GranDuBé : Compte rendu du projet Grandeurs Associées à la Durabilité du Béton

Entretien avec Abdelkrim Ammouche, Directeur du Pôle Recherche & Innovation du LERM

 

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Abdelkrim, tu as participé avec plusieurs de tes collègues du LERM, au projet GranDuBé. Les travaux de ce groupe de travail ont débouché sur la publication, en 2007, d’un ouvrage qui en rend compte. Peux-tu nous parler des enjeux de ce projet ?

Abdelkrim Ammouche
La durabilité et la maintenance des ouvrages sont une exigence incontournable des maîtres d’ouvrages. L’assurance d’une durée de service dans des conditions optimales de sécurité est aujourd’hui un paramètre intégré à la conception même de l’ouvrage. Pour répondre à cet impératif, il est nécessaire d’ajouter au contrôle de la qualité des constituants, la validation de critères de performance de la formule de béton. Cette dernière approche, dite performantielle, permet d’apporter un niveau de sécurité supplémentaire dans la conception des bâtiments et ouvrages de génie civil aux moyens exigés dans les normes en vigueur (NF EN 206-1 et Eurocode 2).

Dans cette perspective, de nombreux essais, et analyses, non couverts par des normes, et ayant fait l’objet, pour la plupart, de travaux de recherches et de mises au point, parfois depuis de nombreuses années, sont conduits dans les laboratoires. Cependant, en raison de l’existence de variantes ou de conditions opératoires différentes pour mesurer une grandeur donnée, il n’était pas toujours aisé de comparer certains résultats d’essais obtenus dans différents laboratoires. L’objectif de GranDuBé était donc de pouvoir recommander des modes opératoires harmonisés pour la mesure d’une série de grandeurs admises comme décisives au regard de la durabilité des bétons. Les dix-huit partenaires du projet étaient des laboratoires, publics et privés, des entreprises de la construction et de l’industrie cimentière.
LERM
Comment ont été retenues les grandeurs significatives au regard de la durabilité ?
Abdelkrim Ammouche
Les grandeurs retenues dans GranDuBé ont été choisies dans le même esprit et aussi dans une certaine continuité par rapport aux travaux réalisés par l’ancien groupe AFPC-AFREM [2]. Il s’agit de données communément admises comme étant essentielles pour la durabilité, en particulier vis-à-vis de la corrosion des armatures et des attaques chimiques endogènes ou exogènes. De plus, certaines grandeurs ont été choisies du fait qu’elles étaient déjà identifiées en tant qu’indicateurs de durabilité dans le cadre de l’approche performantielle de l’AFGC [3] et il était opportun d’élaborer des modes opératoires détaillés permettant leur détermination.
LERM
Il a été créé différents groupes de travail ?

Abdelkrim Ammouche
En effet, pour des raisons d’efficacité, l’ensemble du travail a été partagé entre plusieurs sous-groupes chargés chacun d’une thématique particulière :

Sous-groupe  » Ciment  » : dosage en ciment, degré d’hydratation et teneur en portlandite (Ca(OH2)
Sous-groupe  » Microstructure  » : microfissuration, porosimétrie mercure, porosité accessible à l’eau et perméabilité à la vapeur d’eau.
Sous-groupe  » Chlorures  » : extraction et dosage des chlorures, mesure de coefficient de diffusion par essai de migration. Détermination des isothermes d’interaction chlorures/matrice cimentaire
Sous-groupe  » Réactions endogènes  » : diagnostic des attaques liées à l’action des sulfates et aux phénomènes d’alcali-réaction, dosage des alcalins libres des bétons et essai de performance LPC n°66

Le LERM a participé activement aux travaux des quatre sous-groupes. Mon collègue, Christophe Carde a co-animé le groupe Ciment et j’ai, pour ma part, co-animé le sous-groupe Microstructure avec Véronique Baroghel-Bouny du LCPC.

LERM
Quelle a été la méthode de travail retenue ?

Abdelkrim Ammouche
La méthode générale retenue a consisté dans un premier temps à recenser l’expérience et les pratiques des laboratoires participant, et à compléter ces données par la bibliographie. Cela a permis de dégager les méthodes les plus pertinentes et les facteurs essentiels, sources d’écarts possibles, qu’il était nécessaire d’étudier et d’harmoniser. Plusieurs campagnes d’essais croisés ont ensuite été menées sur différents bétons dans le but, à la fois de fixer les conditions de chaque mode opératoire, et aussi de préciser son domaine d’application. Il est à souligner qu’en plus des essais menés sur des bétons fabriqués en laboratoire, des mesures sur échantillons prélevés sur ouvrages réels ont été également réalisées à chaque fois que cela a été possible.
Régulièrement des réunions successives des sous-groupes étaient organisées, suivies d’une réunion plénière, animée par les animateurs du projet, Ginette Arliguie du LMDC Toulouse et Hugues Hornain( ndlr : l’un des co-créateurs du LERM ), pendant laquelle il était fait état de l’avancement des travaux de chaque groupe et ou ont été abordés les liens entre les différentes thématiques.

