Position du sinistre et mission du laboratoire
Un réservoir d’eau en cours d’achèvement révèle de nombreuses fissures qui entraînent des fuites importantes. Le réservoir est vidé et le chantier est arrêté jusqu’à ce que les causes de la fissuration soient identifiées.
Le problème provient-il de la structure du matériau ou de sa mise en œuvre ?
L’Expert (Membre de l’association « Après BTP ») en charge du dossier de l’expertise judiciaire confie une étude au LERM dont l’objectif est de relever la fissuration et de caractériser le béton et son ferraillage.
Investigation sur site
L’investigation in situ consiste à effectuer un examen visuel des désordres, au cours
duquel un relevé détaillé de la fissuration du voile circulaire du réservoir doit être effectué.
Le positionnement du ferraillage est déterminé par radar géophysique, y compris mesures statistiques des épaisseurs d’enrobage.
Enfin, l’étude sur site donne lieu au prélèvement d’échantillons de bétons destinés aux essais en laboratoire.
Résultats de l’examen visuel et du relevé des désordres
L’examen visuel de la face extérieure du réservoir révèle un phénomène de fissuration quasi généralisé sur l’ensemble de sa surface. Verticales et horizontales, les fissures présentent des longueurs variant du décimètre à plusieurs mètres et sont d’ouverture millimétrique. Dans de nombreux cas, elles sont associées à des coulures de calcite.
Plus localement, des cloquages, résultant de décollements en peau, sont également visibles le long des fissures et leur étendue peut couvrir de quelques centimètres à plusieurs mètres. Le béton du côté interne du réservoir est également affecté de fissures. Le réservoir ayant été vidé, celles-ci sont refermées et seules les plus larges restent visibles.
Résultats du relevé détaillé du plan de fissuration
Le relevé détaillé de la fissuration a été réalisé sur la face externe du voile circulaire. L’examen des planches révèle clairement que :
- les fissures sont orientées préférentiellement à la verticale
- les fissures horizontales sont concentrées entre 1,50 et 3 m, c’est-à-dire à hauteur du 2ème niveau de banches de bétonnage,
la densité de fissures diminue à partir d’un certain point de la circonférence du réservoir.
Auscultation au radar géophysique
Les zones auscultées au radar géophysique ont été réparties de manière proportionnelle sur l’ensemble de la structure. Au nombre de 6, chaque zone couvre 3 mètres linéaires sur toute la hauteur du réservoir. La totalité a permis de couvrir 30 % de la surface du voile. Les zones de prélèvement d’échantillons par carottage diamanté sous eau ont également été réparties sur la périphérie du réservoir ainsi que sur la hauteur.
Principe sommaire de la méthode du radar géophysique
Cette méthode d’investigation non destructive permet de réaliser une auscultation précise de la plupart des matériaux, à des profondeurs variant du centimètre à plusieurs mètres.
Les mesures sont acquises en déplaçant un transducteur radar (antenne d’émission – réception) selon de nombreux profils répartis sur les surfaces accessibles.
Les ondes électromagnétiques hautes fréquences se propagent dans les matériaux et se réfléchissent à l’interface entre deux milieux physiques distincts qui présentent des caractéristiques (paramètres électromagnétiques) différentes. La mesure des vitesses de propagation des ondes dans les matériaux et l’analyse des échos associés aux interfaces constituent les principes de base de la méthode.
En résumé, les investigations par radar fournissent les coupes – profondeur des matériaux auscultés au droit des profils de mesure réalisés. Ces coupes mettent en évidence la position du ferraillage, des zones hétérogènes, des vides, des structures souterraines.
Les enregistrements (radargrammes) sont obtenus en temps réel. Ils fournissent les « coupes temps » situées au droit de chaque profil et permettent une première interprétation des résultats sur le site même. Les mesures sont enregistrées et sont traitées par ordinateur au bureau. La figure ci-dessous illustre le principe de la méthode.
Résumé des résultats de l’auscultation radar
Les statistiques d’enrobage ont été réalisées sur plus de 2000 fers. Sur l’ensemble de la surface étudiée, les aciers verticaux sont les plus proches de la surface extérieure. Seuls 16 % des fers horizontaux sont situés à plus de 50 mm.
En revanche, 83% des aciers horizontaux présentent au moins 40 mm d’enrobage.
