Entretien avec Jacques Burdin, Ingénieur Conseil, Spécialiste Matériaux pour les Grands Ouvrages.
Pouvez-nous parler un peu de l’évolution des ciments sur ces 25 dernières années ?
L’évolution majeure des ciments concerne, selon moi, leur réponse à l’exigence environnementale de réduction d’émission de CO2 dans l’atmosphère. La nécessité de cette réduction est d’autant plus prise en compte qu’elle participe à l’économie générale de la construction en réduisant la part du clinker et en y substituant des additions qui sont pour la plupart aujourd’hui normalisées.
L’usage de ces constituants répond à une définition normative et il est légitime, d’autant que la qualité de ces constituants n’a cessé de progresser ; parmi eux, le laitier, les cendres volantes les fumées de silice, les pouzzolanes naturelles et les schistes calcinés, qui améliorent incontestablement certaines propriétés du ciment.
L’usage de ces constituants est donc bénéfique… lorsqu’il reste dans des proportions acceptables. J’émets cependant un doute sur l’usage qui est fait aujourd’hui des fillers calcaires et sur les garanties que cet usage présente pour la durabilité des bétons. Gardons à l’esprit que l’usage des constituants secondaires du ciment vise aussi la réduction de la teneur en chaux libre, élément pouvant être à l’origine de nombreuses pathologies du béton.
Pour ce qui concerne le ciment, il ne faut pas oublier que nous sommes passés de l’époque pas si lointaine du « ciment naturel » à celle du « ciment artificiel » qui nécessite quelques fois un exercice chimique un peu acrobatique compliqué par l’utilisation de combustibles alternatifs qui pourraient compromettre la stabilité à long terme des bétons.
« L’évolution majeure des ciments concerne, selon moi, leur réponse à l’exigence environnementale de réduction d’émission de CO2 dans l’atmosphère. La nécessité de cette réduction est d’autant plus prise en compte qu’elle participe à l’économie générale de la construction en réduisant la part du clinker et en y substituant des additions qui sont pour la plupart aujourd’hui normalisées. » |
L’évolution de la normalisation des ciments vous semble-t-elle avoir accompagné ce mouvement ?
La normalisation des ciments et des bétons est globalement conduite par l’industrie cimentière, ce qui est en fait assez normal puisque le ciment est le composant actif des bétons. En se soumettant au cadre normatif, elle l’adapte aussi à ses propres contraintes. Ainsi, par exemple, il me semble que le laitier a été un peu mal traité dans l’approche normative… C’est sans doute qu’il est un liant hydraulique à lui seul. Mais, d’un autre côté, son sous emploi est peut-être une sagesse au regard du repli de l’industrie sidérurgique en Europe.
Pour ce qui est de la production normative, je crois que nous sommes en train d’atteindre les limites de son acceptabilité : plus aucune responsabilité n’est laissée aux acteurs de la construction. Les ingénieurs ont maintenant tendance à se réfugier derrière la panoplie des normes et de recommandations en empilant dans les contrats de travaux sans plus réfléchir toutes les exigences et en débouchant ainsi sur des situations ingérables.
« La réglementation et l’économie ont écarté pour un temps l’imagination et l’innovation. La notion d’approche performantielle (…) permettra de combler cette lacune et prendra en compte tous les aspects aussi bien techniques qu’économiques, et de déboucher sur des solutions spécifiques adaptées. » |
Vous êtes sévère !
Réaliste, plutôt… la réglementation et l’économie ont écarté pour un temps l’imagination et l’innovation. La notion d’approche performantielle s’appuyant sur les « bétons d’ingénierie » que les documents normatifs sont en train de développer, permettra de combler cette lacune et prendra en compte tous les aspects aussi bien techniques qu’économiques, et de déboucher sur des solutions spécifiques adaptées. Mais si l’on sort de la prescription de base encadrée par la norme, il faut savoir s’appuyer sur une ingénierie et des laboratoires matériaux de qualité.
Et votre point de vue rétrospectif pour ce qui concerne les granulats ?
Dans ce domaine, l’appareil normatif a plutôt bien évolué et a été un moteur d’amélioration de la qualité des produits… et des mentalités des producteurs de granulats !
La norme NF EN 12620 a permis de classifier de façon fine les granulats et de discipliner les producteurs. On est sorti du folklore local : la régularité et la conformité des granulats sont maintenant assurées… même si la notion d’autocontrôle laisse encore quelques opportunités à l’improvisation.
Pour ce qui concerne les granulats, la norme me semble très précise sur toutes les questions de granulométrie, mais lâche sur les questions de minéralogie. La question de la minéralogie a beaucoup avancé au cours des 25 dernières années, grâce à un laboratoire comme le LERM soit dit en passant, mais je crois que c’est par là que viendront encore les sources de progrès.
La minéralogie est fondamentale et c’est une problématique transversale à tous les matériaux minéraux. C’est elle qui commande à la durabilité des bétons : l’alcali-réaction a été un tournant dans la prise en compte de la minéralogie dans l’explication des phénomènes pathologiques, mais elle concerne bien sûr aussi la réaction sulfatique interne, la thaumasite… et des pathologies qui n’ont pas encore de nom !… Car de nouvelles pathologies me semblent inévitables.
Ces phénomènes ont été compris par l’analyse minéralogie et l’analyse microstructurale qui ont été conduites dans les années 80 par des chercheurs renommés dont Micheline Regourd-Moranville et Hugues Hornain.
Donnez-nous votre point de vue sur la question des granulats et des bétons recyclés ?
La volonté de les employer existe… avec de grandes nuances ! Je crois que nous allons y aller tout doucement.
Les deux questions sont un peu différentes : bien séparés et bien nettoyés, le réemploi des granulats ne pose pas de problème. Le béton recyclé est plus problématique, mais on peut imaginer approcher quelque chose comme un seuil de 20% autorisé pour les bétons classiques. Pour les bétons structurels d’ouvrages avec des durabilités longues prescrites, l’usage de ce béton recyclé me semble cependant exclu.
La science des déchets a beaucoup évolué ces dernières années et va encore évoluer, qu’il s’agisse du traitement et de l’inertage des déchets industriels ou de la valorisation des matériaux d’excavation des ouvrages souterrains qui sont encore considérés comme déchets par la législation en vigueur.
Les additions hydrauliques ont permis le dépôt de plusieurs brevets pour l’enrobage des déchets industriels, le LERM y a largement contribué.
Le laitier et le ciment à très faible teneur en C3A permettront probablement l’utilisation de granulats sulfatés pour la fabrication de bétons durables grâce aux recherches conduites par l’IFSTTAR le LERM et quelques industriels motivés. Dans ces deux domaines les enjeux environnementaux sont très importants.
« La minéralogie est fondamentale et c’est une problématique transversale… » |
Propos recueillis par Philippe Souchu, documentaliste au Centre de documentation du Lerm. Juin 2013.