Entretien avec Robert Jourdan, Conservateur en chef des Monuments historiques à la Direction régionale des affaires culturelles Provence-Alpes-et-Côte-d’Azur
LERM
Monsieur Jourdan, quelles sont les missions du Conservateur en chef du patrimoine que vous êtes ?
Robert Jourdan
Ces missions ont été définies dès la loi du 31 décembre 1913 sur les monuments historiques, dont les dispositions ont été reprises dans le Code du Patrimoine. Nous avons d’abord une mission de veille, préalable à la conservation, qui s’exerce par deux types de mesure, le classement des monuments ou leur inscription à l’inventaire. Il nous arrive aussi d’intervenir sur les objets mobiliers, nous le faisons alors en liaison avec les conservateurs des antiquités et objets d’art.
Nous exerçons ensuite sur le parc des bâtiments ainsi constitué une activité de contrôle et de surveillance qui s’exprime de deux façons : par l’autorisation de travaux sur les bâtiments classés ou l’accord express pour travaux, de la part du Directeur Régional des Affaires Culturelles, sur les bâtiments inscrits.
Bien sûr, cette activité de contrôle ne va pas sans une mission de conseil par l’apport d’aide méthodologique à la conception et la conduite des chantiers de restauration auprès des propriétaires publics ou privés, et, ce qui n’est pas obligatoire, par la fourniture d’aides financières.
Je n’entre pas dans le détail de l’ensemble de nos missions, mais je souhaite mentionner notre travail de suivi et d’aide auprès des membres du réseau des « Villes et pays d’art et d’histoire », dont la vocation est la valorisation du patrimoine et de l’architecture.
Enfin nous initions des études sur les enjeux de conservation, dont certaines ont directement trait au matériau, j’aurais sans doute l’occasion d’y revenir.
LERM
Comment prenez-vous la décision de faire restaurer un monument ?
Robert Jourdan
Il y a deux cas de figures : soit nous sommes directement maître d’ouvrage sur un monument propriété de l’Etat, et nous élaborons et appliquons un programme de restauration du parc de monuments dont nous avons la responsabilité, soit nous donnons notre accord sur des projets de restauration privés ou publics. Cet accord est suspendu à la cohérence du projet de restauration, à son niveau d’information, à l’attention portée aux matériaux mise en œuvre.
LERM
En tant que maître d’ouvrage, quel type de suivi effectuez-vous sur les chantiers ?
Robert Jourdan
Avant le suivi proprement dit, il y a le projet, qui est présenté aussi clairement que possible et discuté avec l’Architecte en chef des monuments historiques qui est le maître d’oeuvre. La clé du projet, c’est l’étude préalable qui recense les données, les contraintes, les solutions envisageables. Ses conclusions débouchent sur le programme des travaux à mener. Cette étude prend en compte de nombreux critères, comme la morphologie du bâtiment, ses zones d’authenticité et le relevé de l’ensemble des interventions antérieures, l’étude des pathologies éventuelles des matériaux en œuvre…
En ce qui me concerne, je me permets de mettre en avant une approche personnelle, qui tout en tenant compte des critères que je viens de citer, privilégie la conservation par rapport la restauration.
LERM
Etes-vous tenu informé des nécessités de substitution de pierres ?
Robert Jourdan
Oui. Mais cette nécessité fait l’objet d’un débat collégial. Pour ma part je préfère, quand c’est possible, la conservation de la pierre en œuvre et, si nécessaire, sa consolidation, chimique ou même biologique… Sauf si, bien sûr, son maintien mettait en péril, par défaut de résistance mécanique, la maçonnerie ou la structure.
En tant que maître d’ouvrage, nous avons toujours la possibilité de remettre en cause de façon unilatérale une décision de substitution qui n’aurait pas exploré assez à fond les possibilités de conservation de la pierre en oeuvre… qui, seule, est la pierre d’origine !
LERM
En cas de décision de remplacement, comment le chantier de restauration est-il approvisionné ?
Robert Jourdan
L’analyse de la pierre en œuvre et sa caractérisation nous permettent de rechercher d’abord les bancs d’origine pour en extraire la pierre la plus proche possible de la pierre en œuvre. Il nous est ainsi arrivé d’ouvrir en plein champs de petites carrières qui nous ont permis d’extraire les quelques m3 de pierre dont nous avions besoin pour un chantier.
Mais il arrive souvent que cette démarche échoue du fait de la disparition des carrières. Nous nous tournons alors vers le choix de pierres analogues, aussi compatibles que possible avec la pierres en œuvre du bâtiment.
C’est ce problème d’approvisionnement en pierres des chantiers de monuments historiques qui a conduit à l’une des études sur les matériaux que nous avons initiées et dont je vous parlais tout à l’heure. En Languedoc-Roussillon, avec le BRGM et le CICRP, nous avons effectué un inventaire des pierres en œuvre de la région, doublé d’un inventaire des carrières, en activités ou non avec mention des possibilités d’extraction ponctuelle. Ce travail inventorie également les traitements effectués sur les pierres des monuments pour en évaluer le comportement dans le temps. Le travail de conservation et celui d’inventaire sont des réponses aux difficultés d’approvisionnement.