LERM
Peux-tu nous résumer la thématique et les principaux résultats de chacun des groupes de travail ?
Abdelkrim Ammouche
Les travaux du groupe Ciment ont aboutit à deux modes opératoires, le premier sur la détermination du dosage en ciment des bétons et mortiers à base de ciments constitués de clinker et de laitier (ciments CEM I, CEM II et CEM III). Ce mode opératoire préconise l’utilisation simultanée de la méthode de la silice soluble et de la méthode des inertes. Le second sur l’estimation du degré d’hydratation à partir de la mesure de l’eau liée qui constitue une méthode simple qui peut compléter la méthode directe par microscopie et analyse d’images.
Ce groupe a également réalisé différentes campagnes d’essais croisés pour la quantification de la teneur en portlandite.
Le groupe Microstructure a, quant à lui, mis en place une méthodologie pour la quantification de la microfissuration des bétons par des techniques microscopiques. Cette méthodologie associe des techniques de préparation des échantillons (imprégnation par colorant rouge ou résine fluorescente, réplique) et méthodologie de quantification (comptage ou analyse d’images).
Le groupe a élaboré un mode opératoire pour conduire un essai de porosimétrie mercure, qui est un moyen simple de caractérisation de la distribution de la taille des Pores dans les matrices cimentaires.
Comme la durabilité des bétons est conditionnée par leurs propriétés de transferts, notamment d’eau (liquide et vapeur), et les échanges hydriques avec leur environnement, le groupe a validé un mode opératoire pour la caractérisation de la perméabilité à la vapeur d’eau des bétons, à partir de l’essai à la coupelle.
Ce groupe a également réalisé des campagnes de mesure de la porosité accessible à l’eau et de la masse volumique par pesée hydrostatique (selon le mode opératoire AFPC-AFREM). Il s’agissait d’évaluer la précision de ces mesures et de produire des données utiles à la normalisation de cet essai. La porosité accessible à l’eau, est en effet un paramètre essentiel pour l’évaluation de la durabilité du béton.
Le groupe Chlorures a travaillé particulièrement sur un ensemble de grandeurs en relation avec la durabilité du béton exposé à des environnements riches en chlorures (milieu marin et sels de déverglaçage). Il a validé une méthode d’extraction et de dosage des chlorures (totaux et libres) ainsi qu’une méthode de mesure du coefficient de diffusion des chlorures à partir d’essais de migration sous champ électrique (en régime transitoire et régime permanent). Enfin, ce groupe a proposé une procédure pour évaluer les interactions chlorures/matrice cimentaire.
Enfin, le groupe Réactions endogènes co-piloté par Hugues Hornain, a élaboré un guide sur la démarche diagnostic des dégradations dues aux attaques sulfatiques et aux phénomènes d’alcali-réaction. La méthodologie proposée intègre les données propres à l’ouvrage et à son environnement, l’inspection visuelle ainsi que les essais et examens en laboratoire. Au préalable il était nécessaire de faire une synthèse des connaissances sur les mécanismes physico-chimiques de base intervenant dans ces pathologies, synthèse complétée par une charte photographique relative aux différents faciès de l’ettringite. De plus, comme la teneur en alcalins libres dans le béton est l’une des données essentielles, évidemment vis-à-vis des phénomènes d’alcali-réaction, mais aussi dans le cas de l’attaque sulfatique interne, un mode opératoire encadrant sa détermination a été élaboré. Ce groupe a également réalisé différentes campagnes d’essais croisés afin d’étudier la reproductibilité de l’essai de performance  » Réactivité d’une formule de béton vis-à-vis d’une réaction sulfatique interne  » (actuellement méthode d’essai LPC n°66).
LERM
Quelles sont les conclusions de l’ensemble de ce travail ?

Abdelkrim Ammouche
Ce sont, au total, 9 protocoles d’essais qui sont recommandés et décrits dans l’ouvrage [1], auxquels s’ajoute le guide pour le diagnostic des attaques sulfatiques et des phénomènes d’alcali-réaction. L’ouvrage restitue également la synthèse des différentes campagnes d’essais croisés ainsi que quelques contributions sous formes d’articles.

[1] GranDuBé.  » Grandeurs associées à la Durabilité des Bétons « , sous la direction de Ginette ARLIGUIE et Hugues HORNAIN. Presses de l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées, 2007.
[2] AFPC-AFREM,  » Méthodes recommandées pour la mesure des grandeurs associées à la durabilité « . Compte-rendu des journées techniques, Toulouse, 11 et 12 décembre 1997.
[3] AFGC, «  Conception des bétons pour une durée de vie donnée des ouvrages. Maîtrise de la durabilité vis-à-vis de la corrosion des armatures et de l’alcali-réaction. Etat de l’art et guide pour la mise en œuvre d’une approche performantielle et prédictive sur la base des indicateurs de durabilité « . Documents scientifiques et techniques de l’Association Française de Génie Civil, juillet 2004.