Béton et développement durable

Entretien avec Patrick Guiraud, Directeur délégué Génie Civil à CIMBETON

patrick-guiraud-lermMonsieur Guiraud, au cours de ces 25 dernières années, comment l’industrie du ciment et du béton s’est elle inscrite dans la perspective ouverte par le développement durable ?
Je crois important de commencer par dire que le Développement Durable n’est pas un concept parmi d’autres, qu’on aurait le loisir de prendre ou de laisser. Si  en 1987, date de parution du rapport Bruntland « Our Common Future », l’affirmation selon laquelle le principe du Développement Durable implique la mise en œuvre de politiques économiques, sociales et environnementales qui, coordonnées et intégrées, visent à satisfaire les besoins des populations sans compromettre la satisfaction des besoins des générations à venir, pouvait sembler être une option parmi d’autres, ces dernières années ont montré que le Développement Durable était une impérative nécessité.

L’avenir passe nécessairement par la prise en compte de ces exigences qui sont un moteur considérable d’évolution et d’innovation, et la perspective du Développement Durable, ouverte l’année même de la création du Lerm, est de celles auxquelles on ne peut échapper. Cette prise de conscience est donc, selon moi, un évènement majeur de ce quart de siècle. L’industrie cimentière a, me semble-t-il, travaillé efficacement à relever le défi du Développement Durable sur  l’ensemble de ses trois axes  que sont l’environnement, l’économique et le social.

« Je crois important de commencer par dire que le Développement Durable n’est pas un concept parmi d’autres, qu’on aurait le loisir de prendre ou de laisser (…) ces dernières années ont montré que le Développement Durable était une impérative nécessité. »


On entre un peu dans le détail de ces axes ?

L’axe social est indissociable de l’axe économique : il s’agit de répondre aux besoins humains de logement, de déplacements, de sécurité, de santé, de formation et d’amélioration du cadre de vie en trouvant des solutions solvables. Pour répondre à l’ensemble de ces besoins, l’industrie cimentière a donc globalement travaillé à l’amélioration des modes de construction. Cette amélioration est passée par la mise au point de nouvelles solutions constructives et par l’amélioration de la qualité des bétons, ce qui entraîne l’accroissement de leur durabilité et donc un coût global maîtrisé et plus faible. Du point de vue du cadre de vie, la qualité des matériaux, l’amélioration de leurs performances et de leur potentiel esthétique, la souplesse de leur emploi ont permis de pleinement les associer à la créativité architecturale. On peut également situer dans cet axe social la sécurité croissante de la mise en œuvre sur les chantiers et la diminution de la pénibilité pour les ouvriers.  Les progrès dans ce domaine, permis par les bétons auto-plaçants, sont très significatifs.
Enfin, la réponse aux besoins est également passée par un accroissement de la productivité sur les chantiers, qui a été servie en particulier par le développement de la préfabrication et par la possibilité de pompage du béton prêt à l’emploi.

Et pour ce qui concerne l’axe environnemental ?
Pour cet axe, comme pour les précédents d’ailleurs, c’est toute la chaîne de production du matériau qui doit être prise en compte. Disons que, pour ce qui concerne le béton, les efforts ont porté sur plusieurs domaines : l’économie de la ressource en matériaux naturels, la préservation de la biodiversité, la réduction des émissions de gaz à effets de serre et la valorisation de coproduits de l’industrie.

 « L’axe social est indissociable de l’axe économique : il s’agit de répondre aux besoins humains de logement, de déplacements, de sécurité, de santé, de formation et d’amélioration du cadre de vie en trouvant des solutions solvables. Pour répondre à l’ensemble de ces besoins, l’industrie cimentière a donc globalement travaillé à l’amélioration des modes de construction. »


On regarde d’un peu plus près ce que vous venez d’énumérer en commençant par le maintien de labeton-cycle-de-vie biodiversité ?

Oui, je pense là principalement aux carrières. En 25 ans les choses ont beaucoup changé : les carrières ne sont plus des « trous » que l’on rebouche en fin de vie. Elles bénéficient aujourd’hui d’un plan d’exploitation ainsi que d’un plan de réaménagement continu pour préserver leur valeur écologique et anticiper le devenir du site. Ce plan permet, en fin d’exploitation, une réhabilitation souvent remarquable en lacs, zones humides réserves naturelles, refuges de biodiversité…

Des carrières, nous pouvons peut-être passer aux granulats…
En effet… Les granulats sont un composant majeur des bétons et l’économie en ressources naturelles les concerne au premier chef. La substitution par des granulats recyclés voire artificiels permet certes d’épargner la ressource naturelle et de nombreuses recherches sont encore en cours dans ce domaine. D’un autre côté, il convient également de considérer l’approvisionnement en granulats du point de vue de son impact environnemental ; dans cette perspective, il faut considérer les granulats comme une ressource locale dont l’extraction doit faire l’objet d’une politique cohérente d’aménagement du territoire, afin d’éviter des transports sur de longues distances.

