Déchets, cycles naturels, recyclage : ce que nous disent nos déchets

viaduc-auteuil

Janvier 1910, déchargement des ordures, viaduc d’Auteuil [charrettes à chevaux amenant les détritus pour les jeter dans la Seine]

Une définition du déchet
L’expression « Il n’y a pas de déchets dans la nature » a une signification explicite : il n’y a pas dans, dans la nature, de production d’éléments qui ne s’inscrive dans un grand cycle naturel, qu’il soit géologique ou biologique.

Cette expression a aussi un sens implicite : le déchet est une production humaine.

Classiquement le déchet est, pour l’homme, ce qui n’a plus, pour lui, de valeur d’usage. Le déchet est alors abandonné. L’abandon, cela parait tout simple : je laisse dans la nature ou ailleurs (mais existe-t-il un ailleurs que la nature ?) ce dont je n’ai plus l’usage. Mais l’abandon, en droit des biens, cela signifie à la fois se défaire d’une obligation et renoncer à un droit. Le déchet n’est pas seulement ce qui n’a plus de valeur d’usage, mais ce peut être aussi ce qui n’en a jamais eu et a pourtant été  produit avec un autre bien comme résidu de production (on dit aujourd’hui sous-produit).

Le Code de l’environnement à l’article 514-1 retient cette définition « est un déchet au sens du présent chapitre, tout résidu d’un processus de production, de transformation ou d’utilisation, toute substance, matériaux, produit ou, plus généralement, tout bien meuble abandonné ou que son détenteur destine à l’abandon. » C’est donc ici l’abandon qui est déterminant. La notion de valeur n’apparait que pour la définition du déchet dit ultime : « Est ultime au sens du présent chapitre un déchet résultant ou non du traitement d’un déchet qui n’est pas susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction de son caractère polluant ou dangereux. »

Croissance linéaire et… accumulation
De la matière première au déchet ultime, tout s’est passé jusqu’à présent comme si le système industriel avait considéré la nature à la fois comme une ressource inépuisable de matière première et comme une marge insondable pour le rejet des déchets. Lors du premier siècle et demi de l’essor industriel, la nature, comme source de richesse, entrait dans la cadre du droit, mais comme décharge d’ordures générale elle n’était qu’un non lieu au regard duquel ne s’exerçait aucune obligation.
Aujourd’hui, on admet que la quantité, l’accumulation et la nature des déchets que génèrent l’expansion de la démographie et l’efficacité croissante de l’industrie tendent à mettre en danger la santé humaine et à perturber les grands cycles naturels de la matière.
De la nature… à l’environnement
La transformation accélérée de la planète par l’activité humaine, liées à la connaissance systémique de l’écologie ont amené à reconsidérer la position de l’homme et son activité non plus comme faisant face à la nature, mais comme insérés dans un environnement unique. Il n’existe plus dès lors de « non lieu » où se débarrasser des déchets (se souvient-on que les déserts, puis les fosses sous marines ont été imaginés par le passé propices à de tels usage ?) et leur accumulation témoigne plutôt du caractère « utopique » d’une conception de l’activité humaine qui se pensait soustraite des lois cycliques de l’environnement.

 

La prise de conscience que l’activité économique s’exerce au sein d’un environnement clos a donné naissance au concept de développement durable : voir à ce sujet notre Lettre d’information n° 12 : le développement économique nécessaire à la satisfaction des besoins doit s’inscrire dans le cadre d’un équilibre environnemental et social maintenu.

Ainsi, lorsque la directive-cadre de 2008 sur les déchets préconise l’entrée dans une  « société européenne du recyclage », sans doute faut-il y voir bien plus qu’une recommandation technique, technologique ou même économique, mais aussi une conversion philosophique à ce simple fait que nous ne sommes pas « maîtres et possesseurs de la nature », comme disait Descartes et que nous ne sommes pas exonérés des lois bio-géo-physiques qui régissent l’environnement.

Le recyclage technique des déchets ne saura sans doute aboutir à une société du recyclage en adéquation aux cycles de la biosphère dans laquelle nous sommes insérés sans un recyclage profond des concepts… Ceci est une autre histoire, mais elle est en marche.