Entretien avec Benjamin Trinel, Ingénieur environnement et matériaux au LERM
De quand date le concept de déconstruction ?
Bien avant d’être un concept, la déconstruction a été une pratique. Elle est très ancienne et très largement répandue, ainsi le Pont de la Concorde à Paris, a été construit avec les pierres de la Bastille.
Pour notre époque, et pour revenir au concept, la circulaire du 15 février 2000, qui impose la mise en place de plans de gestions départementaux, souligne l’enjeu des déchets de chantiers du bâtiment. A partir de cette circulaire, les maîtres d’ouvrages doivent prendre en compte la gestion des déchets dans les marchés de travaux dont ils sont à l’origine.
Cet enjeu a réorienté fondamentalement l’activité de démolition, qui dès lors tend à devenir une activité de déconstruction. Dans cette approche nouvelle, les bâtiments sont considérés non comme de futurs déchets, mais comme des ressources à valoriser ; la déconstruction signifie que le bâtiment, tel que nous le connaissons, n’est qu’un moment du cycle de vie des matériaux, nous y reviendrons…
Quel est l’environnement réglementaire de la déconstruction ?
La circulaire de février 2000 rappelle que la loi du 13 juillet 1992 a posé le principe de la limitation du stockage des déchets réservé, à partir du 1er juillet 2002, aux seuls déchets ultimes. Un principe énoncé n’est malheureusement pas forcément appliqué… Mais bref, cette disposition s’applique aussi aux déchets du BTP.
Je rappelle que « est ultime, au sens de la présente loi, un déchet, résultat ou non du traitement d’un déchet, qui est susceptible d’être traité dans les conditions techniques et économiques du moment, notamment par extraction de la part valorisable ou par réduction du caractère polluant ou dangereux ».
Les objectifs assignés par la circulaire sont les suivants : réduire à la source les déchets du BTP, conformément aux dispositions de la loi du 13 juillet 1992, et promouvoir leur valorisation et leur recyclage afin de réduire la mise en décharge, notamment par l’utilisation des matériaux recyclés dans les chantiers du BTP. La circulaire précise en outre les responsabilités de la chaîne des acteurs de l’acte de bâtir que sont les maîtres d’ouvrage, les maîtres d’œuvre, les entreprises… Le plan d’action gouvernemental 2009-2012 pour l’élimination des déchets vise l’application de cette directive en y adjoignant des objectifs définis pendant le Grenelle de l’Environnement.
A propos de cette évaluation de la masse des déchets à valoriser, a-t-on une idée des volumes des gisements de matériaux de déconstruction ?
Selon les chiffres 2003 de l’ADEME, en France, le secteur du BTP génère 350 millions de tonnes de déchets par an. Les seuls chantiers du bâtiment produisent plus de 31 millions de tonnes de annuels. La démolition y contribue pour 17,3 millions de tonnes, la construction neuve pour 2,3 millions de tonnes et la réhabilitation pour 11,4 millions de tonnes.
Existe-t-il une typologie des déchets ?
Les déchets de chantiers se répartissent de la même façon que les autres déchets, à savoir :
Les déchets minéraux (inertes) tels que les bétons, les briques, les tuiles, représentent 20,3 millions de tonnes.
Les déchets non dangereux (DIB) tels que les plastiques, les métaux, les bois non traités, représentent 8,8 millions de tonnes.
Les déchets dangereux, contenant de l’amiante, du plomb, etc. sont de l’ordre de 1,6 millions de tonnes.
Les emballages, enfin représentent 300 mille tonnes de déchets.
Les déchets inertes, qui représentent 70% des déchets de démolition, sont essentiellement des déchets minéraux ou assimilables au substrat naturel non pollués, bétons (armés ou non), tuiles et céramiques, briques, verre et granulats non pollués et sans mélange, enrobés bitumineux sans goudron, isolants minéraux (laine de verre, de roche, de laitier et de verre expansé).
J’attire votre attention sur le fait que le plâtre n’est pas considéré comme un déchet inerte : en effet, la migration des sulfates solubilisés peut entraîner une réaction avec une matrice cimentaire..
La déconstruction, notamment par la qualité du tri, permet d’améliorer la qualité des déchets minéraux et de rendre plus facile leur valorisation.
En amont et en aval du tri, peux-tu nous présenter les grandes lignes de la méthodologie de la déconstruction ?
Après l’analyse du site de déconstruction, l’audit des bâtiments permet d’inventorier, quantifier et qualifier les matériaux constitutifs du bâtiment et donc d’articuler en continu le chantier sur les filières locales de valorisation ou d’élimination.
Pour chaque type de déchets, les filières de valorisation possibles sont les suivantes : réemploi, valorisation matière, valorisation énergétique. S’il n’y a pas de valorisation possible, on est donc en présence de déchets ultimes. On peut alors procéder à la mise en décharges ou à l’incinération.
La déconstruction elle-même s’organise en 3 phases :
La décontamination (principalement le désamiantage), le démontage des matériaux du second œuvre (déchets non dangereux), enfin l’abattage de la structure (déchets minéraux majoritairement inertes).
Quelles sont les voies de valorisation des matériaux inertes ?
Ces déchets représentent à eux seuls plus de trois quarts des déchets en masse. Leur valorisation est donc un enjeu très important. Convenablement triés, concassés et calibrés ils peuvent venir en substitution partielle ou totale aux granulats naturels, dont le volume d’extraction, je le mentionne, est de 400 millions de tonnes par an.
Le LERM dans une précédente Lettre d’information avait déjà proposé un dossier sur les granulats de béton recyclés, d’un point de vue normatif et technique. Je me permets d’y renvoyer le lecteur. Enfin, une grande partie des inertes peut être valorisée en techniques routières, vous abordez d’ailleurs, dans cette lettre la présentation du « Guide méthodologique d’acceptabilité de matériaux alternatifs, dont ceux issus de déchets en techniques routières », guide qui ouvre la voie à la valorisation de nombreux gisements (lire cet article…).
Quelles sont, selon toi, les perspectives de la déconstruction ?
La conclusion est simple : la déconstruction et la valorisation des déchets qui en est issue, vont s’intensifier, car l’environnement réglementaire le préconise et les enjeux économiques sont importants.
Une autre dimension très importante est à prendre en compte, c’est la logique de la construction elle-même. L’éco-conception des bâtiments, en soumettant le choix des matériaux employés à l’analyse de leur cycle de vie, intègre la fin de vie des structures et le recyclage des éléments constitutifs dès la phase de conception. La déconstruction est anticipée par l’éco-conception non seulement dans le choix des matériaux, mais également dans des assemblages intelligents, qui permettent une récupération et un tri aisés de ces matériaux.
La déconstruction hérite aujourd’hui d’une époque pendant laquelle la conception et la construction de bâtiments n’envisageaient pas la fin de vie des édifices. Aujourd’hui, la construction doit intégrer la fin de vie du bâtiment à savoir la déconstruction et la valorisation des déchets qui en sont issus, à travers l’éco-conception.
En quoi un laboratoire comme le nôtre peut-il être utile dans cette démarche ?
Le laboratoire peut intervenir pour conduire une analyse du cycle de vie d’un matériau, en amont donc de la construction, pour éclairer les choix des producteurs ou des concepteurs. Il peut intervenir pour positionner précisément certains dispositifs de renforcement (armatures, câbles de précontrainte…), et bien évidemment caractériser les matériaux constitutifs d’une structure promise à la destruction, ce qui permet l’organisation de la déconstruction. Enfin il peut intervenir auprès de propriétaires de gisements de déchets pour les aider à trouver des voies de valorisation dans le domaine du BTP.