…et pour ce qui concerne la limitation des émissions de gaz à effets de serre ?
C’est la production de ciment qui est globalement émettrice de ces émissions. En moyenne, à l’échelle mondiale, la production d’une tonne de ciment génère l’émission d’une tonne de CO2, du fait d’une part de la décarbonatation du calcaire pendant la phase de pré-calcination, d’autre part de la combustion de combustibles fossiles  pour  la cuisson du cru.
La réduction de l’émission liée à la cuisson du cru a suivi deux pistes : d’abord celle de l’amélioration de l’efficacité énergétique des fours des cimenteries, ensuite celle de la valorisation énergétique par des combustibles alternatifs (sous produits industriels des filières chimique, pharmaceutique, agricole, automobile, etc… ). Cette valorisation, qui permet donc l’économie des ressources fossiles, représente aujourd’hui  environ 30%  de l’énergie utilisée. La filière cherche à faire passer, dans les années à venir, cette proportion à 50%.
L’autre piste est celle de la valorisation matière dans le ciment lui-même. Le calcaire, mais aussi l’argile, sont en partie substitués, pour la fabrication du cru, par des laitiers, des cendres volantes, des sables de fonderie, des oxydes de fer, des boues d’alumine… Chaque année, ce sont environ 500 000 tonnes de ressources naturelles qui sont ainsi économisées.
Différents co-produits (laitier de haut fourneau, cendres volantes, fumée de silice) peuvent être intégrés dans la composition des ciments pour constituer des ciments de type CEM II, CEM III, CEM IV et CEM V. Le taux de substitution du clinker, fruit de cette valorisation matière,  est de l’ordre de 25 à 30%… si bien que le chiffre que j’avançais d’une tonne de CO2 en moyenne pour la production d’une tonne de ciment tombe, en France aujourd’hui, à 600 kg de CO2.

La valorisation concerne également le gypse qui est ajouté au ciment pour en réguler la prise. Le gypse naturel est aujourd’hui largement remplacé par des titanogypses, des désulfogypses ou des résidus de l’industrie du plâtre. Ce n’est pas négligeable, car ce gypse représente aux alentours de 6% du poids du ciment.

 

 « …pour ce qui concerne le béton, les efforts ont porté sur plusieurs domaines : l’économie de la ressource en matériaux naturels, la préservation de la biodiversité, la réduction des émissions de gaz à effets de serre et la valorisation de coproduits de l’industrie. »

 

silos-stockage-cimentLe béton le moins cher, dit-on, c’est celui qu’on ne coule pas… On aborde là directement la question de la durabilité du matériau.
Vous avez raison, la durabilité du matériau et donc de l’ouvrage diminue son coût économique et son impact environnemental si l’on considère l’ensemble du cycle de vie. L’amélioration de la durabilité du béton résulte de la convergence de nombreuses études qui ont été menées sur le matériau lui-même et sur ses composants, ainsi que sur les interactions chimiques avec le milieu environnant.
L’approfondissement  de la connaissance de la microstructure de la matrice cimentaire et des ses évolutions physico-chimiques, notamment face aux agressions et aux attaques chimiques, l’exploration de la rhéologie du béton à l’état frais, celle de son comportement à l’état durci, enfin les progrès de l’adjuvantation et l’usage des ultrafines permettent aujourd’hui de prédire la durabilité du béton et de prévoir son évolution au cours du temps.

L’anticipation de la durée de vie de l’ouvrage est d’autant plus importante qu’elle conditionne la stratégie d’entretien et de maintenance de l’ouvrage qui contribuent  à la durabilité escomptée. Ces progrès ont été largement relayés par l’évolution du contexte normatif, car les normes de dimensionnement, les Eurocodes par exemple, prennent en compte la durée d’utilisation d’un ouvrage et la norme NF EN 206-1 définit des classes d’exposition en fonction des environnements des ouvrages, et spécifie des formulations de bétons adaptées à l’agressivité de ces environnements.

A côté de cette approche prescriptive, basée sur une obligation de moyens, la norme laisse ouverte la possibilité d’une approche performantielle, fondée sur une obligation de résultats,  qui , pour de grands ouvrages, permet des formulations optimales des bétons qui peuvent être source d’économie ou de meilleure adaptation à leur environnement et à leur durée de service.

 

« Avec l’analyse du cycle de vie des ouvrages, nous avons un outil qui nous permet de comptabiliser l’ensemble des impacts environnementaux d’un ouvrage sur l’ensemble de son cycle de vie. Cet outil, couplé à une estimation du coût global d’une option, permet de comparer diverses solutions entre elles et de faire des choix informés et pertinents. »

 

L’ensemble des progrès scientifiques et techniques des ces années convergent donc vers une forme de sobriété économique et environnementale des ouvrages ?
Oui, c’est d’ailleurs ce qui montre bien que le Développement Durable n’est pas une exigence qui tombe du ciel, mais la recherche d’un subtil équilibre et le résultat d’une approche rationnelle et pluridisciplinaire des problèmes qui  se posent à nous.
Avec l’analyse du cycle de vie des ouvrages, nous avons un outil qui nous permet de comptabiliser l’ensemble des impacts environnementaux d’un ouvrage sur l’ensemble de son cycle de vie. Cet outil, couplé à une estimation du coût global d’une option, permet de comparer diverses solutions entre elles et de faire des choix informés et pertinents.
Les exigences du Développement Durable sont donc loin de nous imposer des solutions uniques et toutes faites. Nous avons, en 25 ans, construit des outils de prédiction et d’anticipation et développé des solutions techniques innovantes  qui permettent des choix raisonnés, et le Lerm a accompagné cette logique d’innovation et de progrès. Il revient aux ingénieurs, aux concepteurs et aux architectes de trouver le meilleur compromis en arbitrant selon les trois axes, économique, social, environnemental du développement durable, en se souvenant que comme le disait Paul Valéry dès 1931 (!), le temps du monde fini commence…

 

Propos recueillis par Philippe Souchu, documentaliste au Centre de documentation du Lerm. Juin 2013.