De manière générale, l’histogramme des fers horizontaux est assez resserré (94 % entre 30 et 55 mm), ce qui indique que cette nappe
est bien parallèle à la surface extérieure. L’histogramme des fers verticaux est plus étalé (96 % entre 15 et 50 mm), cela indique une plus grande disparité dans le positionnement de cette nappe située en surface.
Essais et analyses en laboratoire sur les bétons
Ce programme d’essais vise trois objectifs :
• connaître les caractéristiques mécaniques du béton concerné
• déterminer sa composition chimique et le détail de sa microstructure
• rechercher d’éventuels signes d’altération
Caractéristiques mécaniques du béton
Les caractéristiques mécaniques du béton ont été déterminées en fonction de deux paramètres : la résistance à la compression, mesurée conformément au mode opératoire de la norme NF EN 12504-1, la résistance à la traction par fendage, mesurée conformément à norme NF EN 12390-6. Résultats :
• Les résistances à la compression corrigées sont globalement homogènes et toutes supérieures à 40 MPa. La moyenne est de 53 MPa avec un écart-type de 7 MPa.
• A titre indicatif, la norme NF EN 206-1 préconise une résistance en compression minimale sur cylindre de 25 MPa pour un béton subissant une alternance d’humidité et de séchage (classe d’exposition XC4) ou exposé à une saturation modérée en eau sans agent de déverglaçage (classe d’exposition XF1)
• Les résistances à la traction varient entre 2,7 et 4,3 MPa, avec une résistance moyenne de 3,8 MPa et un écart type, caractéristique de la dispersion des résultats, de 0,8 MPa.
Composition du béton durci et microstructure
• La détermination de la composition du béton durci se fait au moyen du calcul Minéraux LCPC qui comprend plusieurs phases: la mesure des masses volumiques apparente et réelle, et de la porosité accessible à l’eau selon le mode opératoire recommandé par l’AFPC-AFREM,
• l’analyse thermogravimétrique sous atmosphère azote dans le but de déterminer les quantités d’eau liée aux hydrates et de CO2, et d’estimer le rapport pondéral Eau/Ciment,
• l’analyse chimique « complète » de la fraction soluble dans HNO3 1/50ème,
• l’examen au microscope optique en lumière réfléchie d’une section polie dans le but de déterminer la nature du liant,
Les résultats obtenus permettent d’alimenter un logiciel de calcul informatique itératif, afin de recalculer leur composition. Enfin, l’observation du béton au microscope électronique à balayage couplé à l’analyse qualitative élémentaire par spectrométrie X à dispersion d’énergie permet la caractérisation de la microstructure de la pâte de ciment et la recherche d’éventuels signes d’altération.
Résultats :
- les porosités obtenues, comprises entre 14,3 et 15,7 %, sont indicatives de bétons présentant une compacité globalement moyenne,
- ces bétons sont formulés avec un liant s’apparentant à un ciment composé au laitier et au filler calcaire de type CEM II/B-M, dont les dosages en ciment sont compris entre 390 et 465 kg/m3 et les rapports pondéraux Eau efficace/Ciment inférieur à 0.45,
- enfin, dans tous les cas, la microstructure du béton est globalement compacte, ce qui est cohérent avec les résultats précédents, et les hydrates qui la composent sont classiques. Pour un des trois échantillons étudiés, il y a lieu de noter la présence localisée d’ettringite massive associée à quelques microfissures. Néanmoins, aucune pathologie physico-chimique affectant l’ensemble des échantillons n’a été mise en évidence.
- Les compositions des bétons des différentes éprouvettes montrent des dosages en ciment plutôt élevés et des rapports Eff / Liant Equivalent corrects.
- En tout état de cause, il ne semble pas y avoir d’anomalies dans la formulation des bétons, susceptibles d’être clairement à l’origine de
la fissuration constatée sur site.
Conclusions
A partir de ces résultats, les hypothèses suivantes relatives à la fissuration du réservoir, ont été retenues :
– retrait endogène du béton dû à dosage en ciment élevé, ainsi qu’à un rapport eau/ciment également relativement élevé
– retrait de dessication par absence de cure, pour preuve, la partie abritée à l’ombre du talus est moins affectée
– ferraillage non conforme aux plans d’exécution.