1998 : Première application de l’approche performantielle sur les bétons du pont Vasco de Gama

Le pont Vasco de Gama qui enjambe l’estuaire du Tage à Lisbonne a été construit dans la perspective d’une durée de vie contractuelle de 120 ans. En 1995, le maître d’œuvre, Novaponte dont la Société Campenon-Bernard était le leader, devait donc assumer, pour cet ouvrage, une pérennité difficilement compatible avec les possibilités de prédiction de l’époque.

 

carte Réalisé pour l’Exposition Universelle de 1998, le pont Vasco de Gama devait résoudre les problèmes de trafic de l’ancien « Pont du 25 avril » et permettre la continuité de l’axe routier nord-sud du Portugal.

Pour faire face à cette difficulté, Novaponte, s’est engagé dans une démarche alors innovante d’essais et de contrôles effectués avant et pendant la construction. Cette démarche a été initiée par Michel Salomon et poursuivie par le Lerm. Il s’agissait d’appliquer directement les méthodes du laboratoires aux besoins du chantier en faisant appel notamment aux connaissances fines en matière de durabilité et à une modélisation du transfert des ions chlorures (voir notre article sur ce sujet) dans le béton que le Lerm développera pour la circonstance.

L’ouvrage

Le pont Vasco de Gama est un ouvrage exceptionnel, long de plus de 16 km et large de 30 m. Construit en partie sur terre et en partie sur l’estuaire du Tage, il est composé de 4 viaducs, d’un pont à haubans ainsi que d’un ensemble de voies d’accès. Les travaux commencèrent en 1995 et l’ouverture au trafic eut lieu le 1er avril 1998.

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La problématique environnementale

Cette problématique était une problématique typiquement marine : l’eau de l’estuaire est fortement chargée en sels, formée d’environ 85 % d’eau de mer dont la composition est celle de l’Atlantique. Six classes d’exposition ont donc été prises en compte en fonction de la localisation des parties de l’ouvrage et des risques auxquels elles sont exposées : béton enterré, béton immergé, béton en zone de marnage, béton en zone d’embruns, béton en élévation maritime, béton en élévation hors milieu maritime.

Les risques auxquels sont principalement exposés les bétons  sont donc le risque de corrosion des armatures par l’action des chlorures (voir notre article sur ce sujet) ou du gaz carbonique (voir notre article sur ce sujet) atmosphérique et le risque de la dégradation chimique (sulfates) du liant du béton par l’eau de mer (voir notre article sur ce sujet).

Les classes d’agressivité retenues en accord avec ce qui était alors le projet de norme européenne ENV 206 étaient les suivantes :

Classes d’exposition au risque de corrosion des armatures par l’action des chlorures

 

Selon ENV 206

Environnement

XS 1

Zones côtières

XS 2

Zones immergées

XS 3

Zones de marnage

 

Classes d’agressivité au regard de l’action de l’eau de mer sur le liant

 

Selon ENV 206

Environnement

XA 1 Faiblement agressif
XA 2 Moyennement agressif
XA 3 Fortement agressif

Cahier des charges

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Aucune spécification ne figurait au cahier des charges en dehors de cette spécification : « une durée de vie de 120 ans pour le béton de structure garantissant un faible coût de réparation et d’entretien ». Cette durée de vie a été traduite techniquement comme le temps nécessaire à l’initiation de la corrosion des armatures, c’est-à-dire à l’atteinte d’un seuil de concentration en chlorures au niveau des armatures de 0,4 % par rapport au poids du ciment.

Sur le plan du calcul, des spécifications concernant les résistances mécaniques étaient données, ainsi que des recommandations concernant les enrobages des armatures : 7 cm en milieu marin aux niveaux <+10 NPG et 5 cm aux niveaux supérieurs.

 

 

Choix initiaux

Ciments

Deux types de ciments ont été utilisés en fonction des parties de l’ouvrage et des classes d’exposition qui les concernaient  :  un ciment CEM I prise de mer classe 42,5 et un ciment CEM IV prise de mer classe 32,5 contenant 22% de cendres volantes.

Bétons

Les bétons ont été formulés conformément à la norme portugaise E 378 d’alors et au projet de norme européenne ENV 206 avec des dosages en ciment ≥ 400kg/m3. Par souci de sécurité, les rapports eau/ciment étaient inférieurs à ceux préconisés par les deux normes. Selon la classe d’exposition de la partie de l’ouvrage considérée, ces rapports étaient compris entre 0,33 et 0,42.

