Entretien avec Patrice Morot Sir, Directeur de l’Ecole d’Avignon, centre de formation à la réhabilitation du patrimoine architectural

pmorot_sirLERM : Pouvez-vous nous présenter l’Ecole d’Avignon ?
P.M.S : » L’Ecole d’Avignon est un centre de ressources sur le bâti ancien. Elle propose des formations de perfectionnement, une formation diplômante ( Peintre en Décor du Patrimoine au niveau III), et des services d’expertise et de conseils sur les questions patrimoniales.Formation et conseils se déploient en France et à l’étranger, pourtour de la Méditerranée et au-delà. Les enseignants sont tous des experts de leur domaine ; cela garantit non seulement la qualité de l’enseignement mais aussi son adéquation avec les évolutions techniques et doctrinales ».

Quels types de formations dispensez-vous ?
« Les formations de perfectionnement sont des stages courts, proposés à Avignon mais aussi dans des sessions sur place qui répondent à des besoins ou à des problématiques locales. Ces stages abordent de nombreuses techniques de réhabilitation : la maçonnerie, les enduits, la menuiserie, la peinture en décor, la ferronnerie… Les stagiaires, au nombre d’environ 500 par an, viennent d’horizons très
variés : artisans, particuliers, personnels des services territoriaux de l’architecture et du patrimoine (STAP : architectes et techniciens
des Bâtiments de France, ingénieurs des DRAC et des collectivités locales…).

La formation de peintre en décor du patrimoine est homologuée par l’Etat au niveau 3. Il s’agit d’une formation de 840 heures en alternance. La formation apporte des connaissances théoriques et historiques sur le bâti, elle aborde l’histoire de l’art et des techniques, de l’évolution des décors et des styles, mais aussi la pratique des techniques traditionnelles ».

 

Les réflexions contemporaines sur le développement durable font redécouvrir le bâti ancien comme précurseur de ce concept. Pouvez-vous tenter de nous dire pourquoi ?
« Une évidence s’impose d’abord : le bâti ancien a duré avant d’être dit durable. Sa durabilité n’est donc pas un projet, mais une expérience empirique continue dans le temps, nous y reviendrons. Le bâti ancien est également emblématique du développement durable, dans la mesure où ses principes de construction répondent, par avance, pour ainsi dire, à une logique d’économie maîtrisée.
D’abord, on construit local : on ne transporte pas les matériaux pondéreux ; on met en œuvre, sur place, les ressources locales. C’est ce qui fait la grande diversité du bâti ancien : en quelques kilomètres, les matériaux et les techniques changent puisqu’elles sont fonction des ressources du sol et du sous-sol. Ensuite, on applique, dès la conception, les principes qu’on appelle aujourd’hui bio-climatiques : la maison et le village sont orientés en fonction de l’ensoleillement et du vent dominant.

En France, il en a été ainsi, en habitat rural, jusqu’à la fin du 19e siècle, jusqu’à la mécanisation des moyens de production et de transport. Les matières premières ont alors été produites industriellement et sont entrées dans la circulation générale des marchandises. Plus tard, encore, la croissance du pouvoir d’achat, qui autorisait un changement des modes de vie a, par exemple, donné naissance à la construction pavillonnaire. La durabilité du bâti traditionnel dépend donc certes de ses principes de conception, mais également de la possibilité de son entretien. L’habitat traditionnel rural a toujours fait l’objet d’un entretien saisonnier, souvent par ses habitants même. C’est en ce sens que je parlais de l’habitat ancien comme d’une expérience empirique continue.

Pour en revenir aux qualités intrinsèques du bâti traditionnel on peut citer la porosité à la vapeur d’eau qu’autorisent l’association de la pierre et de la chaux et l’inertie thermique qu’apporte l’épaisseur des murs. Si l’on peut prendre des leçons de l’habitat ancien, il convient cependant de ne pas le mythifier. Comme toute réalisation, il s’agit toujours d’un compromis qui a aussi ses points faibles ; je pense, par exemple au problème des remontées capillaires ».

 

Les qualités et la nature même du bâti ancien ne sont-ils pas une contrainte pour les projets de réhabilitation ?
« Contrainte sans doute, mais qui sait aussi être une ressource… à condition que le projet de réhabilitation entre dans la logique, et même dans la culture du bâti qu’il prend pour objet. Ainsi, si j’isole un bâti ancien par l’extérieur, je nuis à son esthétique ; et si je l’isole par l’intérieur, je casse l’inertie thermique. Il faut trouver le compromis que dictent le matériau en œuvre et les techniques employées.
Ce qui est sûr, c’est que 20° C, toute l’année, cela ne marche pas dans ce type d’habitat. Il convient donc d’anticiper sur… des évidences : ainsi, dans nos régions méditerranéennes, où il y a des saisons chaudes et des saisons froides, on commence par ne pas habiter n’importe comment les étages, par exemple.

Ensuite, sans rentrer dans les détails d’un projet de réhabilitation, l’esprit du développement durable demanderait à ce qu’on s’inspire de ce qui est économique au regard du confort quotidien et de l’entretien régulier. De fait, la maison la plus « écologique » est celle qui est déjà là. C’est celle qui est déjà construite, qu’il faut certes réaménager en fonction de nos besoins maîtrisés, mais qu’on a intérêt à faire durer. C’est la définition même du patrimoine ».

 

Vous nous dites là que le bâti ancien, s’il impose ses règles au projet de réhabilitation, en impose également au simple fait d’habiter ?
« Oui, la première règle d’une réhabilitation est d’être un projet cohérent pour un bâti particulier et original. Un projet de cet ordre part de ce qui est, de l’étude et de la reconnaissance de ce qui existe. Il n’y a donc pas de projet pour un bâti, sans mémoire de ce bâti.
Quant au fait d’habiter, de toutes façons, être sensible à la thématique du développement durable, c’est, par avance, faire le choix de ne pas vivre n’importe comment. Habiter le bâti ancien, oui, c’est sans doute apprendre à vivre en symbiose avec une maison particulière, dans un environnement spécifique, et c’est aussi se rendre sensible à la valeur de ce que l’on habite : valeur esthétique, culturelle, technique…

Il me semble d’ailleurs que cette sensibilité et la connaissance du bâti ancien sont les clés de réhabilitations réussies et durables.
En effet, si l’on considère les secteurs sauvegardés, les ZPPAUP (zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager) et les périmètres des monuments historiques, peu de centres anciens échappent à une réglementation. Une cadre légal, voire même une certaine coercition existent donc bien… mais le premier levier, c’est la prise de conscience et la connaissance de la valeur du bâti ancien. La question, face aux solutions standard et souvent inadéquates que propose le commerce, c’est d’organiser une offre de conseil et d’accompagnement efficaces de la démarche d’habiter l’ancien, d’organiser le nécessaire projet et d’y mettre de l’intelligence et de la sensibilité ».

 

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