité, pour le personnel opérant en-dessous, les zones d’éclats des cheminées sont purgées et retraitées, afin d’éviter que les petites particules de béton ne viennent à tomber sur ceux qui travaillent. On purge les éclats, on brosse les armatures, on passive l’acier pour limiter/freiner le phénomène de corrosion d’armatures, et on ragrée avec du mortier adapté pour protéger les armatures de toutes les agressions extérieures et de tous les phénomènes physico-chimiques créés par l’air ou les fumées.
Pour les autres zones ?
YB : La capacité de la fondation et de l’assise est essentielle. Dans le bas de la cheminée, il peut y avoir plusieurs phénomènes.
Un tassement différentiel entre les fondations et la cheminée elle-même peut entraîner une fissuration typique, verticale, bien caractéristique, relativement importante en ouverture. Nous cherchons néanmoins à en préciser la cause. Est-ce une défaillance dans le calcul de dimensionnement, ou bien est-ce une défaillance des armatures ? Le ferraillage à l’intérieur permet de reprendre les efforts de la structure. Si ces derniers n’ont pas été pris en compte ou si les aciers sont dégradés, alors se manifeste une pathologie. Nous réalisons l’inspection visuelle puis le programme des investigations qui pourra comprendre des essais et analyses sur les matériaux, afin que nous puissions déterminer au final la cause exacte de la pathologie observée, à l’issue du diagnostic.
Ensuite, à l’intérieur des cheminées, il est possible d’avoir des dépôts de mousse, car de la végétation se développe dans ce milieu chaud et humide. Nous pouvons constater également la présence de larges zones de calcite, mais aussi des éclats de béton en formation car l’eau et les agents extérieurs ont réussi à pénétrer jusqu’aux armatures, et ont accéléré sa corrosion. Des opérations qui font tomber les plaques de mousse sont aujourd’hui mises en œuvre, afin d’être en capacité d’observer l’état des parois.