Granulats

Les granulats utilisés étaient classés non réactifs vis-à-vis de l’alcali-réaction.

 

Le choix de ces ciments a contribué à la durabilité des bétons en œuvre : en effet le choix de ciments prise mer, compte tenu de leur faible teneur en C3A, permet d’empêcher la combinaison avec les sulfates de l’eau de mer, qui entraînerait à la formation d’ettringite.
Par ailleurs, dans les bétons au contact de l’eau de la baie du Tage, la teneur en cendres volantes silico-alumineuses a permis, d’une part de réduire la production de chaux libre Ca(OH)2 sujette à la lixiviation (voir notre article), et permet d’autre part une densification progressive de la matrice cimentaire à mesure de l’hydratation des cendres volantes(effet pouzzolanique) (voir notre article).

 

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Cendres volantes vues au MEB dans une matrice cimentaire

Approche performantielle

Indicateurs de durabilité

Deux indicateurs majeurs ont été retenus : la perméabilité au gaz et la diffusivité vis-à-vis des ions chlore. D’autres indicateurs secondaires leur ont été associés : la résistance à la pénétration des ions chlore, la porosité accessible à l’eau et la profondeur de carbonatation.

Les contrôles

Les contrôles des indicateurs de durabilité ont, dans un premier temps, été effectués  sur des bétons de laboratoires issus de la formulation, puis sur les bétons prélevés en centrale avant coulage. Les contrôles sur ces deux bétons ont ensuite été corroborés par des essais pratiqués sur des carottes prélevées sur l’ouvrage lui-même.

Ces contrôles ont été complétés part des examens de la microstructure au MEB et par des mesures de la microfissuration.

Modélisation de la migration des ions chlore

Le transport des ions a été modélisé sur la base d’un modèle mathématique dont la discrétisation a été effectuée au moyen d’un modèle aux éléments finis.

Ce modèle, créé pour la circonstance, a permis de simuler la pénétration des ions chlore dans le béton en fonction du temps. Les données d’entrées ont été fournies par des mesures des coefficients de diffusion par des méthodes de migration sous champ électrique en régime permanent et non permanent, mesures effectuées sur les bétons à différentes échéances : 1, 3, 6 et 18 mois. Les résultats des simulations ont montré une bonne concordance avec les profils réels de concentration en ions chlore.

La simulation des profils à l’échéance de 120 ans ont été effectuées pour différentes valeurs de coefficients de diffusion gardés constants, entre 18 mois et 120 ans. Elles vérifiaient que, pour des coefficients de diffusion inférieurs à 0,4.10-12 m2.s-1, la concentration en ions chlore à 7 cm (épaisseur de l’enrobage) était bien inférieure au seuil de 0,4 %. La durée de vie était donc vérifiée,  même si les conditions les plus pessimistes avaient été retenues : coefficient de diffusion constant (1) et prise en compte des chlorures totaux.

Notes :

(1) L’évolution du coefficient de diffusion se produit surtout entre 1 et 6 mois, du fait de l’hydratation progressive des cendres volantes. Pour le Pont Vasco de Gama, les études de suivi ont montré que la progression des chlorures la plus importante avait eu lieu lors des premières semaines après le coulage du béton.

 

En savoir plus…

Durée de vie des ouvrages en béton. De la recherche aux applications. Du laboratoire au chantier. Hornain, Hugues, Auteur; Monachaon, Pierre, Auteur; Duboin, Christophe; Martinet, Gilles, Auteur. – 1998. – pp. 309-316. in Science des matériaux et propriétés des bétons, 1. Science des matériaux et propriétés des bétons

Prediction of long term durability of Vasco Da Gama Bridge in Lisbon (SP 192-63) : in 5fth CANMET/ACI international conference on durability of Concrete, Barcelona, 2000. Houdusse, Olivier, Auteur; Hornain, Hugues, Auteur; Martinet, Gilles. – 2000. – pp. 1037-1050.

Overview of a two decades durability follow-up for two major bridges: Vasco de Gama (Portugal) and Rion-Antirion (Greece) : in FIB International Congress 2012. Ammouche, Abdelkrim, Auteur; Carde, Christophe, Auteur; Rafaï, Nourredine; Linger, Lionel. – 2012. – 8 p.