Entretien avec François Pinchon, Ingénieur ESTP, Président d’Honneur de la Compagnie des Experts Agréés par la Cour de Cassation Française. Officier dans l’Ordre National de la Légion d’Honneur
LERM : Quand l’Expert fait-il appel à un laboratoire ?
L’Expert fait appel à un laboratoire pour mener des investigations techniques qu’il n’a pas les moyens de mener lui-même. Le rôle du laboratoire est alors de mener des essais ou des analyses dont la finalité est de fournir à l’Expert des données nécessaires à son expertise. Ce recours par l’Expert à la prestation d’un laboratoire est très courant dans le domaine du BTP et de l’industrie en général.
Vous parlez de prestation, le laboratoire peut-il alors être considéré comme prestataire de service ?
Oui, le laboratoire est considéré comme prestataire d’un service. Deux cas existent en France : dans le nord et la région parisienne,
le laboratoire est prestataire au service du demandeur. Dans le sud de la France, la prestation du laboratoire est mise au compte de l’Expert, même si c’est le demandeur qui finance la prestation avec, en quelque sorte l’Expert comme intermédiaire.
Qui prescrit les essais demandés au laboratoire ?
La prescription des essais est du ressort de l’Expert, mais, pour être dans le cadre d’une procédure expertale nécessairement contradictoire, cette prescription doit être communiquée à l’ensemble des parties.
D’ailleurs un déplacement in situ du laboratoire est organisé pour permettre une rencontre avec les parties. Cette rencontre permet de débattre de la méthode et des procédures techniques et scientifiques, ainsi que du montant de l’estimation financière de l’intervention du laboratoire.
Où se situe la distinction entre le laboratoire prestataire de service et le laboratoire sapiteur ?
Le prestataire de service fournit les résultats des essais ou analyses qui lui sont commandées. Son rôle s’arrête là. Le sapiteur fournit les mêmes éléments, mais il est sollicité par l’Expert pour émettre des commentaires ou des appréciations sur ces résultats.
Quand l’Expert fait-il appel à un sapiteur ?
C’est quand l’Expert est aux prises avec un domaine de compétences qui n’est pas le sien qu’il fait appel et doit faire appel à un sapiteur. Ce recours est souvent rendu nécessaire par la complexité technique des problèmes dont traite l’expertise.
Qui choisit le sapiteur ?
Dans la procédure civile, l’Expert choisit librement son sapiteur et il lui fixe les limites de sa mission. Dans le cas d’une expertise judiciaire au Tribunal Administratif, il demande l’accord du Tribunal, préalablement à la désignation du sapiteur.
Dans tous les cas, il informe les parties de la nécessité où il se trouve de s’adjoindre un sapiteur ainsi que des raisons de son choix.
Qui est responsable de l’expertise en cas d’intervention d’un sapiteur auprès de l’Expert ?
L’Expert reste toujours responsable de son expertise et de ses conclusions… On dit d’ailleurs que l’Expert « maîtrise » son sapiteur. Dans la réalité, quand la collaboration entre l’Expert et le sapiteur fonctionne correctement, l’Expert suit son sapiteur.
Si, l’Expert est, en quelque sorte le chef d’orchestre de l’expertise, il doit cependant avoir le souci constant de la maintenir dans le cadre d’une procédure dite contradictoire qui consiste à fournir l’ensemble des informations à l’ensemble des parties.
Cet aspect du contradictoire est essentiel : 80% des expertises annulées le sont, même si elles sont correctes du point de vue scientifique et technique, par non respect de la procédure contradictoire.
Les résultats du laboratoire sont donc importants pour la conduite de l’expertise ?…
L’avis du laboratoire est vraiment déterminant pour l’avis de l’Expert, même si l’Expert n’est nullement tenu à l’avis de son sapiteur. Les parties doivent en outre pouvoir questionner le laboratoire prestataire ou sapiteur sur ses méthodes et pratiques d’essais ou d’analyses, questions auxquelles le laboratoire doit répondre dans le cadre des limites de la mission qui lui a été assignée. Si l’enjeu de l’expertise est tel que le dialogue est difficile, l’Expert peut demander que le débat se fasse par écrit pour imposer une nécessaire distance à la tenue du contradictoire.